Ma pièce est impeccable. Du carrelage au sol, du carrelage aux murs, un plafond tout aussi blanc. J’ai une table un peu brune, on dirait du bois mais ce n’en est pas, l’imitation est imparfaite. La chaise est du même matériau. Les placards eux, sont blancs.
Ce matin, comme d’habitude, je suis sortie de mon lit, hors de la chaleur réconfortante de ma couette grise. Elle est gris très clair, on dirait du blanc. En fait tout le blanc est du gris très clair, mais ma couette est plus grise que le reste. J’ai préparé de quoi manger, puis je me suis assise sur la chaise. Je bois mon verre d’eau, puis « CLAC » juste sur ma gauche. Une odeur.
Mon pain a brûlé dans le grille-pain. Une petite flamme sort de l’engin. Je sors la tranche avec la pointe d’un couteau, et j’observe le feu lécher le noir de la mie, avec élégance, sans s’étendre au-delà de son foyer. Puis je souffle dessus, et l’incident est terminé. Je gratte le brûlé avec la lame du couteau, puis mange le pain. On sent le goût du charbon, un petit peu, mais ça pourrait être pire. C’était pire les autres fois. Je note que le grille-pain est encore mal réglé. Puis je finis mon verre.
Quand je sors de ma pièce, cela demande parfois un temps d’adaptation pour se rendre compte que l’on est bien sorti. Le couloir est blanc, toutes les portes sont blanches, les escaliers aussi. Je longe les autres pièces, et depuis le couloir je vois toutes les autres portes en face, de l’autre côté du vide où parfois circulent les ascenseurs. Moi je prends l’escalier. Ces longs escaliers peu pratiques dont les marches se rapprochent plus du barreaux. « Tic, tic, tic, tic » font mes chaussures sur le métal froid. « Clac, clac, clac » sur le carrelage de l’étage du dessous. Puis l’escalier, puis l’étage du dessous, et ainsi de suite. Arrivée en bas il y a une porte, blanche, avec une grande barre horizontale qu’il faut pousser pour ouvrir. Et puis le dehors. Le dehors est mal réglé, je pense. Le vert est si vert qu’il en perce la rétine. Et il n’y a que ça. Le ciel est blanc, le bâtiment est blanc, j’en viens à manquer le brun de ma table.
Je ferme derrière moi, fait quelques pas en avant, et là ça y est. J’ai quitté le rivage, et me voilà nageant dans un océan de vert. Les bruns d’herbes se font parfois de l’ombre les uns sur les autres et la teinte change. Là un vert un peu plus sombre, là un vert un peu plus clair, puis le blanc du ciel.
- Hey ! fait quelqu’un sur ma gauche.
De là où je suis je vois une silhouette agiter la main en l’air. Facile à reconnaître. Je la salue en retour, et m’approche sans qu’elle en aie à me faire signe. Elle ne bouge pas et m’attend, puis me sert la main, formelle, quand j’arrive à sa hauteur. Z a une boite d’outils.
- Des réparations ? Je demande
- Non, rien n’est cassé.
- Mon grille- pain est cassé, je dis.
Z hausse les épaules et laisse un petit sourire se glisser sur ses lèvres.
- Il est simplement différent des autres.
- Non Z il est cassé. Il ne marche pas comme il devrait. L’herbe est trop verte. Le ciel est trop blanc. On arrivera jamais au bout à la vitesse où tout cela va.
- Au bout de quoi ? demande Z, Et dans quel but ?
- Tu le sais très bien.
- Pour être honnête je vois pas bien l’intérêt, de reproduire. Pourquoi vouloir d’une autre réalité quand on peut avoir la nôtre.
- Mon pain brûle le matin Z, je dis.
- Ok, d’accord, changer le grille-pain pourquoi pas. Mais l’herbe, le blanc, c’est juste ici, cet endroit seulement. Je verrai bien un champ de fleur là-bas, R, des fleurs toutes violettes, tu en penses quoi ?
- J’en pense que c’est idiot.
- Je te dirai bien que ça me blesse mais ce serait te donner trop grande satisfaction, plaisante Z.
Alors je la pousse dans l’herbe, gentiment, mais Z n’a pas d’équilibre. Elle m’attrape le bras dans sa chute puis tombe en rigolant. Je lui tombe par dessus.
-Peut-être que c’est toi qui est cassée, R, que tu ne marches pas comme tu devrais. Un jour tu te réveilleras et tu diras « Quoi, Z, je n’ai jamais été folle amoureuse de toi » et le ciel sera bleu, et la terre sera grise.
J’attends la chute à la blague mais elle ne vient pas.
- Tu dis vraiment n’importe quoi aujourd’hui, Z. Si tu crois que l’on est cassées il faudra vraiment te faire confisquer ta boite.
Elle met une main dans mon dos pour me repousser un peu et m’allonger à son côté. Là on ne voit plus que le blanc du ciel. À le fixer on croirait presque y voir des nuances, comme des tourbillons de lait, un peu d’ombre ici, un peu d’ombre là-bas.
- Tu vois, on a une page blanche immense. Quand je la vois je ne vois que toi et moi et l’étendue des possibles. Il y a tellement d’autres gens, mais il n’y a pas une parcelle de blanc qui soit comme celle d’à côté. Pourtant on est fait de tous les mêmes éléments, mais là tout mis à côté ça fait pas pareil.
- Et le vert ?
- Contraste.
- C’est tout ?
- Au départ. Mais je me dis que c’est un joli vert, aussi. On peut faire ce que l’on veut, pourquoi se limiter au terreux que l’on devait refaire. Celui-ci a l’air de briller et de ne jamais s’essouffler, elle marque une pause, comme toi un peu.
Je tourne la tête et elle me sourit d’un sourire idiot. Je lui pousse le visage sans grande conviction, et elle y attrape ma main. Elle refuse de la lâcher.
- Fait comme tu veux, je souffle
- J’y compte bien.
- Mais fait quelque- chose pour mon grille-pain. Rend le violet si tu veux ça m’est égal, juste, fait-le fonctionner.
Z rigole, mais ne répond pas. Je lui mets un petit coup de coude et elle murmure un « oui » à peine audible. Bientôt il n’y a plus que le silence, du vert à ma gauche, Z à ma droite, et tout en haut du blanc. C’est idiot, je pense, c’est idiot. Pourtant il me faut bien admettre qu’un bleu, quelconque, paraîtrait bien fade en comparaison. Je l’imagine, une grande page bleue, et à côté ce blanc qui en a l’air vivant. Du blanc qui tourbillonne, tourbillonne encore, entraîne dans sa course des navires laiteux de constellations invisibles, des stries de brumes qui s’en vont en spirale, et le cotonneux réel, qui s’effiloche et se reforme un peu plus loin.
Je reste une indéfectible fan des nouvelles absurdes, et si en plus tu y ajoutes des couleurs, je suis doublement servie ;-) D'ailleurs, ça fonctionne : il suffit d'une référence à une couleur ou à un objet pour que je me le figure, dans un univers à la fois vide et plein (curieusement). Et je vote pour le grille-pain violet. Le monde manque de grille-pains violets.
Petite question : tu abandonnes quelques fois le présent pour du passé (notamment dans la partie dialoguée), c'est voulu ?
A bientôt !
Merci pour ton commentaire <3 je suis content que celle ci aie pu te plaire aussi
Et oups, pour la concordance des temps force de l'habitude, merci d'avoir relevé
à plouf!