Entre deux âges
J'ai laissé passer mon enfance
comme on laisse filer un train
trop rapide
pour un cœur trop lent.
J'étais adolescente dans mon enfance,
et maintenant —
je suis une enfant
dans mon adolescence.
Je travaille
ou je m'en veux.
Je travaille
ou je me perds.
Et quand je réussis,
je me sens vieille
parmi les rires jeunes.
Spectatrice
dans ma propre vie.
Ils fabriquent des souvenirs,
moi je fabrique du vide.
Je suis bizarre.
Je le sais.
Je le sens.
Je le porte
comme un manteau trop lourd.
Parfois,
j'ai envie de recommencer.
De tout repeindre
en rouge.
De me disperser
en une pluie de rubis.
Peut-être que je n'ai jamais eu d'âge.
Peut-être que je suis née
entre les mondes.
Condamnée
à exister sans appartenir.
J'ai peur.
Pas de grandir.
Pas de vieillir.
Mais de rester là —
prisonnière
dans un corps qui avance
pendant que moi
je reste en arrière.
Peut-être que je suis le problème.
Non...
je suis le problème.
Et pourtant,
je suis là.
Encore là.
Dans mon enfer,
habillée de silence,
dansant seule
sous une pluie de rubis
imaginaires.
J’ai laissé passer
j’ai laissé passer mon enfance
comme on laisse mourir un animal blessé.
j’étais déjà vieille dans ma tête
quand j’avais 8 ans.
et maintenant
je traîne mes rêves d’enfant
dans un corps qui n’a plus le droit d’en avoir.
à l’école
si je travaille pas
je me déteste.
si je travaille
je me perds.
je regarde les autres
fabriquer des souvenirs
pendant que moi
je fabrique du silence.
je suis la fille bizarre
celle qui observe
celle qui pense trop
celle qui vit à côté.
ils rient
ils crient
ils existent.
moi, je compte les heures
les notes
les regrets.
j’ai raté mon enfance.
je suis en train de rater mon adolescence.
et ça me bouffe.
ça me tue.
ça me fait mal d’un mal
que personne ne voit.
j’ai envie de repeindre mon corps
en rouge.
de m’ouvrir en deux
de faire pleuvoir mes rubis
sur le béton froid.
peut-être que je suis née
déjà cassée.
peut-être que je suis pas faite
pour avoir un âge.
je suis fatiguée.
fatiguée d’exister
sans savoir comment vivre.
je suis le problème.
je suis le poison.
je suis mon propre enfer.
et je marche
tête haute
dans un monde
où je me sens toujours
de trop.
Je suis la nuit
j’ai laissé passer mon enfance
comme une cigarette écrasée sous un pied
comme un os cassé sous la peau.
j’étais vieille avant l’heure.
j’ai vu mon âme vieillir
quand mes yeux étaient encore bleus.
et maintenant,
je suis coincée dans une peau trop jeune
pour un esprit trop lourd.
à l’école, je suis une ombre.
je travaille ou je me maudis.
je travaille
ou je me noie dans ce vide immense.
je les regarde tous,
eux qui rient
comme s’ils ne savaient pas
que le temps les bouffe.
ils sont là, vivants.
moi, je suis l’écho
de ce que je pourrais être.
une silhouette grise
dans un monde trop coloré.
je vois la vie s’écouler
comme de l’encre qui fuit
sur un papier froissé.
et je me dis :
“qu’est-ce que je fais ici ?”
je suis la fille étrange
celle qui garde les larmes en elle
comme un poison caché dans les veines.
ils fabriquent des souvenirs.
moi, je garde la douleur
comme une seconde peau.
j’ai envie de tout brûler
de tout casser.
j’ai envie de m’ouvrir
et de laisser sortir toute cette putain de souffrance
qui me ronge.
je suis une plaie
ouverte sur l’invisible.
un cri que personne n’entend.
un monstre caché dans un corps trop petit.
peut-être que je n’ai jamais été faite
pour être heureuse.
peut-être que j’étais née pour être la nuit
sans fin.
sans étoile.
sans lumière.
j’ai peur de devenir adulte,
parce que je me sens déjà morte.
j’ai peur que tout passe
et que je sois toujours là,
invisible, immobile.
piégée dans mon propre corps.
là, à regarder la vie
sans jamais y toucher.
je suis le problème.
je suis le poison.
je suis la douleur.
et tout ce que je veux,
c’est disparaître
dans un cri silencieux.
Trés beau texte. Mais je suis toujours un peu mal à l'aise devant ce genre de texte. Le texte est beau et fort, mais quelle est la part de vérité qui se cache derrière. Et donc le texte en devient très triste.
En tout cas, continue à te livrer.
Merci beaucoup.
Ce que j’écris ici, c’est exactement ce que je ressens.
Je sais que c’est triste, mais c’est ma réalité, et l’écrire m’aide à la sortir de moi.
Difficile de se lancer, après un texte comme celui-ci. Je viens aussi d’arriver « ici ».
Ton texte m’a touchée, évidemment par son fond, mais aussi par sa forme.
Tu indiques « 3 versions » mais je les ai lues comme un tout, comme un poème qui décline le même thème en décalant un peu le regard à chaque fois.
En tout cas, je trouve que tu as une plume, une voix, et j’ai envie de te dire « Je te vois ».
Et je crois, moi, que les "vielles âmes" ont beaucoup à offrir à ce monde.
Au plaisir d’échanger avec toi.
Merci, vraiment.
Je ne savais pas trop ce que je faisais en postant ça, je crois que je cherchais juste à hurler sans bruit. Alors lire ton commentaire... c'est comme un miroir tendu, un peu flou mais vrai.
Je n'avais pas pensé aux trois versions comme un poème, mais tu as mis les mots sur ce que je ne savais pas formuler.
Et je crois que les "vieilles âmes" comme tu dis, passent leur temps à essayer d'exister sans se perdre.
Je te vois aussi.
Et merci de m'avoir vue.
Au plaisir d'échanger, sincèrement.
A bientôt !