La salade

Saviez-vous que les plantes nous écoutent ? Non, je vous jure, si vous parlez un peu à votre plante chaque jour elle grandira plus vite. Enfin, si vous lui dites des choses gentilles, sinon elle déprimera. Logique.

En ce qui concerne la salade, c'est différent. Il s'agit d'un dispositif émetteur, qui enregistre nos conversations pour nous espionner.

Par le tonnerre ! Mais qui ose écouter en secret les échanges de la famille Le Floch sur le temps qui passe devant ladite salade ? Est-ce le gouvernement ? Est-ce un réseau d'espion du pays voisin ? Est-ce grand-maman ?

Non ! C'est bien pire ! Il s'agit des aliens !

Sur la planète Paciflora, il y a longtemps, tout le monde avait peur. Un régime totalitaire et radical avait pris le contrôle de tous les territoires et gouvernait les pacifloriens avec une main de fer. Aucun écart n'était permis, aucune injure, aucune critique, aucune pensée contre le gouvernement n'était tolérée. Un seul faux-pas, et l'on disparaissait sans jamais réapparaître, laissant à tous les êtres aimés un manque qui ne saurait se combler.

Il y avait des espions partout, personne ne faisait confiance à personne, et aucune résistance n'osait naître, pour la simple et bonne raison que les oreilles des pacifloriens, grosses comme des salades, avaient une ouïe particulièrement développée.

Tout se savait, y comprit la détresse et le malheur de son voisin.

Un éminent scientifique, qui ne faisait que ce que son travail, c'est à dire : étudier les galaxies lointaines afin de les conquérir, créa une technologie révolutionnaire, un émetteur radio, capable de suivre en direct toute conversation malgré une distance astronomique. Idéal pour espionner les nouvelles planètes à coloniser, mais comme il s'était inspiré des oreilles de son espèce, cet émetteur était d'une taille démesurée. Il fallait le rendre donc nécessaire pour qu'il soit utilisé par le maximum d'aliens, et grâce à l'aide de son équipe, le scientifique arriva à le rendre vivant et comestible.

Je vous laisse imaginer la prouesse technique et les récompenses qu'on lui attribua.

Les pacifloriens commencèrent ainsi leur espionnage sur la planète Terre, et l'opération fut un grand succès : les humains confondirent cette technologie avec une plante, la consommèrent, l'introduisirent dans leur culture en l'appelant ''salade'' et la produisirent en masse, à tel point qu'une grande partie de la population en mangent au moins une fois par jour.

Le plan des pacifloriens marchaient à la perfection. Mais, ils découvrirent une chose qu'ils ne connaissaient pas : la musique. Une harmonie de sons entremêlés, tous plus ou moins savoureux et uniques. Une avalanche d'émotions et de couleurs. Une éruption de beauté brûlante qui saisit leur cœur froid et triste, qui carbonisa leur peur.

Une rumeur qu'ils écoutèrent dans le calme.

Ils se regardèrent, et un nouveau courage naquit dans leur âme : il était hors de question de laisser cette planète être conquise et de laisser cette musique disparaître dans le néant.

Une grande révolution vit le jour et, se nourrissant de cette nouvelle mélodie, gagna en puissance. Certains même parmi les forces de l'ordre furent séduits et voulurent protéger ce qui leur semblait essentielle. Et la musique leur était devenue essentielle.

Un nouveau gouvernement vit le jour, non sans mal, mais leurs efforts payèrent enfin. La liberté venait de gagner du terrain, et l'espoir vivait à nouveau parmi les pacifloriens.

De nos jours, ces derniers ont une coutume : lorsque leurs enfants naissent, il leurs est attribués un émetteur personnel régler sur une salade terrienne. Ils écoutent la vie des animaux et des humains qui passent à leur portée, et lorsque la salade se fait manger, le canal bascule automatiquement sur une autre.

Les pacifloriens apprécient particulièrement lorsqu'un humain fait écouter de la musique à ses plantes, même s'ils savent que ce n'est pas fréquent et encore moins volontaire.

Mais un jour, ils espèrent trouver le courage d'émettre dans le sens inverse leur propre musique à travers nos salades.

Car donner de bon cœur apporte un sentiment de bonheur et de légèreté que l'on ne découvre jamais en arrachant quelque chose de force à quelqu'un.

La Mousse