La ville sucrée

Par Elf

Piccola Luce rangea soigneusement l’image dans son sac à dos et se mit à siffloter gaiement. Elle sautillait sur le chemin bordé de champs, ses cheveux bondissant au rythme de ses bonds joyeux. Luce était heureuse de ses rencontres, elle arrivait à partager un peu de couleurs dans la vie des autres, et rien que ça, elle avait l’impression d’avoir un arc-en-ciel dans les yeux. Le ciel qui semblait si terne auparavant se constellait de taches d’un bleu éblouissant.

 

Quelques minutes plus tard, son regard discerna une silhouette au loin. L’aventurière réajusta ses lanières et accéléra l’allure en chantonnant. Comme attirés par sa voix enfantine, les tournesols pivotaient vers elle. Rapidement, elle arriva à la hauteur d’un jeune garçon. Luce s’arrêta puis souleva son chapeau azur dignement.

- Bonjour !

Le bonhomme hocha la tête, secouant ses cheveux filasses au passage. Luce agrandit son sourire malgré le silence de son interlocuteur. Il demeura impassible. L’aventurière sentit sa moue boudeuse remonter jusqu’à son nez froncé. Le garçon finit par déclarer :

- Tant de joie est étrange par chez nous.

Luce haussa les épaules en plissant les yeux. Le bonhomme portait un costume noir beaucoup trop large pour lui : la veste et le bas de son pantalon étaient retroussés. Une longue cravate dévalait une chemise blanche pour s’arrêter à une ceinture de cuir qui serrait sa fine taille. De grosses bottes à lacets et maculées de boue remontaient par dessus son pantalon. Le garçon songeur jouait avec une canne en bois, grattant la terre. Son visage si sérieux ne parvenait pas à cacher la jeunesse de ses traits. Luce sourit innocemment en croisant le regard sombre qui la fixait avec insistance. Elle avait dû le dévisager un peu trop longtemps.

- Tu t’appelles comment ? demanda-t-elle tranquillement. Moi, c’est Luce.

Il haussa un sourcil.

- Signore Raffinato.

- C’est long ! Un peu. Non ?

La canne frappa le sol. Mécontent, les sourcils froncés, Signore Raffinato s’indigna en silence. Il pinça ses lèvres en soufflant par le nez. Luce trouva ses manières trop adultes.

- Je te trouve austère, Signore Raffinato. Et j’aime pas ça. Pourquoi tu ne souris pas ? Moi, je pense…

- Je n’ai pas demandé votre avis, siffla l’intéressé entre ses dents.

Luce croisa les bras. Mais, après avoir livré une bataille de regard, elle prit son chapeau et le posa sur la tête du Signore.

- Cela te va bien.

- Je ne sais, je n’ai pas de miroir.

- Allons à une rivière, ou au village le plus proche pour que t’admires le résultat !

Signore Raffinato haussa un sourcil.

- C’est juste un chapeau.

Un soupir fila entre les lèvres de Luce.

- Oui, mais il est bleu. Viens, Signore Raffi.

Elle lui prit la main avant qu’il ne réagisse. Ainsi, dans un silence entrecoupé des fredonnements de Luce, ils arrivèrent dans une étrange ville. Piccola Luce, muette, serra la main du Signore Raffinato. Il se dégagea immédiatement.

- Où sommes-nous… murmura-t-elle.

Ils se trouvaient dans une rue vide, où d’immenses pâtisseries-maisons les surplombaient. L’aventurière hésitait entre la fascination et la crainte. Les ombres des bâtiments formaient des silhouettes presque monstrueuses.

- Je ne sais pas. Vous nous avez emmenés dans une cité peu rassurante.

Luce hocha la tête.

- Faisons demi-tour ? chuchota-t-elle. Cet endroit me rappelle trop la légende d’Hansel et Gretel…

Signore Raffinato ouvrit de grands yeux avant de prendre un air condescendant.

- Enfin, c’est une légende ! Ne croyez pas…

Un bruit, comme le son d’une bombe à chantilly, retentit. Les enfants sursautèrent.

- Bon, faisons demi-tour, acquiesça le garçon.

Ils reculèrent lentement, mais au bout de plusieurs minutes, constatèrent qu’ils faisaient du surplace. Le mur violet à étoiles à leur gauche ne bougeait pas, et la maison en chocolat à leur droite non plus. Pourtant, leurs pieds rebroussaient chemin. Quand les enfants le comprirent, ils se jetèrent une œillade horrifiée.

