Quelques gouttes glissaient sur le trottoir humide. Luce soupira mais continua de marcher d’un pas guilleret. À ses côtés, Signore Raffinato semblait exaspéré par cette joie constante, levant parfois les yeux au ciel, ou haussant un sourcil.
- Raffi, dis, tu connais cette ville ?
- J’y ai séjourné.
- Tu sais où je pourrais trouver un chapeau ?
- Sans doute dans le centre de la ville.
Piccola Luce le remercia d’un sourire, sans se soucier de la pluie qui gouttait sur son visage rayonnant. Les mains sur les lanières de son sac, elle se dirigea dans la direction indiquée.
- Allons-y ! s’exclama-t-elle.
Ils continuèrent leur cheminement, slalomant entre quelques passants cachés sous de grands parapluies noirs. Luce ne voyait pas leurs visages, mais elle se doutait qu’ils étaient maussades, elle ne pouvait qu’apercevoir les chaussures cirées qui claquaient. L’aventurière sentit son moral baisser à la vue de toute cette obscurité : une moue remonta jusqu’à son nez. Elle voûta les épaules, fronça les sourcils. Pendant quelques minutes, elle ne fredonna plus, s’enfermant dans un mutisme boudeur. Seul persistait le murmure de la ville derrière les gouttes caressant les pavés. Puis le sourire revint doucement sur les lèvres de l’aventurière. Luce avait décidé d’effacer le gris, il ne fallait pas qu’elle se morfonde aussitôt ! Revigorée, elle se mit à danser tout en avançant, éclaboussant légèrement son compagnon de route.
- Que faite-vous donc ? grogna-t-il.
- Je danse.
Luce bondissait au-dessus des flaques, virevoltait entre les piétons éberlués. Signore Raffinato demeurait derrière, les mains dans ses poches, le sourcil levé. Mais elle ne se découragea pas.
- Chère ville, colorez-vous ! Vos parapluies pleurent d’être si ternes, regardez ces gouttes qui coulent sur le trottoir ! Vos lèvres s’attristent d’être toujours à l’envers ! Vos cœurs saignent de ne pas bondir dans votre cage thoracique ! Un peu de couleurs !
Et Piccola Luce dansait sous la pluie. Les vieux bâtiments semblèrent reprendre de leur splendeur d’antan quand elle effleurait leurs briques usées, et quelques animaux furent attirés par son aura colorée. L’aventurière secoua sa crinière blonde sur un rythme qu’elle seule distinguait. Elle claqua des doigts avant de chantonner un tube, en changeant les paroles. Sa voix enfantine résonnait par dessus la pluie, comme une douce odeur enveloppant la rue :
- Je voudrais, je voudrais, je voudrais… de la joie dans vos yeux. Quelque soit la couleur, prenez les primaires : jaune, bleu, rouge... et aussi du vert !
L’intrépide attrapa la main d’une personne âgée camouflée sous son parapluie gris. Elle la serra tendrement, et sortit de sa poche un minuscule nuage.
- Qu’est-ce que… ? demanda la femme d’une voix chevrotante.
- Une nuage de douceurs.
Piccola Luce déposa le cumulus dans la main chiffonnée par les années. La vieille femme se redressa lentement. Ses cheveux gris s’éclaircirent en un magnifique argenté, et ses yeux éteints se mirent à étinceler comme des lucioles dans la nuit. Un sourire maladroit, mais terriblement authentique, orna son visage. Ses doigts tremblants se refermèrent sur le nuage de douceur, comme un bien précieux. Son regard restait bloqué sur ce cumulus, elle sembla hypnotisée. Piccola Luce s’approcha de la femme, et sourit.
- Madame. Votre bonheur n’est pas dans ce nuage. Il est là.
Elle posa délicatement sa frêle main sur le buste de son aînée. Là, elle perçut l’harmonie d’un cœur qui vit.
- Mais…
- Chut… murmura Luce. Écoutez. Vous vivez.
Une larme perla du regard noisette de la femme.
- Et la vie n’est pas délavée. C’est un feu d’artifice de couleurs plus belles les unes que les autres. Qu’importe votre âge, vous pouvez continuez de vivre, de sentir chaque sensation au fond de vous. Vous devez continuer de vivre, madame. Continuez d’aimer. Vous êtes une personne formidable, ce serait triste de le cacher.
La vieille femme essuya ses yeux humides.
- J’ai cru que après un certain âge… j’ai fait comme… et puis… j’ai oublié.
