Depuis bien longtemps, elle trônait ici. Des années, des dizaines d’années. Elle était ici, figée pour l’éternité à s’ennuyer ferme. Il faisait tout le temps sombre dans cette haute pièce. Elle sentait bien à sa droite une pointe de lumière, mais bouger tenait de l’impossible. Alors elle gardait le regard fixe. Le point positif, c’était qu’elle connaissait tout ce qui était dans son champ de vision sur le bout des doigts. Le point négatif, c’était… qu’elle connaissait tout ce qui était dans son champ de vision, sur le bout des doigts. Rien de bien palpitant.
Il y avait bien ses sœurs, évidemment, mais elle ne les avait jamais vus qu’en bordure. Elle pouvait vaguement apercevoir une main crochue pour l’une, et le bras et la jambe de l’autre. Le voile opaque qui les dissimulait rendait le dessin de leurs courbes plus doux à la lumière. Elles ne se connaissaient pas vraiment ; après tout, elles ne s’étaient jamais vraiment vues. Depuis tout ce temps, elles ne faisaient que fixer un point vide. Leur regard ne s’était jamais croisé. De temps à autre, elle sentait la colère de l’une, l’agacement de l’autre, sans jamais qu’il ne fût exprimé clairement.
De la poussière tombait parfois d’au-dessus. Elle pouvait passer des jours entiers à imaginer ce qu’il y avait, là-haut. On trompait l’ennui du mieux qu’on le pouvait. Un oiseau passait dans son champ de vision, et c’était l’émerveillement : d’où venait-il, que faisait-il, qu’allait-il faire après ? Bien sûr, jamais cet émerveillement ne se voyait : elle restait de marbre. C’était tout un programme qui se présentait à elle, un programme qui l’occupait quelques instants ou quelques années, puis revenait le morne ennui et la danse lente de la poussière qui s’amoncelle.
Quelquefois, des gens passaient : ils faisaient du bruit, les regardaient, elles et ses sœurs, sans jamais se douter qu’elles les voyaient aussi, puis repartaient. Ils restaient plus ou moins longtemps, les pointaient du doigt ou se contentaient de les observer, mais ils finissaient toujours par repartir. Ce n’était pas non plus une grande distraction.
Une fois, elle avait essayé de bouger ce corps de pierre : elle voulait aller au-delà. Pourtant, il semblait qu’elle n’avait aucune prise sur la matière : elle y était juste accrochée, scellée ; aucune chance pour elle de s’en échapper. Ce n’était pas vraiment un supplice : dans le fond, elle ne savait pas vraiment ce que c’était, que bouger ; mais le mouvement, elle l’avait déjà vu sans jamais l’éprouver : dans les ailes de l’oiseau, la danse des voiles, les pas des gens, et elle le désirait. Elle en enviait presque la poussière tourbillonnant dans leur sillage, même si ce n’était que s’envoler pour mieux retomber. Elle aussi, elle voulait danser.
Connaissant le jeu Dixit (j'y ai joué quelques fois), ça m'a énormément plu car j'ai vu dans ma mémoire de quelle carte tu parles ici, c'est très amusant !
Comme d'habitude, un superbe écrit. J'ai pris plaisir à le lire.
Merci à toi !
Tu as réussi à reconnaître la carte ?! Waw, bravo.
Merci beaucoup, pour ton commentaire >w<
C'est malin, j'ai envie de voir la statue danser maintenant… Elle pourrait danser, visiter le monde, chercher à le contrôler… Ouh je m'égare peut-être.
Ce qui est bien avec ce challenge DLP, c'est que ça permet de découvrir de nouvelles plumes avec lesquelles je suis peu ou pas habitué. Une chouette découverte que ce texte !
Et merci pour ton commentaire >w<
Très joli et poétique :) On a presqu'envie d'avoir une suite où la statue parvient à se mettre en mouvement pour partir découvrir le monde :D
Les statues, si belles de l'extérieures et pourtant piégées à jamais par leur condition. Très beau :)
On sans beaucoup de mélancolie, d'ennui.
Je pense que l'expression "s'ennuyer ferme" est trop familière par rapport au reste de ton texte.
Merci pour ton histoire !
C'est super doux comme texte, poétique et très touchant ! J'ai également ressenti comme une note de tristesse tout au long, c'est vraiment super !
Même le titre est beau !! XD
On ressent le temps qui passe, l'ennui que ressent cette statue... Tu nous plonges sans difficulté dans ton univers !
C'est très agréable à lire, tu as une jolie plume, bravo !!!!
"Elles ne se connaissaient pas vraiment ; après tout, elles ne s’étaient jamais vraiment vus" → vues ;p
Merci tout plein >w< J'ai commencé ce texte sans avoir aucune idée d'où il allait se finir, le titre est venu seulement vers les deux derniers paragraphes :p
Rah, mon inspiration vient toujours tard le soir, il y a toujours des fautes qui arrivent à passer, c'est la fatigue ça ! Merci :3
Comme La Cabane, j'ai trouvé ce petit texte doux, beau, et poétique. Il y a quelques très petites répétitions par-ci par-là, mais franchement c'est propre, et doux...
D'une manière très indirecte, ça me fait un peu penser au Fou et la Vénus, de Baudelaire, dans l'immuable éternité de la statue. On est un peu dans une Galatée, qui n'a pas rencontré son Pygmallion.
Vraiment très joli, hâte de voir ce que tu produiras d'autre !
Oh, c'est vrai que je n'y avais pas pensé, à Galatée OwO (et je n'ai pas lu Baudelaire).
Merci, see you à la prochaine carte :p
Merci >///<
C'est très jolie cette nouvelle, et bien vu avec la carte dixit !
Ce qu'il faut de poésie, de tendresse, d'espoir, de nostalgie.
J'ai pris beaucoup de plaisir à glisser sur les lignes de ton texte
Merci beaucoup 'w' J'ai eu du mal au début, la carte ne m'inspirait pas vraiment, alors j'ai été au plus simple (selon mon esprit parfois tordu) : D