L'appel à l'aide

Notes de l’auteur : Je me suis évertué à retravailler ce qui n'était qu'une courte nouvelle en étoffant le texte d'origine et en le scindant en deux chapitres. A partir du troisième chapitre, je vais m'atteler à développer l'univers et à donner du corps aux personnages. Bonne lecture (je l'espère en tous cas) !

Le vieux guerrier se cala dans sa couche. Il se sentait las, abimé, la carcasse percluse de rhumatismes, assiégé par le mal-être. Au dehors, la bourgade de Vélonir sombrait lentement dans une torpeur de fin du jour. Bien que la saison chaude se profilât, les soirées étaient encore fraiches à cette altitude et l’homme ramena instinctivement sa couverture sur son menton.

Au rez-de-chaussée de la bâtisse, il entendait sa servante, la Bonann, remettre en ordre, chaises et vaisselle. « Sale bique » marmonna-t-il dans sa barbe, qu’il avait blanche et hirsute. Cependant qu’il commençait à s’assoupir, son attention fut aiguillonnée par un son inhabituel, une sorte de geignement en provenance de la rue. Il se redressa et beugla : « Femme, va donc voir qui gratte à la porte ! » Il n’obtint, pour toute réponse, qu’un juron étouffé mais entendit néanmoins la Bonann se diriger vers l’entrée, soulever la barre de l’huis, avant, quelques instants après, de crier : « C’est que de la marmaille qui pleurniche, deux apprentis mendiants, pour être juste. M’en vais leur carrer un coup de gourdin dans la hure, qu’ils reviendront pas de sitôt ! »

« Tu n’en feras rien ! » s’époumona son maître qui avait définitivement perdu toute velléité de sommeil. « J’arrive ! » compléta-t-il en émettant un grognement sourd, digne d’un sanglier. Il revêtit une ample chemise de laine et un pantalon de lin rapiécé. Malgré la curiosité qui le titillait et le pressait, il n’en oublia pas, pour autant, d’ajuster autour de sa taille un large ceinturon d’où dépassait le pommeau ouvragé d’une dague. L’étroit escalier en colimaçon grinça sous ses pas et, sans prêter considération à la Bonann, il ouvrit vigoureusement la porte. Il tomba nez à nez avec une jeune fille à l’air bravache, qui ne devait guère avoir plus de quinze ans et un garçonnet, petit et trapu, qui se tenait à ses côtés et enfouissait son visage dans le flanc de sa compagne de ruelle.

De ses prunelles acérées, l’homme sonda les deux enfants. Ils avaient l’air épuisé, étaient en haillons et leurs visages émaciés reflétaient la faim qui devaient les tourmenter depuis des jours, si ce n’était des semaines. Sans mot dire, il s’effaça pour leur ouvrir un passage à l’intérieur. Ils s’y engouffrèrent avec avidité, bousculant presque la Bonann dont les yeux jetaient des éclairs mais qui se radoucit vite à la vue d’un signe de la main sans équivoque du propriétaire des lieux. « Bah, ce que j’en dis, moi ! » murmura-t-elle. Ce à quoi lui fut rétorqué promptement : « Ce que tu en dis, c’est que tu vas faire réchauffer la soupe, sortir le lard et une miche de pain ».

Les deux gamins s’installèrent côte-à-côte, le plus près possible de l’âtre, s’accoudant à la robuste table en chêne qui occupait le centre de la pièce principale du logis. Pour la première fois, leur amphitryon leur adressa la parole : « Qui êtes-vous ? D’où venez-vous et que voulez-vous ? » Effrayé, le moins âgé s’agrippa à la manche de l’adolescente qui, agacée, l’écarta d’une bourrade. D’un ton saccadé, elle articula : « Moi, je suis Yonavée et lui, c’est mon petit frère, Iarl. Nous habitions un village du nom de Brétande, sur la côte du Jamludar ».

