La tour de l'horloge

Notes de l’auteur : Chères plumes,

Cela fait deux bonnes années que cette histoire me trotte dans les méninges, il était temps de prendre le risque qu'elle soit lue ! L'histoire est là dans ses grandes lignes mais j'ai toujours été une piètre architecte...

J'espère que vous prendrez plaisir à cette lecture et surtout, que vous m'éclairerez de vos talents de bâtisseurs.

Je n'ai jamais bien sû faire des fiches, un plan etc., et après deux années à espérer avoir le déclic je me suis finalement résolue à tout simplement l'écrire. Et espérer que ce petit monde trouvera une cohérence solide, sous vos yeux de bonnes fées marraines !

Au plaisir de vous lire :)

Albi

9h45 était ce matin là l'heure la plus attendue. Mademoiselle Grivedoux terminait justement d'écrire à la craie la date du Lundi 6 Septembre. Les douze écolières se pressaient aux extrémités de leurs bancs, toutes roses d'excitation. Elles avaient l'air de pêches à deux doigts de tomber de l'arbre. Plus que 5 minutes avant la récré !

Le chat Ficelle glissa mollement du pan de fenêtre de la salle de classe. Il traversa la cour encore vierge de toute marelle et alla se pavaner en roulant et déroulant amoureusement sa queue en plumeau entre les bottes de Georgie. C'était d'instinct que chat et maître se retrouvaient à 9h41 très exactement. Le brave homme rabattait alors balais et râteau sur son épaule, laissait les dernières feuilles gambader sous le préau et ouvrait la porte de sa loge de gardien. C'était pour Georgie l'heure du café au sucre et pour Ficelle celle de la soucoupe de petit lait.

Dix heures moins le quart, était aussi l'heure fort attendue par Gustave Boissec, rivé au passage piéton pour assurer les allées et venues. Cela faisait deux bonnes heures déjà qu'il arpentait son rectangle de route en képi, en gants et en moustache dans son bel uniforme bleu outremer. Sa présence était, plus qu'une réelle nécessité, une petite touche solennelle qui venait agrémenter le jour de la rentrée des classes et piqueter quelques étoiles pleines de rêves dans les yeux des futurs écoliers. Les filles rejoignaient l'établissement de gauche, les garçons celui de droite, quant à lui, il assurait la circulation de tout ce beau petit monde entre deux passages de voitures.

Depuis 8h sonnantes donc, Boissec souriait sous sa moustache, les pommettes rondes comme deux abricots bien mûrs. Il avait tâché de faire autorité, dissimulant mal l'éclat rieur qui crépitait sous ses sourcils broussailleux. La rentrée des classes était l'un de ses péchés mignons, et pour cause ! Le mot « gendarme » agitait l'imagination des enfants, semant des rêves de sauvetage chez les romantiques, des songes de courses-poursuites chez les aventureux. Tout gonflé par l'admiration que lui vouaient les jeunes élèves, Gustave espérait que les jolis yeux noisette de Mademoiselle Grivedoux, l'institutrice de l'école des filles, n'avaient rien raté du spectacle.

Les deux heures qui avaient suivi la fermeture du portail de l'école n'avaient pas terni l'enthousiasme du gendarme, bien que le profil de l'institutrice n'ait pas reparu dans l'encadrure de la fenêtre depuis lors. Car bientôt, les petites prendraient le dehors pour la récréation et Mademoiselle Grivedoux en profiterait pour aérer sa classe. Elle frotterait ses petites mains couvertes de craie par la fenêtre et pencherait sa mine rêveuse sur laquelle rouleraient les grandes boucles noires retenues en queue de cheval. Son regard noisette parcourrait la ruelle vide et tomberait sur lui, Gustave Boissec, superbe dans son beau costume à épaulettes toutes brodées d'argent.

Il n'y aurait qu'eux, nul doute qu'elle lui ferait signe ! « Bonjour Monsieur l'agent ! » dirait-elle, et peut-être même qu'elle toucherait un mot au sujet du passage qu'il avait si bien orchestré ce matin : « Merci, Monsieur Boissec.», dirait-elle de sa voix de rossignol, le rose aux joues. « Mais de rien, Mademoiselle, je n'ai fait que mon devoir ! La classe s'est-elle bien passée ? » Lui répondrait-il, très professionnel, en se découvrant du chef pour la saluer. Et ils converseraient ainsi gentiment, jusqu'à ce que 10h sonne à la cloche de l'école. « Bonne journée Gustave ! » lui dirait-elle avant de refermer la fenêtre. Alors, qui sait, il lui proposerait peut-être d'aller prendre le café Chez Marius pour 13h...

-   Lieut'nant !

