L'adolescence dans l'enfance

Par Ev5
Notes de l’auteur : L'impression de ne pas avoir eu d'enfance et que notre adolescence nous échappe: 3 versions

Entre deux âges

 

J'ai laissé passer mon enfance

comme on laisse filer un train

trop rapide

pour un cœur trop lent.

 

J'étais adolescente dans mon enfance,

et maintenant —

je suis une enfant

dans mon adolescence.

 

Je travaille

ou je m'en veux.

Je travaille

ou je me perds.

 

Et quand je réussis,

je me sens vieille

parmi les rires jeunes.

Spectatrice

dans ma propre vie.

 

Ils fabriquent des souvenirs,

moi je fabrique du vide.

 

Je suis bizarre.

Je le sais.

Je le sens.

Je le porte

comme un manteau trop lourd.

 

Parfois,

j'ai envie de recommencer.

De tout repeindre

en rouge.

De me disperser

en une pluie de rubis.

 

Peut-être que je n'ai jamais eu d'âge.

Peut-être que je suis née

entre les mondes.

Condamnée

à exister sans appartenir.

 

J'ai peur.

Pas de grandir.

Pas de vieillir.

Mais de rester là —

prisonnière

dans un corps qui avance

pendant que moi

je reste en arrière.

 

Peut-être que je suis le problème.

Non...

je suis le problème.

 

Et pourtant,

je suis là.

Encore là.

Dans mon enfer,

habillée de silence,

dansant seule

sous une pluie de rubis

imaginaires.





 

J’ai laissé passer

 

j’ai laissé passer mon enfance

comme on laisse mourir un animal blessé.

 

j’étais déjà vieille dans ma tête

quand j’avais 8 ans.

 

et maintenant

je traîne mes rêves d’enfant

dans un corps qui n’a plus le droit d’en avoir.

 

à l’école

si je travaille pas

je me déteste.

si je travaille

je me perds.

 

je regarde les autres

fabriquer des souvenirs

pendant que moi

je fabrique du silence.

 

je suis la fille bizarre

celle qui observe

celle qui pense trop

celle qui vit à côté.

 

ils rient

ils crient

ils existent.

 

moi, je compte les heures

les notes

les regrets.

 

j’ai raté mon enfance.

je suis en train de rater mon adolescence.

 

et ça me bouffe.

ça me tue.

ça me fait mal d’un mal

que personne ne voit.

 

j’ai envie de repeindre mon corps

en rouge.

de m’ouvrir en deux

de faire pleuvoir mes rubis

sur le béton froid.

 

peut-être que je suis née

déjà cassée.

peut-être que je suis pas faite

pour avoir un âge.

 

je suis fatiguée.

fatiguée d’exister

sans savoir comment vivre.

 

je suis le problème.

je suis le poison.

je suis mon propre enfer.

 

et je marche

tête haute

dans un monde

où je me sens toujours

de trop.

 

 

Je suis la nuit

 

j’ai laissé passer mon enfance

comme une cigarette écrasée sous un pied

comme un os cassé sous la peau.

 

j’étais vieille avant l’heure.

j’ai vu mon âme vieillir

quand mes yeux étaient encore bleus.

 

et maintenant,

je suis coincée dans une peau trop jeune

pour un esprit trop lourd.

 

à l’école, je suis une ombre.

je travaille ou je me maudis.

je travaille

ou je me noie dans ce vide immense.

 

je les regarde tous,

eux qui rient

comme s’ils ne savaient pas

que le temps les bouffe.

 

ils sont là, vivants.

moi, je suis l’écho

de ce que je pourrais être.

une silhouette grise

dans un monde trop coloré.

 

je vois la vie s’écouler

comme de l’encre qui fuit

sur un papier froissé.

et je me dis :

“qu’est-ce que je fais ici ?”

 

je suis la fille étrange

celle qui garde les larmes en elle

comme un poison caché dans les veines.

 

ils fabriquent des souvenirs.

moi, je garde la douleur

comme une seconde peau.

 

j’ai envie de tout brûler

de tout casser.

j’ai envie de m’ouvrir

et de laisser sortir toute cette putain de souffrance

qui me ronge.

 

je suis une plaie

ouverte sur l’invisible.

un cri que personne n’entend.

un monstre caché dans un corps trop petit.

 

peut-être que je n’ai jamais été faite

pour être heureuse.

peut-être que j’étais née pour être la nuit

sans fin.

sans étoile.

sans lumière.

 

j’ai peur de devenir adulte,

parce que je me sens déjà morte.

j’ai peur que tout passe

et que je sois toujours là,

invisible, immobile.

piégée dans mon propre corps.

là, à regarder la vie

sans jamais y toucher.

 

je suis le problème.

je suis le poison.

je suis la douleur.

et tout ce que je veux,

c’est disparaître

dans un cri silencieux.

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Bruns
Posté le 08/08/2025
Bonjour EV5.
Trés beau texte. Mais je suis toujours un peu mal à l'aise devant ce genre de texte. Le texte est beau et fort, mais quelle est la part de vérité qui se cache derrière. Et donc le texte en devient très triste.
En tout cas, continue à te livrer.
Ev5
Posté le 09/08/2025
Bonsoir Bruno.
Merci beaucoup.
Ce que j’écris ici, c’est exactement ce que je ressens.
Je sais que c’est triste, mais c’est ma réalité, et l’écrire m’aide à la sortir de moi.
Bruns
Posté le 09/08/2025
Alors continue d'écrire.
Romane_Arène
Posté le 30/07/2025
Bonjour Ev5,

Difficile de se lancer, après un texte comme celui-ci. Je viens aussi d’arriver « ici ».

Ton texte m’a touchée, évidemment par son fond, mais aussi par sa forme.
Tu indiques « 3 versions » mais je les ai lues comme un tout, comme un poème qui décline le même thème en décalant un peu le regard à chaque fois.

En tout cas, je trouve que tu as une plume, une voix, et j’ai envie de te dire « Je te vois ».
Et je crois, moi, que les "vielles âmes" ont beaucoup à offrir à ce monde.
Au plaisir d’échanger avec toi.
Ev5
Posté le 30/07/2025
Bonjour à toi, Romane
Merci, vraiment.

Je ne savais pas trop ce que je faisais en postant ça, je crois que je cherchais juste à hurler sans bruit. Alors lire ton commentaire... c'est comme un miroir tendu, un peu flou mais vrai.

Je n'avais pas pensé aux trois versions comme un poème, mais tu as mis les mots sur ce que je ne savais pas formuler.

Et je crois que les "vieilles âmes" comme tu dis, passent leur temps à essayer d'exister sans se perdre.

Je te vois aussi.

Et merci de m'avoir vue.
Au plaisir d'échanger, sincèrement.
Romane_Arène
Posté le 31/07/2025
Avec plaisir Ev5. Coucher les mots sur le papier est déjà une très belle façon d’exister en écrivant son propre chemin, et en transformant le plomb en or :-)
A bientôt !
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