La tête comme une télévision

Les adultes répétaient toujours la même chose à Anthony. S’il regardait trop la télévision, sa tête en deviendrait une. Il n’y croyait pas. Enfin pas vraiment… Sinon ça serait trop beau. Il aurait bien aimé avoir une télévision à la place du crâne. Comme ça, il ne louperait plus jamais le début des dessins animés.

Ses parents l’avaient inscrit dans une école qui n’était pas proche de chez lui. Pour y aller et revenir, il devait prendre le bus. Cela lui faisait perdre un temps fou. Des minutes de ses émissions qui filaient sans que personne n’en ait rien à faire.

La seule réponse qu’on lui avait offerte était qu’il lui fallait grandir. Une remarque qui avait le don de l’énerver. Qu’est-ce que ça voulait dire devenir grand ? Si c’était ne plus voir de dessin animé alors non, ce n’était pas pour lui.

Du coup, une soirée alors que ses parents n’étaient pas là et qu’il aurait dû dormir, il se releva. Puisqu’on l’abandonnait autant, faire ce qu’il voulait. Il récupéra donc une préparation à gâteau liquide qu’il déposa dans un moule, puis glissa le tout au four. Une douce odeur de vanille s’en échappa. Plus le cake se développait, plus le parfum lui mettait l’eau à la bouche.

Quand sa gourmandise fut prête, Anthony prit bien garde à ne pas se brûler pour la démouler. Maintenant que tout était en place, il n’avait plus qu’à s’installer confortablement dans son fauteuil et choisir une chaîne qui ne diffusait que des dessins animés. Il y en avait plusieurs, depuis que son père avait souscrit à un abonnement pour voir les matchs de foot en direct.

Le garçon profita tellement du spectacle qu’il en oublia le gâteau qui refroidissait. Même s’il était fatigué, il se forçait à regarder les épisodes qui s’enchaînaient sur l’écran. Il voulait absolument connaître la fin de l’histoire. Le souci, c’était que lorsqu’il l’eut, il se laissa happer par un autre dessin animé.

Lorsque la porte s’ouvrit, il prit conscience qu’il avait passé la nuit devant la télévision. Un sourire se dessina sur son visage, à l’idée d’avoir brisé un interdit.

Sa mère poussa le battant du salon et se mit à hurler. Son père arriva et le fixa sans rien dire. Devant leur réaction étrange, le jeune garçon s’inquiéta. Est-ce qu’il allait le punir ?

– Tu es fier de toi, commença son père en croisant les bras.

Anthony cligna des yeux. Avant qu’il ne puisse répondre, son parent l’entraîna vers le miroir.

– La tête comme une télévision !

À cette nouvelle, le petit garçon se sentit poussé des ailes.

– File dans ta chambre et n’en sort pas avant qu’on te le dise. Plus de dessin animé pour toi.

Fatigué, Anthony se coucha sans penser à rien.

***

Le lendemain et les jours suivants, sa tête resta une télévision. Au départ, il s’était imaginé que c’était une bonne chose, mais finalement, il ne pouvait toujours pas voir le début des dessins animés dans le bus. Lorsqu’il se plaçait sur la chaîne voulue, les images défilées sur son visage sans qu’il ne puisse les regarder et le son qui sortait de sa bouche l’empêchait de parler. Ses amis en étaient plutôt heureux, mais cela ne faisait que le frustrer davantage.

Des gens venaient même l’aborder dans la rue pour qu’il se mette sur la chaîne diffusant les matchs de foot et refusaient de le lâcher tant qu’ils ne connaissaient pas le gagnant. Il détestait ça. C’était comme si l’on ne voyait en lui qu’un vulgaire objet.

Alors un soir, il prit le bocal sur poisson rouge et décida de le fixer toute la nuit. Sans savoir pourquoi il avait dans l’idée que cela l’aiderait à se dépasser de son étrange maladie. Plusieurs fois, son esprit dériva et il dut se concentrer pour ne pas tourner la tête. Il fallait avouer que regarder l’animal qui s’agitait était beaucoup moins passionnant qu’un dessin animé.

Malgré tout, il tint bon. Sa récompense arriva le lendemain lorsque son crâne eu repris son apparence habituelle. Tout le monde en fut heureux. Sauf la petite télévision qui nageait dans son bocal.