Boissec fut brusquement sorti de sa rêverie par un cri aigrelet provenant de la Rue du Faubourg qui se déroulait de l'école jusqu'à la place du marché. Il cligna des yeux et tourna un regard effaré vers le cornichon qui courrait vers lui en crachant ses poumons. Oh sang-bleu...C'était Grispin. Sa nouvelle « recrue ». Un jeune gars taillé comme un haricot vert. L'un de ces petits garçons chez qui il avait semé des rêves de justicier, un qui avait grandi avec des étoiles démesurées dans les yeux. Le colonel lâcha un soupir, détournant avec regrets ses yeux de la fenêtre close de Mlle Grivedoux. Il vissa son képi sur son crâne, croisa les mains dans son dos et redressa son large buste avant de tourner une mine orageuse vers le Grispin qui se planta devant lui en se mettant au rapport.

- Lieut'nant vous voilà !

- Combien de fois dois-je vous le répéter, Grispin, c'est « maréchal » ! gronda Boissec sous sa moustache en jetant un regard oblique en direction de la fenêtre. Tournebidouille ! C'est qu'il allait lui gâcher l'occasion ce corniaud !

- Oui mon colonel ! opina Grispin en articulant au milieu d'une lampée d'air qui faillit l'étrangler

- Eh bien, ne restez pas planté là comme un réverbère ! Parlez sang-bleu !

- Ce...C'est Philo monsieur...hhh...vous savez l'horloger...hhh...enfin, le fils du vieux Léon, monsieur...hhh...Philomène !

- Et bien quoi Philo ? soupira le maréchal Boissec en se pinçant l'arrête du nez.

- Quelque chose a mal tourné, monsieur, y'a eu comme une explosion depuis le haut de la tour lieutenant ! Et puis elle a eu comme un tremblement qui l'a secouée toute entière mon colonel. Les gens ont peur qu'elle s'écroule !

- Qu'elle s'écroule ? articula Gustave, incrédule. Il en avait entendu des absurdités, mais de ce genre là c'était inédit ! Le plus solide monument du village, sur le point de s'écrouler

- Oui monsieur, et le Philo qu'est toujours pas redescendu de là-haut ! Faut venir vite monsieur ! 

Les habitants étaient sortis de leurs maisons et s'étaient rassemblés autour de la terrasse de Chez Marius, le café situé en face de la tour horloge. Ils regardaient sidérés le grand cadran horaire d'où se dégageait une étrange fumée bleue qui s'évaporait lentement dans les airs. Un vieil homme noueux comme un cep de vigne se précipita de l'étroite Rue des Alouettes pour débouler au milieu de la place du marché où tous étaient déjà rassemblés.

Son visage s'allongea derrière ses petites lunettes rectangulaires lorsqu'il aperçut les volutes sombres qui s'échappaient de la tour.

- Nom de Dieu, Philo !

Alors qu'il allait s'engouffrer par la porte d'entrée du bâtiment enfumé, une poigne solide lui retint le bras. Désemparé, le vieil homme leva le nez vers l'oeil inquisiteur de Gustave Boissec, talonné de près par le jeune Grispin.

- Halte-là ! On ne sait pas ce qu'il se passe là-dedans, Léon. » l'avertit le moustachu de sa puissante voix grave.

- Par tous les saints Gustave ! Ce sont mon fils et mon petit-fils à l'intérieur ! vociféra le vieil homme en les foudroyant du regard sous son épaisse tignasse blanche couverte de copeaux.

- Raison de plus pour être prudent..., articula calmement le maréchal en serrant amicalement mais fermement l'épaule du menuisier, ...Reste là, je m'en ch...

Un craquement sinistre ébranla toute la tour. Les gens rassemblés autour du café reculèrent, effarés, tandis que Grispin, Boissec et le vieux Léon restaient pétrifiés face à l'énorme horloge. Ses vieilles pierres s'ébrouèrent et la bouche d'entrée cracha un énorme nuage de poussière en produisant un gémissement sinistre.

Les habitants pointèrent du doigt le sommet de la tour, ses vieux rouages émirent un cliquetis macabre que chacun put entendre distinctement. La grande aiguille se déplaça péniblement vers le 12 et la petite s'aligna sur le 10. Il était 10 h pile. Chacun retint son souffle.

A l'intérieur, un grincement sonore fut suivi de bruits de ressorts désordonnés. Puis, la cloche sonna neuf coups dans un silence funèbre. Lorsque le dixième coup retentit enfin, secouant la bâtisse de pierres d'un dernier soubresaut, Léon se dégagea de l'emprise du gendarme et disparut dans l'entrée poussiéreuse. Boissec et Grispin se jetèrent un bref coup d'oeil et s'élancèrent à sa suite.

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Aliam JCR
Posté le 25/12/2021
Bonjour 😊

Tu as bien fait de te lancer ! Alors, je te préviens tout de suite tu n'auras pas de conseils d'architecte pour ton récit, j'en suis moi-même une mauvaise architecte... 😅

Je peux cependant te donner mon avis, qui est plus que positif de mon côté ! Je trouve que c'est un très bon début et j'ai hâte de lire la suite !
Albiréo
Posté le 27/12/2021
Merci beaucoup Aliam !
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