L'absence dans la présence

Par Re Née
Notes de l’auteur : Détrompez-vous ! Certaines présences physiques sont de pures illusions, alors que d'autres absences (même les plus fréquentes) marquent une présence permanente dans la vie d'un enfant...

Marlène a vécu la moitié de son enfance loin de son père. Non pas que son père l'a abandonné quand elle était encore une enfant, mais par nécessité. Enfin, c'est du moins ce qu'elle avait cru comprendre pendant un certain temps, jusqu'à ce que lumière fut mise sur toute son histoire, plus tard. Née d'une famille "nomade", Marlène saura plus tard que sa petite famille faisait partie de celles qui, pour tenter de trouver un terrain plus fertile que d'autres, passaient la majorité de leur temps à bouger d'une ville à l'autre. Cela a commencé depuis qu'elles étaient toutes petites, avec sa sœur, mais elle ne l'aurait finalement compris que beaucoup plus tard, à presque l'âge de l'adolescence. Des nombreux allers-retours effectués en famille, ou de ce que sa mère daignait lui raconter (à sa façon), Marlène se souvient de très peu de choses. Du haut de ses cinq ans, l'unique souvenir lointain qui lui revient remonte à l'époque où elle a été brutalement séparée de son amie de la maternelle avec qui elle commençait à peine à s'entendre (à la manière des enfants de son âge). C'était, pour Marlène, le premier coup dur de la séparation physique. Mais au final, elle ne retiendrait plus tard que de son âge et du souvenir, plus que du nom de son amie de l'époque ou de ce qui la chagrinait réellement.

Dans sa nouvelle ville, Marlène se souvient avoir vécu, pour la première fois, la méfiance. Elle ne voulait plus s'attacher, par peur de devoir ensuite apprendre à se détacher : des gens, des choses, de tout... Elle redoutait le jour où ils devront encore repartir de là pour aller ailleurs, ne sait-on où ! Les parents, interrogés à ce sujet, n'avaient qu'à changer de sujet pour feindre d'y répondre correctement. Alors, Marlène continuait à vivre, dans son monde, son nouveau monde, auquel elle ne voulait pas vraiment attacher de l'importance. Au fil des années, elle avait fini par comprendre qu'il n'y aurait plus exactement de départ, ou du moins de départ en famille. Car au lieu d'un déménagement familial, les parents avaient décidé d'un commun accord que seul un membre allait continuer de bouger : papa !

Comment expliquer à un enfant de six ans que pour mieux subvenir aux besoins de la famille, un père doit s'absenter autant de fois que nécessaire ? Pire encore, pourquoi garder ces décisions personnelles alors que c'est toute une famille qui en paie les conséquences ? L'absence injustifiée d'un parent, père ou mère, engendre des conséquences émotionnelles beaucoup plus importantes que ce que l'on peut bien s'imaginer. Et dans la plupart des cas, l'absence d'un père, pèse plus lourd dans la vie d'une petite fille, qui, pour grandir, a besoin d'épaules solides sur lesquelles s'appuyer quand les temps sont durs. Marlène n'obtiendra pas des réponses à ses questions. Elle continuera sa vie, seule, dans son coin, maltraitée par sa mère et sa propre sœur et sans la moindre chance de se confier un jour à son père...

