5 Décembre :
Ma mère n’est pas un monstre. Elle est tout à fait humaine. Néanmoins, je ne peux m’empêcher d’avoir des doutes, de temps à autres… C’est qu’elle a parfois des allures de geôlier. Cerbère lui-même pourrait apprendre des tas de choses s’il suivait un stage intensif auprès d’elle. Ce matin, par exemple, j’ai dû faire des pieds et des mains, et presque des genoux, pour qu’elle accepte que j’aille chez Tristan.
Car oui, en cette belle et froide journée qui m’a permis de mettre mon plus beau manteau couleur cerise, j’ai une réunion de travail avec mon nouvel associé (bien qu’il s’acharne à refuser ce titre). C’était aussi pour moi l’occasion parfaite de prendre l’air. Pardon ? Les journalistes, vous me dites ? Figurez-vous qu’ils sont partis. Il semblerait que la peur ait pris le pas sur la curiosité après mon intervention sur les écrans.
En parlant de ça, je crois qu’une explication est nécessaire. J’ai parlé avec Tristan de sa petite intervention d’hier, mais je vous donnerai les détails plus tard. Chronologiquement ! Non pas que je lui en veuille : grâce à lui, j’ai pu faire entendre à mon cher public des arguments inédits et ainsi les amener à me faire confiance. Sans cette opposition, quel effet ma Grande Prophétie aurait-elle eu ? M’enfin, quoi qu’il en soit, ma mise en scène de la veille a fait son petit effet. Des tonnes d’articles et je dis bien tonnes, car j’aime mon journal version papier- ont été écrit entre hier et aujourd’hui. Ma prophétie a été disséquée sous tous les angles. Je crois que des psychologues et autres spécialistes en tous genres ont été invités comme je l’ai été hier, juste pour discuter mes propos et donner leurs avis sur moi et mon don de divination. J’avoue que toute cette attention me flatte. Un tel remue-ménage promet un avenir grandiose pour la suite de mon plan ! Comme ma prédiction du Loto me semble loin à présent ! Malgré mon génie, je n’avais pas prévu un tel enchaînement d’évènements. Charlotte non plus, je parie. Je lui ai envoyé un message ce matin, mais elle n’a pas répondu. Je crois qu’elle est très occupée à gérer ma carrière. Enfin, ça je le savais déjà ; disons que ce matin doit être particulièrement compliqué. Mon compte Instagram doit exploser de commentaires et de messages ! J’y ai jeté un coup d’œil ce matin, elle est parvenue à poster une photo de moi alors que nous étions encore dans les coulisses. Elle a dû la prendre avec son portable. Je m’y trouve de dos, juste une silhouette noire découpée par la lumière de la scène qui s’étale à l’arrière-plan. Où a-t-elle appris à photographier comme ça ? Je lui demanderai, la prochaine fois.
Ainsi donc, j’ai aujourd’hui rendu visite à Tristan. Je voulais m’y rendre en métro ou en bus, seulement il se trouve qu’il vit à l’autre bout du monde : en banlieue parisienne. J’ai dû demander à ma mère de jouer les chauffeurs. Je crois qu’elle était en fait assez contente : elle s’imagine qu’une enfant de mon âge se doit d’avoir plus d’un ami et qu’il est encore mieux que cet ami ne soit pas un professeur de mathématiques quatre fois plus âgé que moi. Impossible de satisfaire cette femme ! Elle m’a posé mille et une questions sur Tristan. Franchement, comment suis-je censée savoir s’il a des frères et sœurs, ou sa date d’anniversaire ? On se connait depuis quoi, un mois ? Non, je n’ai que les informations essentielles : il a un don pour l’écriture, il n’a pas froid aux yeux et il a enfin accepté d’être mon associé. Mais le pire restait à venir. Elle m’a demandé comment je l’avais rencontré.