« Le Jamludar ! » s’exclama leur interlocuteur « Mais, c’est au moins à dix journées de marche d’ici ! » Profitant de cette interruption, la Bonann apporta, avec la même moue désapprobatrice dont elle ne semblait jamais se départir, deux écuelles débordantes de brouet fumant. Les deux voyageurs se jetèrent sur la nourriture, confortant leur hôte dans le fait qu’ils n’avaient rien avalé depuis bien longtemps.

Délaissant, un temps et à contrecœur le diner, Yonavée poursuivit son récit :

  • « Notre famille, nos parents, nos voisins, ont été massacrés par les sacripants de Jôl. »
  • « Les sacripants de Jôl ? Connais pas. »
  • « Ce sont des pillards qui ravagent la contrée. Lorsque le guet les a aperçus, il était déjà trop tard. Les défenseurs n’ont pas eu le temps de s’organiser et notre tante Ioréa a tout juste pu nous dissimuler à la lisière de la forêt, dans un tumulus. Les sacripants ont tué tout le monde, rasé la moindre grange. Il ne reste plus rien, que des tas de cendres… »
  • « Pourquoi vous réfugier ici, aussi loin de chez vous ? »
  • « Parce que vous êtes Oukann, le fléau des plaines de Cumaridès, le seul qui puissiez venger nos proches ! »

Le vieux guerrier se figea, comme si le passé le rattrapait, le talonnait, comme si le souffle de la mort l’effleurait de son haleine ardente, une fois encore. « Oui, une fois encore… » songea-t-il. Il surprit le cadet, Iarl, en train de contempler la gigantesque claymore maintenue au-dessus de la cheminée par d’épais anneaux métalliques.

« Le fléau des plaines de Cumaridès. » répéta-t-il, pensif. Puis, se ressaisissant, il tonna, d’une voix claire et ragaillardie : « Et d'abord, comment m'avez-vous trouvé ? Les habitants de ce trou paumé ignorent qui je suis si ce n'est un barbon revêche dont il faut éviter le courroux ! »

Yonavée déglutit, impressionnée par le gabarit de son interlocuteur mais n’en lâcha pas moins  : « Dans nos contrées, tout le monde connait la légende d’Oukann, sa bravoure, sa générosité, sa… »

« Et bla bla bla ! » répliqua, le colosse, sarcastique. « Tu ne réponds toujours pas à ma question : qui vous a mis sur ma piste ? »

La gamine, tout en essuyant sa bouche maculée de sauce avec la manche de son pourpoint, déclara, un brin bravache : « Délier une langue bien pendue surtout lorsqu’elle a trempé dans l’alcool n’est pas si difficile que cela même pour deux mouflets loin de chez eux. »

Oukann soupira : « Il y avait une chance sur un million que vous tombiez sur cet ivrogne de Rôôl et cette chance vous l’avez eue. Par simple curiosité, où avez-vous croisé le chemin de ce soudard ? »

Manifestement gênée, Yonavée articula faiblement : « Il gisait devant un bordel du port de Brül où nous avions trouvé refuge, la tête dans son vomi, et marmonnait des chants à votre gloire. On a même pas eu besoin de le soudoyer. Il a suffit de se pincer le nez pour supporter son odeur et de l’écouter raconter ses vertes années à vos côtés… »

Oukann éructa : « Par les dix-huit milles plaies de l’Ypus, ce vaurien ne changera décidément jamais. Je savais que j’aurais dû lui coudre sa grande gueule de Brüléen ! » avant de s’assombrir et de prononcer dans un souffle à peine audible : « Je ne peux rien pour vous. Je suis usé, plus même bon à trousser une catin dans le dernier des bouges de Gonafraëlle. »

Yonavée s’offusqua : « Nous aurions fait tout ce chemin pour rien, alors ? Vous êtes notre seul espoir de pouvoir châtier Jôl et ses sbires ! Regardez-nous, nous n’avons plus rien ! »

Plus abattu qu’en colère, Oukann lâcha : « Tu arrives trois cent lunes trop tard… Toi et ton frère pouvez rester cette nuit. Demain, vous repartirez. J’ai dit. » Cette ultime sentence n’appelant pas de réplique, il se retira, laissant Yonavée et Iarl terminer leur repas. Toutefois, avant de gravir les marches menant à sa chambre, il s’arrêta, paraissant redécouvrir l’existence de la monumentale épée à deux mains, cette claymore qui fascinait tant Iarl. La lame reflétait les bougies du rustique lustre pendant au milieu du plafond. Oukann observa les flammes danser sur l’arme à double tranchant. Il soupira bruyamment et s’en fut.