Alors pourquoi la présence dans l'absence ? Parce que malgré ses absences répétées, Marlène constata que son père l'aimait quand même, un peu, beaucoup... et plus tard, énormément même. Qui subvenait à ses besoins ? Son père ! Qui lui achetait de belles petites choses pour les jours de fête ? Papa ! Qui dépensait un excès de tarifs pour l'emmener en vacances, même s'il partait en mission professionnelle ? Son père ! De qui lui venait tous ses cadeaux et ses jouets à Noël ? De papa ! Est-ce qu'il est encore nécessaire d'allonger la liste pour prouver que son père avait finalement tout fait pour elle, même en n'étant pas là la plupart du temps ? Certains diront que ces choses sont naturellement les obligations d'un père, présent ou absent. Marlène ne contredira pas cette idée, mais elle continuera juste de préférer l'absence de son père à la présence de sa mère, si tant est qu'il soit toujours question de prendre soin de ses enfants. Car bien que présente, tout le temps, physiquement, auprès d'elle, sa mère lui a toujours fait comprendre qu'elle ne voulait pas d'elle dans son monde. Et ce comportement valait bien plus une réelle absence pour Marlène. Alors que, bien qu'il ait souvent été en déplacement, son père a marqué sa vie par sa présence, dans tout ce qu'elle entreprenait : ses études, ses besoins, ses caprices, ses embrouilles... Car, oui, Marlène se souvient très bien avoir un jour raconté à son père combien elle était triste d'avoir été maltraitée par sa propre cousine, qu'il n'a pas hésité une seconde à remettre à sa place, dès qu'il en avait l'occasion. Plus tard, cette présence dans son absence se matérialisait encore plus et Marlène a su faire toute la différence.

Il ne suffit pas d'être là pour faire partie de la vie d'un enfant. Vous pouvez être là et ne jamais être présent finalement, comme la mère de Marlène. Tout comme vous pouvez ne pas être là et être quand même présent, comme son père. La différence, c'est qu'en grandissant, Marlène a finalement pu vivre en présence de son père et constater (malheureusement) que malgré la présence de ses deux parents, le rôle joué par son père était bien plus fort que la présence physique de sa mère. Alors que sa mère continuait de la manipuler à sa guise, son père comprit qu'elle avait besoin d'espace et de compréhension. Pendant que sa mère lui reprochait d'avoir des rêves idiots, son père l'encourageait à atteindre ses objectifs, selon ses préférences. Quand sa mère refusait de célébrer ses petites victoires, jugeant qu'elles étaient futiles, son père estimait avoir réalisé un véritable tremplin. Oui, très peu croiront Marlène si elle venait à raconter la fois où elle avait décroché un 'job de vacances' chiffré à plus de sept chiffres et que sa mère l'avait juste snobés quand elle a voulu fêter l'événement avec ses parents. Mais elle se souvient très bien de cet air arrogant qu'elle avait pris, ce jour-là, alors que son père l'avait félicité. C'est à ce moment-là qu'elle avait compris que quoi qu'elle fasse, sa propre mère ne sera jamais contente d'elle, et encore moins si elle venait à réussir bien mieux qu'elle ou sa propre sœur. Pourquoi ?

Marlène ne trouvera aucune réponse valable à cette question que bien plus tard, à l'âge adulte. Elle continuera, cependant, à quémander l'attention, l'amour et l'estime de sa mère pendant longtemps avant de se rendre compte que cela n'en vaut plus la peine. Les expériences de vie se multiplieront et lui feront constater, jour après jour, à quel point la toxicité de sa mère a longtemps envahi son monde, qu'elle allait l'étouffer complètement si elle ne s'en était rendu compte à temps. Prendre le contrôle de sa vie l'a fait éloigner de sa propre mère. Mais c'était tout à son avantage. Comprendre, bien qu'assez tard, qu'une absence (physique) vaut parfois mille fois mieux qu'une présence (absente), a son avantage : Marlène sait dorénavant ce qu'elle vaut réellement et à qui elle doit tout son courage. Pour avoir réussi dans sa vie, Marlène sait qui remercier et envers qui être reconnaissante. Pour ce qui est de sa relation avec sa mère, aussi toxique soit-elle, elle doit reconnaître que la matrice qui l'a portée neuf mois dans son ventre, mérite toute sa reconnaissance, mais pas celle qu'elle espérait recevoir d'elle.

Aujourd'hui, plus qu'hier, Marlène avance la tête haute et bien sur ses épaules. Elle s'estime heureuse d'avoir pu confirmer qu'une présence dans l'absence vaut mille fois mieux que l'absence dans la présence. Son ciel s'éclaircit : encore un autre ciel au-dessus de la Terre !

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