Ma mère est très ouverte d’esprit, lecteurs : n’oublions pas qu’elle a accepté que sa fille mente à son pays, puis à la terre entière, dans le but avoué de devenir célèbre et de se faire de l’argent. Cependant, je ne pense pas qu’elle serait ravie de m’entendre dire : « Oh, c’est une histoire assez amusante, à vrai dire, tu vas rire. Il m’a envoyé une lettre de menace anonyme avant de me donner rendez-vous dans un cimetière. Ensuite, il a tenté de me convaincre de confesser mes péchés sur les réseaux sociaux ! N’est-ce pas incroyable ? » Je me suis contentée de lui raconter que je l’avais croisé à l’université où il venait chercher des livres. J’imagine qu’il doit y avoir des bouquins compliqués de littérature cachés quelque part là-bas, c’est crédible comme histoire.
Au bout d’une heure, nous sommes enfin arrivés devant une succession de grands immeubles gris et délavés, avec des taches noirâtres de pollution sur les bords. Il y avait de la verdure, des arbres qui poussaient le long de la route tordue, des places de parking où la peinture blanche était un peu effacée. On entendait au loin le sifflement électrique d’un train. Honnêtement, l’endroit ne respirait pas franchement la joie de vivre. Une fois devant le bon bâtiment, j’essayais de pousser la porte. Une fois, deux fois. J’aurais pu donner un coup de pied dans le Colisée que ç’aurait bougé autant. Je tapais le numéro de Tristan avec un soupir agacé :
« Tu as oublié de me donner le code de ton immeuble.
-Ah, j’arrive. »
J’aperçus quelques minutes sa petite silhouette dans le vestibule, trottinant jusqu’à nous. Il ouvrit la porte et, voyant ma mère, s’empressa de nous saluer :
« Bonjour Ingrid.... et madame...
-Enchantée, Tristan, » dit-elle avec un sourire, « Ingrid m’a beaucoup parlé de toi ! » dit ma mère d’un ton rassurant.
N’importe quoi ! Je rêve ! Elle allait détruire ma réputation. Je fis les gros yeux à Tristan pour le dissuader de poursuivre les échanges de politesse plus longtemps que nécessaire. Il me répondit par un sourire carnassier. Sentant la catastrophe se profiler, je me précipitais entre les deux et déclarais, main allant de l’un à l’autre :
« Bref ! Maman, Tristan ; Tristan, Maman. Les présentations sont faites, tu peux partir.
-Il me semble t’avoir éduquée différemment, jeune fille... Répète-moi ce que tu viens de dire ? » dit ma mère en levant un sourcil.
« Mère adorée, je sais que vous croulez sous le travail et je préfèrerais souffrir mille morts plutôt que de vous mettre en retard. Vous devriez vous mettre route !
-Je ne sais pas de qui tu tiens ton sarcasme...
-Moi, je sais. » conclus-je en haussant un sourcil.
J’entendais Tristan derrière moi, étouffant son rire dans son coude. Voyant mon regard noir, il se mit à tousser.
« Un chat dans la gorge… » fit-il avec un sourire en coin.
Je n’eus pas le temps de lui lancer une réponse bien sentie, car ma mère m’avait déjà pris dans ses bras. En m’embrassant, elle me souffla à l’oreille :
« Passe une bonne après-midi, chérie. Tristan, je te confie Ingrid. » dit-elle plus fort.
« Vous pouvez compter sur moi, madame. »
Chevalier à deux balles, va.
L’appartement de Tristan était petit. Je pose ça là, de façon assez inélégante sans doute. C’est juste que cela m’a frappé. Il avait autant de talent que moi, dans son genre ; alors je m’étais imaginée qu’il devait vivre comme moi. Sa vie s’avéra assez différente de la mienne mais un peu semblable, par endroits. Déjà, il avait deux frères, un grand et un petit. Il vivait avec eux et leur mère. Cet après-midi, nous avions l’appartement pour nous tous seuls, car sa mère et son aîné travaillaient et le plus petit s’amusait chez un ami. Il partageait sa chambre avec son petit frère. Cela me surprit et je me sentis obligée de lui faire part de mon sentiment :
« Je pourrais jamais avoir mon frère dans la même chambre ! Ce serait insupportable. On finirait par s’entre-tuer.