- Je pense… que nous devons traverser la ville pour en sortir, annonça Signore Raffinato.

Luce eut un sourire crispé mais ils commencèrent à marcher aussitôt. Ils filèrent dans une brume jaunâtre à l’odeur de gâteau sans un mot. De géants sucre d’orge encadraient la route de cassonade sur laquelle ils avançaient. Les habitations se diversifiaient mais restaient toujours de géantes pâtisseries, énormes cakes, charlotte aux fraises, cupcakes colorés, fondant au chocolat… Les enfants sentirent leur ventre gronder doucement malgré la peur.

- Vous croyez qu’elles ont vraiment le goût de gâteau ? demanda le garçon.

- Vu l’odeur, je pense que oui.

Les senteurs chaudes et sucrées passaient comme des brises alléchantes sous leur nez.

- Vous croyez que nous pouvons goûter ? continua-t-il.

- Hum…

Luce avait envie de dire oui pour soulager son estomac qui criait soudainement famine, mais la raison l’empêchait de l’avouer. Signore Raffinato s’approcha d’une porte en biscuit l’effleura. L’aventurière entendit clairement le ventre du garçon gargouiller. Ce dernier se dépêcha de couper un morceau de la porte et l’apporta à sa bouche. Il mastiqua lentement, le biscuit craquait sous ses dents.

- Mmmmh. C’est délicieux.

Piccola Luce regarda autour d’elle. Rien ne se passa. Elle rejoignit son compagnon de route précipitamment. Du bout des doigts, elle récupéra la crème du toit. Ses papilles se délectèrent. Les deux enfants échangèrent un regard complice avant de dévorer le mur au chocolat.

 

Pendant qu’ils engloutissaient avidement les géantes pâtisseries, un rire les coupa net. Le rire n’était en rien rassurant, il semblait plutôt sadique. Les enfants se levèrent doucement tandis que le son se rapprochaient.

- Signore Raffi…

- Je pense que nous devons partir.

- Mais… par où ?

Le garçon haussa les épaules et remplit son manteau de morceaux de biscuits. L’aventurière fourra du fondant dans son sac à dos. Le rire se rapprochait encore, et encore, rythmé par des silence angoissant.

- Partons, souffla Luce.

Elle enfila son sac lourd et se mit à courir. Signore Raffinato la suivit. Le rire s’intensifia. La cassonade à leurs pieds sembla les avaler comme du sable mouvant. Leurs chevilles s’engluaient.

- Raffinato. Montons sur les toits.

Ils se firent la courte échelle et se hissèrent sur les toitures crémeuses. Les enfants reprirent leur course, mais le ventre ballonné d’avoir trop mangé, ils n’arrivaient pas à avancer assez vite. Le rire semblait les encercler, les poursuivre, et s’amplifier. Le visage sale de sueur, de biscuits, Luce sentit qu’elle n’arrivait plus à courir. Elle s’effondra.

- Raffi, attends.

Le garçon se retourna et lui tendit sa canne. Elle s’y accrocha pour se relever difficilement.

- Allez, Luce, on a plus que quatre toits et c’est fini.

Ils reprirent leur fuite, s’accordant des pauses rapides. Luce avait l’impression d’avoir le cœur au bord des lèvres. Signore Raffinato se retourna vers elle.

- Continuez de courir ! Plus que deux toits !

Luce ouvrit de grands yeux paniqués. Derrière son compagnon qui la regardait, se dessinait une silhouette légèrement au-dessus du sol.

- Raffi, hoqueta-t-elle.

Le garçon haussa un sourcil avant de faire face à une femme au sourire édenté. Son rire lacéra l’air. Elle entortilla une mèche graisseuse autour de son index, avant de se mettre à poursuivre les enfant, assise sur un sucre d’orge comme sur un balai volant. Signore Raffinato avait rejoint Luce et ils sautèrent par dessus la route pour lui échapper.

- Courez, je m’en occupe, ordonna le garçon.

- Pas la peine de faire le preux chevalier, tu n’y arriveras pas tout seul. On s’en occupe.

Signore Raffinato haussa un sourcil.

- Très bien.

Ils foncèrent sur la femme au rire machiavélique. Sa robe noire se cachait derrière un tablier maculé de farine et de chocolat. La femme les percuta sans scrupules. Ils s’effondrèrent dans la crème anglaise. Chancelants, ils se relevèrent couverts de flan pendant que la femme tournait autour comme un vautour dans un sifflement inquiétant. Luce eut alors une idée. Elle bondit sur un lampadaire-sucre d’orge.