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Franck_Playtoni
Posté le 03/05/2023
L'atmosphère brute et sauvage est très bieen transmise via le vocabulaire et le rythme nerveux. J'aime bien les descriptions, détaillées mais pas trop lourdes.
Amenomade421
Posté le 03/05/2023
Merci beaucoup ! Je suis en train de retravailler ce texte, une courte nouvelle à la base et de l'étoffer pour en faire, qui sait, un récit plus conséquent.
ClementNobrad
Posté le 24/04/2023
Hello Amenomade,

J'ai bien apprécie le ton comique que tu as instauré entre le guerrier et la Bonann, le langage cru et direct du guerrier est très appréciable également et permet d'introduire un ton léger à ton univers apparemment assez sombre.

Alors, quelques petits points qui m'ont interrogés durant ma lecture :

-Comment se fait-il que les deux orphelins trouvent la maison du guerrier alors qu'ils habitent à dix jours de marche de là et, qu'apparemment, ne connaissent pas du tout les lieux ? Raconté comme tu l'as fait, on aurait cru qu'ils savaient précisément où le trouver alors qu'il semblait être redevenu un "guerrier anonyme" qui en avait fini avec les exploits guerriers.

-Je trouve l'enchaînement des péripéties très - trop? - rapide. En une ellipse, alors qu'il a échangé que 2 3 mots avec les orphelins, voilà que le guerrier décide de reprendre les armes pour une cause que l'on comprend pas trop. Alors, le coup du vieux guerrier qui reprend du service, c'est du déjà-vu, mais là, on ne comprend pas trop pourquoi il décide de reprendre les armes.

-Dans la même lignée, en un paragraphe, le trio se retrouve dans les montagnes autour d'un feu de camp. Pourquoi pas, je ne suis pas contre les ellipses, mais je trouve que tu gagnerais à prendre plus de temps pour présenter tes personnages, leur ambitions, pourquoi pas notamment lors des premiers jours de marche. Là encore, en deux paragraphes, voilà que les orphelins décident finalement de s'enfuir (alors qu'ils avaient mis 10 jours pour trouver ce guerrier précisément et, qui, finalement les accompagne. Alors oui, certes, pas au bon endroit (d'ailleurs pas compris où il les emmène et pourquoi, d'une manière générale je n'ai pas compris pourquoi il a décidé de les suivre) mais tout de même, leur fuite, à ce stade là du récit est un peu précipité.) Et voilà qu'ils tombent sur des brigands, et l'intervention du guerrier est bien sûr trop évidente :)

La qualité d'écriture est bonne et immersive. Tu as une jolie plume (ou clavier ;) ). Petit défaut, qui n'engage que moi : le rythme. Beaucoup trop rapide pour comprendre le sens profond des intrigues et les ambitions des personnages. J'aurais, par exemple, apprécié passé plus de temps avec le guerrier et la bonne. Ce duo comique n'est pas assez exploité en ce début de récit :)

J'espère que ces quelques remarques t'aideront, tu restes maître de ton récit !

A très vite
Amenomade421
Posté le 01/05/2023
Bonjour ClémentNobrad,
Un grand merci pour ce retour de lecture et ces commentaires avisés. A la base, ce texte était une nouvelle avec une limite de caractères et tu as bien pointé du doigt les ellipses subséquentes. En tous cas, ces remarques me sont précieuses et me serviront de base pour une refonte en profondeur du récit avec un univers plus installé et des personnages plus affirmés. Je vais m'y atteler au fur et à mesure.
Encore merci et au plaisir de te lire.
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