-J’ai pas vraiment le choix. » m’a-t-il rétorqué froidement.
Je n’ai pas su quoi répondre. Je me suis fait la réflexion qu’à l’avenir, j’éviterai de faire ce genre de commentaires, voire de parler de... de quoi exactement ? Mieux valait juste arrêter d’observer et plutôt regarder ce que Tristan souhaitait me montrer.
Heureusement pour moi, le malaise n’a pas duré. Nous nous sommes installés à la table de la cuisine pour planifier la prochaine étape de mon plan. J’étalais le contenu de mon sac sur la table et ouvrit en grand un carnet. Pour être honnête, lecteurs, c’est un peu le cousin du texte que vous tenez entre le main. Ici, vous avez l’histoire rédigée de mes péripéties et de mon destin fabuleux, dans cet autre carnet vous y trouvez des calculs, des annotations, des idées en vrac... de tout, quoi. Je m’éclaircis la gorge et dis :
« Je pense qu’on est d’accord qu’’il y a deux priorités : trouver les héros et découvrir quelles vont être les premières étapes de la Quête. »
Tristan me dévisagea avec un drôle de regard. Je soulevais un sourcil :
« Qu’est-ce qu’il y a ?
-Découvrir ? C’est pas toi qui prépare les étapes de l’aventure ?
-Si, bien sûr ! » m’empressais-je de répondre en repoussant mes lunettes sur mon nez. « Mais il va falloir les découvrir quand même... dans ma tête.
-Tu n’as rien préparé ?! » bondit il, les yeux ahuris.
« Disons que j’ai surtout travaillé les grandes lignes... »
Il a fermé ses paupières très fort, en faisant cette expression que je commençais à bien connaître. Si, vous savez, celle qui veut dire : « Je suis à deux doigts de l’envoyer contre le mur à coups de gifles ». J’ai balayé ses reproches silencieux du revers de la main et nous nous sommes mis au travail sur-le-champ. Au bout d’un certain temps à rechercher en silence, griffonnant chacun de notre côté, je m’exclamais :
« J’ai une ou deux idées pour les étapes. Pas forcément dans l’ordre, d’ailleurs... Je me disais que les envoyer à travers le monde serait une bonne idée. Le côté international, tout ça. Par exemple Cuba, les États-Unis, la Chine... oh, et le Vatican, en Italie. »
Une fois encore, Tristan me jeta un regard étrange. Mélange de circonspection et de frayeur, je crois. Je me débrouille de mieux en mieux pour déchiffrer ses expressions !
« Tu ne trouves pas qu’il y a un... problème ?
-Ah si, tu as raison, » dis-je en hochant la tête. « Je vais rajouter la Mecque et Jérusalem.
-Non. Juste, non.
-Mais pourquoi ?
-Toi, pourquoi ?! » s’écria-t-il en écartant les bras, manquant de renverser son jus d’orange. « Quel est le besoin de mêler du religieux à ton plan déjà diablement compliqué ?
-Tu fais des jeux de mots, maintenant ?
-Contente-toi de répondre à ma question, » soupira-t-il en se massant la tempe.
« Je sais pas ! Mes héros partent en quête, rajouter des endroits sacrés rajouterait un petit côté solennel... Et puis, entre nous, j’improvise la moitié de ce que je fais. Alors, un petit coup de pouce divin, je cracherais pas dessus ! »
Il sembla peser le pour et le contre, pencha la tête sur le côté en plissant les yeux... pour finalement hocher la tête.
« Bonnes intentions, mauvaise idée. Comme souvent avec toi. Choisis Rome plutôt, il doit y avoir des trucs à faire. La mafia ?
-Si je voulais leur balancer des terroristes, je les enverrai en Corse, c’est plus près. Non et puis, le tout, c’est pas de les envoyer au casse-pipe non plus ! »
Tristan me jeta un regard incrédule par-dessus son carnet. Je concédais :
« Enfin, il faut qu’ils s’en sortent vivants. Qu’ils ne claquent pas dès la première étape...