- Hue dada ! s’écria-t-elle.

Rien ne se produisit, à part qu’elle glissa lentement le long de la friandise.

- Sésame, envole-toi ! Un, deux, trois, tu t’envoleras ! Cours, vole, et nous venge ! Alleeeeez !

L’aventurière s’égosilla à dire des formules magiques, pendant que le garçon vacillait sur les toits. La femme l’attrapait mais il réussissait à s’échapper, elle ne gardait que des morceaux de sa veste de costume.

- Wingardium Leviosa ! Bibbidi-Bobbidi-Boo, on s’envole !

Luce finit par mordre de rage le sucre d’orge. L’acidité pétilla dans bouche et elle en fut écœurée. Mais cela porta ses fruits, car la friandise s’éleva.

- Wooouaaaaah !

Un peu maladroite, elle le dirigea vers Signore Raffinato, faillit le renverser, mais le garçon s’accrocha à l’aide de sa canne au sucre d’orge. Piccola Luce fonça droit devant elle, évitant la femme qui essayait de les faire tomber. Les enfants passèrent au-dessus d’un bois d’arbres noirs au fruits rouges – une forêt noire. Le rire de la femme ne s’arrêtait pas, et Luce se demanda si elle savait s’exprimer autrement.

Enfin, ils discernèrent les champs et s’y jetèrent dedans. La femme s’arrêta à la frontière de la forêt en riant – à moins que ce soit des pleurs. Puis elle fit demi-tour, l’autre sucre d’orge à bout de bras.

Les deux enfants mirent du temps à reprendre leur souffle.

- Et ben…

- Que d’aventures, je suis chamboulé.

Piccola Luce rit joyeusement.

- Il faut que je m’achète un nouveau chapeau, tu as perdu le mien… Tu m’accompagnes, Raffi ?

Le garçon haussa un sourcil. Dégagea un épi de blé de ses cheveux fins. Gratta son menton.

- Pourquoi pas.

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mariedeloin
Posté le 23/12/2020
Quelle imagination !
Je me suis bien amusée à visualiser Luce à califourchon sur son sucre d'orge à déclamer toutes les formules magiques de ses souvenirs!
Elle a un compagnon pour la suite... Voyons ce qu'ils deviennent.
mariedeloin
Posté le 23/12/2020
Juste deux remarques:
"Les ombres des bâtiments formaient des ombres presque monstrueuses." -->> il y a une répétition de "ombres".

"- Je ne sais pas. Vous nous avez emmenez dans une cité peu rassurante." -->> vous nous avez emmenés

;-))
Elf
Posté le 23/12/2020
Hey !

Merciiiiii, ça me fait plaisir de voir que mon conte te plaît toujours ! Et merci aussi pour les remarques (en effet, la répétition n'est pas de bon augure XD)
D'ailleurs j'ai vu ton message privé hier, ça m'a fait sourire hihi.

Peace ;)
mariedeloin
Posté le 23/12/2020
Ah super si tu as reçu le message privé. Comme je n'avais pas de réponse, j'avais peur d'avoir mal envoyé! Je suis gourde parfois...

A bientôt !
Elf
Posté le 23/12/2020
Hihi, non, c'était parfait, t'en fais pas :) C'est moi, j'avais la flemme de me connecter sur PA de nouveau pour répondre sur le coup, et après j'ai oublié, je suis désolée ! (SHAME ON ME)
mariedeloin
Posté le 23/12/2020
[SHAME ON YOU!]
The Pighead
Posté le 21/08/2020
Eh bien, maintenant, je vais noter ça dans un coin : si vous vous retrouvez face à une vieille sorcière machiavélique, mordez dans un sucre d'orge et vous serez libre. En fait, c'est plus utile qu'on ne le croit.

Plus sérieusement, que dire ? On continue sur le même niveau de qualité que les précédents épisodes et là, j'en suis juste à un état d'esprit où j'ai juste envie de voir les chapitres suivants et où je me demande juste ce que ça va être, la suite. Surtout avec le fait que Raffi va être dans plus d'1 chapitre, ça promet des choses intéressantes pour le futur !
Elf
Posté le 21/08/2020
Ahaha, on peut retirer de belles leçons dans les livres x)
Wow, merci <3 Moi aussi j'ai hâte de voir la suite... qui sera la semaine prochaine ^^
Oui, ce Raffi est prévu depuis presque le début avec quelques autres persos qu'on n'a pas encore vu :)
Merci beaucoup ♥
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