Luce sourit. Son sourire avait le pouvoir de rassurer en un instant, d’alléger votre peine. Les doigts défirent progressivement leur étreinte sur le nuage de douceurs. Puis, le cumulus s’envola, papillonnant dans la rue avant de rejoindre ses congénères. La pluie cessa. La vieille femme referma son parapluie.
- Comment vous appelez-vous ?
- Vicky…
- Vicky, vous êtes magnifique.
Les joues de la femme se saupoudrèrent d’une teinte rosée. Sa peau de parchemin effaça quelques rides de douleur, pour ne marquer que les pattes d’oies.
Piccola Luce sourit puis se détourna, le cœur débordant. Elle jeta un dernier regard à Vicky avant de rejoindre Signore Raffinato. Ce dernier l’attendait avec un grand sac à la main.
- J’ai acheté des chapeaux, déclara-t-il en rosissant légèrement.
L’aventurière exclama sa joie par un petit cri stupéfait. Elle découvrit les couvre-chefs, d’un bleu azur. Piccola Luce posa le haut-de-forme sur la tête de Signore Raffinato.
- Tu es superbe.
- Je vais… essayer de vous croire.
- Il n’y a pas a essayer.
Piccola Luce plaça son chapeau sur ses boucles blondes.
- Raffi… ça te dirait de continuer avec moi ?
Il haussa un sourcil.
- Continuer quoi ?
- Parcourir un peu de chemin ensemble. Continuer à colorer l’univers.
- Rien que ça ?
Piccola Luce hocha la tête.
- Bien.
- C’est un oui ?
- C’est un oui.
Les deux compères reprirent leur marche, sur le trottoir qui séchait imperceptiblement grâce aux rayons d’un soleil couchant. Ils sortirent de la ville et se rendirent ainsi compte qu’un chat tigré les suivait. Ses yeux verts fixaient Luce avec insistance, comme une demande de l’accepter. Ses pupilles s’épanouirent pour former un énorme rond noir cerclé de vert. Le petit miaulement qu’il émit finit d’achever l’aventurière. Elle rit en s’approchant du félin. Il se précipita vers elle et se frotta contre ses bottines, tout en ronronnant. Piccola Luce le caressa avant de le prendre dans ses bras. Ses minuscules doigts s’enfoncèrent dans son doux pelage roux.
Les deux compagnons reprirent leur marche, mais aussitôt, un hibou se posa sur le haut-de-forme de Signore Raffinato. L’aventurière gloussa.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? grommela le garçon.
Mais un léger sourire fleurissait sur ses lèvres.
- C’est un géant hibou.
Le Signore Raffinato leva sa main et caressa le plumage délicatement orangé de l’oiseau. Le hibou plissa les yeux, il paraissait apprécier. Malgré qu’il soit imposant, il semblait très calme et doux.
- Je pense que tu devrais l’appeler Titano, annonça Luce.
Le garçon hocha la tête, ce qui fit s’envoler le hibou. Signore Raffinato tendit la main, la mine horrifiée.
- Ne pars pas Titano !
Ce dernier se posa sur le bras tendu. Un énorme sourire éclaira le visage du garçon. Il lissa les plumes de son nouvel oiseau.
- Et mon chat, je vais le nommer Sorriso.
Le-dit animal ronronna entre les bras de Luce pour approuver.
Bientôt, ils avisèrent une auberge. Du lierre s’accrochaient à toute la façade, et des volets rouges ressortaient de la verdure. En entrant, une odeur de fromage fondu et de pommes de terre s’infiltra dans leurs narines jusqu’à leur estomac qui gronda. Échangeant un regard complice, ils rirent. Ils y mangèrent un bon repas, et se couchèrent, épuisés des péripéties de la journée, mais heureux. La fenêtre demeura ouverte pour que Titano le hibou puisse se nourrir durant la nuit.
- Raffi, demain, nous peindrons ta canne en bleu, murmura l’aventurière.
- Luce…
Il soupira mais ses yeux pétillaient. Il se retourna dans ses draps avant de chuchoter :
- Ce sera très beau.
Titano hulula. Posé sur une branche, la silhouette du hibou se découpait dans un ciel bleu-vert, aux petites taches étincelantes.
Ca me parle...
J'aime que Luce ait ce compagnon, un peu bourru, mais sans doute tendre et délicat. A deux, ils feront des merveilles!
Marie.
(petite coquille: "Qu’importe votre âge, vous pouvez continuez de vivre" -->> continuer)
Ce cher Raffi n'a qu'une fine carapace, mais il est adorable ;)
Loulou, l'elfe (pas de maison)
(O-o je corrige ça !)