-Ingrid !
-Je sais, je suis horrible, mais je suis aussi désespérée ! »
Nous soupirâmes de concert. Il se mit à se frotter furieusement le crâne, les sourcils froncés par l’incrédulité et l’agacement.
« Parfois, je ne te comprends vraiment pas. Ça me dépasse.
-Quoi donc, mon génie criminel ou mathématique ?
-Ton absolu manque de compassion et d’empathie, plutôt, » grinça-t-il. « C’est simple, on dirait que tu ne penses qu’à toi, sans arrêt.
-Jusqu’ici, ça a fait ses preuves... »
Il poursuivit comme si je ne l’avais pas interrompu. Ses joues étaient à présent deux taches vermeil et il agitait les bras dans tous les sens, les yeux fous. Il m’aurait presque fait peur, avec ses élucubrations !
« Tu agis comme s’il n’y avait aucune conséquence pour tes actions. Tu te moques de tout ! Même des choses qui pourraient te mettre en danger, toi, personnellement ! Tiens, exemple : on dirait que tu te moques de ta fameuse Quête. Tu as eu ton idée et maintenant, tu attends que les choses se passent comme si la chance -ou pire, le destin- allait t’offrir la solution sur un plateau d’argent. Le pire dans tout ça ? C’est que ça pourrait arriver. Tu as une chance insolente depuis que je te connais. »
Je restais bouche bée face à tant d’audace. De la chance, après son numéro pendant mon interview ? Je ne dirais pas ça, non ! Je m’écriais sur-le-champ :
« Tu sais quoi, puisque nous en sommes aux grandes déclarations, à mon tour. Je peux savoir ce qui t’es passé par la tête hier ? Essayer de ruiner mon plan en disséquant ma prophétie- ou plutôt devrais-je dire ta prophétie ! Mmm, alors ? »
Il eut la bonne grâce de rougir. Un peu de honte, enfin ! Cependant, il ne se démonta pas :
« C’est à cause de ce que tu m’as dit, au parc… Que si tu avais le choix, tu referais tout pareil. »
Il soupira et se frotta les yeux. Bras croisés, j’attendais. J’avais donc eu raison, il y avait bel et bien quelque chose la dernière fois que nous nous étions parlé ! Il poursuivit, sans me regarder en face :
« Tu te moques de tout. Je sais que pour l’instant, ça te réussit, mais il faut que tu comprennes que pour moi, c’est juste insupportable. Tu ne réalises pas tout ce qui pourrait mal tourner. Sans parler de tes mensonges ! Il y a tellement de chances qui prennent tes prophéties pour argent comptant et toi, tu te moques de leur sincérité. Ce n’est pas juste. Alors, je me suis dit que te mettre au défi comme ça, en public, me permettrait de voir ta vraie nature… Ou mieux te comprendre, je ne sais plus. Quoi qu’il en soit, tu m’as convaincu. »
Je hochais la tête. C’était une explication raisonnable. Tristan et moi sommes deux personnes très différentes, après tout, pas étonnant que nous ayons tendance à nous opposer. Maintenant que je lui avais prouvé ma valeur, il n’allait plus me mettre des bâtons dans les roues… ou moins qu’avant, au minimum.
« Ça va, je comprends. Mais je maintiens que tu t’inquiètes trop. OK, la Quête est toujours en construction, mais ça va venir ! Et puis, tout est sous contrôle !
-Tu crois ? Ingrid, manipuler les masses depuis les réseaux sociaux, cachée derrière tes calculs et ta meilleure amie...
-Mon agent. » le corrigeais-je machinalement.
« Si tu veux. Tout ça pour dire que ce que tu as accompli jusqu’ici, c’est une chose et ce que tu t’apprêtes à faire en est une autre. Tu vas littéralement mentir, les yeux dans les yeux, à des individus, de vraies personnes. Dans le but de les voir accomplir des actes dangereux dans le cadre d’une quête qui s’annonce désastreuse !
-Je dirais mal organisée. Ce n’est pas aussi simple que ç’en a l’air, tu sais ! » dis-je avec véhémence.
Loin de moi l’idée de m’offusquer pour si peu, mais il commençait à sérieusement m’agacer. Je savais depuis longtemps que Tristan tenait à son rôle de chevalier blanc. Son côté moralisateur, je devais l’accepter parce qu’il n’était pas prêt de s’en aller. Mieux valait que je m’habitue à faire la sourde oreille à ses sermons. Bon sang, pourtant, c’est pas l’envie de lui coller une patate qui me manquait ! Quel casse-pieds, ce poète. Ça me donnait presque envie de faire de lui mon Barde pour la Quête... Hm. Mauvaise idée avec du recul. Ce maudit poète serait capable de me taper la honte devant les caméras rien que pour voir la tête que je ferais. Mauvais, mauvais plan. En plus, j’avais besoin de son aide ici ! Qui sait quand j’allais avoir besoin de l’aide d’une plume qui connaitrait mon secret ? Je ne pouvais pas demander à un autre écrivain de talent : déjà, je n’en connais pas. Sans parler qu’il faudrait lui avouer la vérité, à lui aussi ! C’est hors de question, j’ai un gratte-papier dans les pattes et c’est déjà un de trop.
Toutefois, je devais reconnaître qu’il avait touché juste sur un point. Mon plan devenait plus sophistiqué de jour en jour et j’ignorais comment rester crédible jusqu’au bout. Si ce château de cartes que j’avais pris tant de temps à construire s’effondrait, je n’aurais pas l’occasion de recommencer. Fin de la partie. Oh là là, je déteste quand Tristan a raison. Ça finit toujours mal pour moi.
Je continuais mon monologue intérieur sans trop prêter attention à ce qu’il faisait. J’entendais le crissement distinct du stylo-plume sur le papier et le froissement qu’il faisait en tournant les pages ; je me contentais de fixer le mur, à la recherche d’une révélation. Pour un changement d’air, je décidais de jouer de la batterie avec mon crayon, pour m’aider à me concentrer. Évidemment, cela ne manqua pas d’irriter Môsieur :
« Mets-toi au travail.
-C’est ce que je fais, je réfléchis, » protestais-je.
-N’importe quoi ! Moi, je te file un coup de main, c’est tout. Je bafoue tous mes principes moraux pour... pour...
-Pourquoi ? » demandais-je avec un sourire narquois.
« Juste, fais ta part du boulot, ça ira plus vite. »
Je m’apprêtais à rétorquer quand mon téléphone vibra. Sauvée par le gong ! Le numéro de Charlotte s’affichait à l’écran. Toujours là pour me sortir du pétrin, celle-là. Je décrochais immédiatement, sous le regard réprobateur de Tristan.
« Allô, Marchand ?
-Tu es chez toi toute la semaine et le seul moment où j’ai besoin de toi, tu n’es pas là ! »
Il est rare que mon agent s’énerve pour des broutilles. Or, ma présence où que ce soit n’avait généralement pas grande importance. Généralement, c’est de ma tête dont on a besoin, pas du reste. Je fis part de cet avis à Charlotte, mais cela ne fit que l’exaspérer :
« Karlsen, ramène tes fesses de devineresse chez toi, fissa !
-Je travaille en ce moment même, figure-toi. Avec Tristan. » Ce dernier fit un petit geste de la main et me fixa jusqu’à ce que je rajoute : « Et il te dit bonjour. »
« Ah. Ben, salut. »
Coup d’œil rapide pour vérifier qu’il avait attendu, c’était le cas, je repris :
« Il ne s’est rien passé de grave, dis-moi ?
-Bof. Disons que nos responsabilités mondaines reprennent... tu te rappelles d’Elena Bloom ? La chanteuse dont tu avais prédit le succès ?
-Ça me dit vaguement quelque chose... » dis-je en fouillant dans ma mémoire.
-Bref, tu avais raison, elle a sorti qui a fait un carton et maintenant, elle prépare un album. La dernière chanson est enregistrée est aujourd’hui et après, il y a une petite fête d’organisée. Devine qui sera l’invitée d’honneur ?
-Moi ! » Je bondis de ma chaise. Mes joues me faisaient presque mal tant mon sourire était grand. « Quelle heure ?
-On part dès que tu reviens. Ça nous donnera l’occasion d’écouter en avant-première ta chanteuse. Oui, oui, je sais, » dit-elle en haussant le ton pour m’empêcher de la couper, « tu te changeras avant qu’on s’en aille. Dépêche-toi ! »
Je mis le téléphone dans ma poche. En deux enjambées, j’étais à moitié allongée sur la table ; je balayais du bras les papiers en vrac et les ramassais pour les fourrer dans mon sac. Une voix horrifiée s’éleva :
« Pour l’amour du ciel, Ingrid... ?
-Merci pour le coup de pouce. Je dois partir maintenant ! Marchand m’attend !
-Tu ne peux pas partir ! Déjà parce qu'on est loin d’avoir fini, et en plus, c'est ta mère qui doit te ramener ! »
Zut. Il avait raison. Vous voyez, c’est ça le vrai problème dans la vie : dans un film, il y aurait une coupure ou un enchaînement de scènes qui m’aurait propulsé jusqu’à l’entrée de ma maison, dans une tenue appropriée pour l’occasion. Mais non ! Je restais devant la table, les papiers encore dans les mains, fixant le vide. Je finis par chuchoter :
« Je me suis peut-être un peu emportée.
-Sans blague ?! » s’écria Tristan en me jetant son crayon sur le front.
Un texto à ma mère et mes plus plates excuses à Tristan plus tard, je patientais dans le canapé de son appartement. Mes ongles créaient un rythme en tapotant sur le dos de mon sac, qui s’accélérait à mesure que les minutes s’écoulaient. Tristan, assis à côté de moi, tournait lentement les pages de son livre. Je décidais qu’il était plus intéressant de l’embêter que de détruire le cuir de ma sacoche ; je me penchais donc par-dessus son épaule pour voir ce qu’il lisait. Il m’avertit, les dents serrés :
« Ingrid...
-Tristan ? »
Il referma son bouquin avec un regard mauvais dans ma direction. Il se leva, sortit de la pièce. Je commençais à me demander si j’avais poussé le bouchon trop loin. Cela dit, si ç’avait été le cas, il m’aurait plutôt frappé avec le livre au lieu de partir calmement. Deux minutes plus tard, il était de retour. Cette fois, il avait non pas un, mais deux bouquins coincés sous le coude. L’un des deux m’atterrit sur les genoux. J’observais la couverture tandis que Tristan reprenait place sur le canapé.
« Perceval ou le Roman du Graal ? Encore un de tes trucs de chevalier idéaliste… » grommelais-je en examinant l’ouvrage.
-Je t’aurais bien prêté Le Prince de Machiavel, mais j’avais peur de te donner des idées, » rétorqua-t-il en grimaçant.
Je lui tirai la langue avant de reporter mon attention sur le livre. J’hésitais une seconde avant de me décider à l’ouvrir. Je connaissais vaguement l’histoire du Roi Arthur et de la Table Ronde, mais franchement, ça ne m’avait jamais passionné. Déjà, les histoires de roi et de reine n’éveillaient en moi aucun sentiment particulier, mais en plus, quand ça parlait d’honneur et de vertu, je m’agaçais franchement. Pas parce que je ressentais une culpabilité quelconque ! Lecteurs, quelles langues de vipères vous faites. Non, tout simplement parce que ce n’est pas réaliste. Perceval, là, vous croyez qu’il aurait pu créer une quête, comme moi j’ai fait ? Eh ben non, lui, il fait partie des zozos que je vais envoyer se balader aux quatre coins du monde. Et toc, prend ça dans ton heaume, Perceval !
Mais, attendez une minute... Je peux utiliser ce roman comme guide ! Pas pour ma quête, ces histoires de Graal, j’ai un peu regardé et c’est un casse-tête... Vous croyez que mon plan est compliqué, vous devriez voir comment les chevaliers de la Table Ronde galèrent. En revanche, Perceval est considéré comme le chevalier parfait. Donc moi, je vais utiliser ce personnage pour baser mes critères de sélection pour mon héros ! Le Chevalier devra ressembler à Perceval, en avoir l’esprit tout du moins. Heureusement que Tristan a insisté pour que je l’emprunte, ce bouquin.
Cependant, je ne compte pas m’en occuper tout de suite ! Ma mère m’a récupérée et nous sommes en direction de la maison. Charlotte m’y attend de pied ferme, apparemment. Je vais assister à ma première soirée, en tant que Pythie qui plus est !
Le ton me plaît toujours autant. Mélange savoureux de mauvaise foi, de sarcasme, d'immaturité émotionnelle doublée d'une sacrée intelligence... J'aime beaucoup même si je trouve toujours qu'il y a un décalage entre le but affiché d'Ingrid de raconter son histoire de manière glorieuse, et les moments où elle livre des doutes.
L'idée de la quête me plaît. Cette place de marionnettiste dans laquelle pourrait se retrouver Ingrid, c'est très amusant. Par contre, ça a l'air d'être finalement le sujet principal de l'histoire et je trouve que ça met beaucoup trop longtemps à arriver. Pour moi l'intrigue gagnerait à être resserrée un max, qu'on en vienne plus vite à la quête !
La place du personnage de Tristan me questionne aussi. Il apporte des choses intéressantes, c'est clair, mais là aussi le développement de tout ça me paraît un peu lent. Je me suis demandé s'il ne pourrait pas être quelqu'un qu'Ingrid connaîtrait déjà (genre un cousin ou un camarade de classe). Ça accélèrerait certains processus et ça expliquerait aussi pourquoi il vit pas trop loin de chez Ingrid (ce qui pour le moment semble juste une heureuse coïncidence). Je trouve aussi que sa présence éloigne Ingrid et Charlotte, dont j'aimais beaucoup le duo.
Le recrutement de M. Froitaut m'a laissée un peu perplexe. Ça reste quelqu'un qui connaît la vérité : qu'il soit en rapports si étroits avec les autres "héros" qui ne doivent surtout pas la connaître me paraît hyper risqué.
En bref, si je continue de me laisser porter par le style et les rebondissements, je suis un peu moins emballée qu'au début de l'histoire. J'ai hésité à t'en faire part car ça peut être décourageant et j'en serais vraiment désolée ! Mais je pense aussi que c'est important de t'en faire part. Surtout que ce n'est pas une fatalité, à mes yeux ça demande juste du retravail. Quelqu'un m'a un jour fait un retour sur le rythme d'une de mes histoires en disant "Un bref coup de cymbales aura toujours plus d'effet qu'un solo de batterie de 10 minutes". J'avais interprété ça comme une incitation à penser le rythme de mon histoire un peu différemment ; jusque-là j'avais tendance à étirer les choses en longueur et faire durer, maintenant je recherche quelque chose de plus impactant... c'est peut-être un conseil qui pourrait te parler aussi ? Après ça n'empêche pas qu'il y ait des périodes de doutes et du temps qui passe, mais voilà. C'est un peu embêtant qu'au chapitre 19 (je crois ?) on n'ait encore qu'une vague idée de ce qui va constituer la quête, soit l'événement principal (en tout cas c'est l'impression que j'en ai). Je suis toujours aussi convaincue du potentiel de l'histoire cela dit ! Et je lirai la suite avec plaisir :)
Merci mille fois pour ton retour, c'est vraiment précieux. Je suis d'accord avec toi : il y a un gros problème de rythme à remédier. Je pense que jusqu'à aujourd'hui j'ai été trop attachée émotionnellement à mes chapitres finis x) les couper me fait du mal, mais c'est pour leur bien ! Faire de Tristan le cousin d'Ingrid me fait bien marrer, je vais faire ça. Pour ce qui est de Froitaut, il y a vraiment l'idée qu'Ingrid l'admire énormément et elle veut que ce soit réciproque. C'est en grande partie pour ça qu'elle insiste qu'il soit l'un de ses héros. Je sais pas si je devrais insister plus sur ce sentiment de sa part... dis moi ce que tu en penses ! Est-ce que je pourrais discuter avec toi via le forum pour te demander ton avis sur des points un peu plus techniques, notamment le redécoupage des chapitres ? Quoi qu'il en soit, encore une fois, merci pour ton aide précieuse.
À bientôt ! :)
Concernant Tristan, ah bah heureuse que ma suggestion te parle ! Je me dis que ça permettra assez vite une familiarité entre eux et puis j'aime bien la famille d'Ingrid globalement ^^
Concernant Froitaut, ok effectivement je n'avais pas intégré pleinement cette admiration d'Ingrid pour lui. On sent qu'elle veut faire ses preuves, c'est clair, voire même à un moment je l'ai presque soupçonnée d'être vaguement amoureuse de son prof comme une petite fille un peu solitaire peut l'être. Bref oui ça peut être intéressant de mettre davantage ça en lumière, mais pour ce qui est de faire de ce personnage un des héros, je ne sais toujours pas trop à quoi m'attendre. Je t'en dirai plus quand j'aurai lu la suite !
Avec plaisir pour discuter sur le forum, je m'apprête justement à répondre à ton jdb :D PA pour moi c'est un genre de laboratoire à histoires donc sens-toi libre de demander des avis sur ton jdb et/ou de lancer des Discussions littéraires sur des points qui t'intéressent, pour recueillir des avis larges !
Très heureuse de t'avoir aidée en tout cas ♥ J'ai vraiment un ptit coup de cœur pour cette histoire, ça déclenche toujours chez moi l'envie d'apporter de l'aide quand c'est possible !
Chapitre encore très agréable à lire. Je m’attendais à ce que Ingrid soit plus emportée et énervée contre Tristan (du fait de son caractère survolté et un peu control freak), et j’ai un peu l’impression que Tristan n’a pas expliqué son acte non plus…
Mais comme toujours, hâte de lire la suite !
C'est intéressant l'idée de lier le livre lu par Ingrid et la quête mais j'ai trouvé la transition entre son agacement et l'idée un peu brusque. Une phrase de liaison n'aurait pas été trop à mon avis.
C'est intéressant de voir la relation entre Ingrid et Tristan se développer au fur et à mesure, même si les deux restent très campés sur leur position. Ils se connaissent quand même de mieux en mieux et je trouve que ça se ressent dans leurs échanges.
Cette soirée avec la nouvelle star du chant prédite par Ingrid est une super idée. J'ai hâte de voir ce que ça va donner, j'imagine qu'elle risque d'entraîner quelques ennuis xD
Mes remarques :
"Vous devriez vous mettre route !" -> en route
"m’avait déjà pris dans ses bras." -> prise
"Il y a tellement de chances qui prennent tes prophéties pour argent comptant" -> de gens ?
Un plaisir de me replonger dans ton histoire,
A bientôt !
Ravie de te revoir par ici ! Je vais suivre ton conseil avec la phrase de liaison :) encore une fois, merci pour tes remarques, toujours précises et utiles !
À bientôt :)
La quête avance, ça y est, même si Ingrid y va un peu à l'arrache XD je n'ai pas ressenti de longueur dans ce chapitres ci, même si je commence à avoir hâte qu'elle commence.
La soirée va être l'occasion de remettre un peu de dynamisme je pense, et peut être introduire de nouvelles choses
A bientôt !
Oui, tu présumes bien, cette soirée devrait être le théâtre d'un nouveau développement...
À bientôt !