Le caddie

Par Au'
Notes de l’auteur : Trouver son refuge, puis son paradis.

      Un boulet. Voilà ce que je traîne derrière moi, un boulet. C’est aussi comme ça que je l’appelle mon caddie. Il me suit partout où je vais et me rappelle la merde dans laquelle je suis depuis longtemps, trop longtemps.
Eh oui, je suis une sans domicile fixe comme dirait l’Etat. Plus communément, une SDF, une clodo.
Un caddie, voilà ce qu’il me reste de mon ancienne vie. C’est très peu, c’est rien par rapport à avant. Bon ce n’est pas que j’étais riche, mais déjà un peu plus que maintenant.

      J’y pense souvent à mon ancienne vie, surtout à ma môme. Ma petite, ma très chère enfant. J’ai essayé, tant bien que mal de lui fournir une bonne éducation, une belle vie. Mais une pétasse m’a tout enlevé.
J’étais une modeste hôtesse de caisse, rien de plus, rien de moins. Ma môme à l’époque, elle avait 6 ans. Mon but, c’était de travailler pour qu’elle ait une bonne éducation. Son père il s’est barré, ce lâche. Dès que le mot « papa » est sorti, routa, ni une ni deux, un pull, un pantalon dans la valise et il a pris la route. Je ne l’ai plus jamais revu. Alors je me suis jurée de protéger ma môme et de tout faire pour qu’elle soit heureuse.

      Dans le temps, j’ai eu des problèmes d’alcool, le père m’a aidé. Il m’a beaucoup aidé et pour ça je ne le remercierai jamais assez. Depuis que j’ai arrêté, je n’y ai plus touché une seule goutte. Et j’en suis fière. Je suis fière de dire quand je sors : « non pour moi c’est sans alcool ! ».

      J’avoue, après que le père soit parti, j’espérais secrètement retomber amoureuse et ne plus être seule avec ma môme. Et il est apparu, grand, beau, charmant. Un nouveau collègue. Sauf que la pétasse l’avait vu aussi, mais bizarrement c’est moi qui l’intéressait. J’en ai vraiment été très flatté.
Depuis l’autre, plus aucun homme ne m’avait regardé, c’était comme-ci je revivais, je me sentais belle. On a flirté. Il m’a invité à boire un verre, et pour le premier soir, nous nous sommes arrêtés là, car il fallait que je récupère ma môme.
Mais nous nous sommes revu, et revu, et revu, jusqu’à ce que nous passions l’étape de l’intimité. Quelle nuit formidable j’ai passé à ses cotés. Pendant ces quelques mois, je vivais une idylle. Ma môme avait l’air de bien s’accommoder de la situation.

      Un jour comme les autres, la pétasse m’a prise à part dans les vestiaires et m’a parlé. Au début ce n’était rien qu’une conversation banale, puis elle a dérapé sur ma vie privé. D’abord mon nouvel amour, ensuite mon alcoolisme. Il est vrai que je ne m’en cache pas, mais je n’aime pas tellement approfondir le sujet. Les gens savent, mais n’en parlent pas, et ça me convient.
Mais ce jour-là, elle a parlé, trop parlé, je me suis énervée, je ne comprenais pas ce qu’elle me voulait, c’est peut-être aussi ce qui m’a mise dans cette état. Elle aussi ne comprenait pas, comment un homme comme celui dont je suis amoureuse, soit tombé en amour pour moi et non pour elle. Elle qui fait tomber le cœur de tous les hommes qui croisent son chemin.
Alors le chantage est apparu, je devais le laisser. Abandonner la personne qui m’a donné tant d’amour et de soutient, la personne que j’ai tant attendu, pendant si longtemps. Si je ne le faisais pas, les services sociaux pourraient bien toquer à ma porte. Évidemment, je lui ai ri au nez. Je ne buvais plus et ça depuis longtemps, je n’avais rien à me reprocher. Sauf que mon tort a été d’être alcoolique dans ma jeunesse. Quelle bêtise. Je suis partie et j’ai retrouvé ma môme, car entre un amour naissant aussi paradisiaque soit-il et ma môme, je n’ai pas réfléchi longtemps.
Le lendemain j’ai fait ce qu’elle m’a demandé. Le cœur déchiré je suis rentrée chez moi, plus mal que jamais, plus mal que mes gueules de bois, plus mal que lorsque le père est parti.
Je l’ai longuement regardé jouer, en me disant que c’est pour elle que je fais tout ça.

      Chaque jour qui passait me cassait un peu plus, la pétasse avec son sourire satisfait sur les lèvres et ses gestes explicites à mon grand amour m’anéantissait. Le pauvre, il fallait bien le consoler. Mais quelle erreur avait-il fait que de tomber amoureux d’une ex-alcoolique, « Que devait-elle être violente avec toi mon loulou, mon pauvre et tendre loulou. ». Je voulais la tuer, la saccager, mais je n’en ai pas eu le temps.

      Ma môme est à l’école, moi à l’appartement et la porte sonne. Les services sociaux. La garce.
Pour moi je n’avais rien à cacher, mon appartement était aussi sobre que moi, pas une seule goutte d’alcool. Les liquides forts qu’ils pouvaient trouver étaient les produits ménagés, sauf qu’ils en ont trouvé une, une seule et quasiment vide.
Du rhum.
Je n’aime pas le rhum, sauf que eux ne le savent pas, pour eux j’ai replongé, et ma môme est en danger. Je leur ai expliqué calmement que ça devait être mon ancien amant qui avait dû l‘oublier. Je ne savais pas qu’il y avait une bouteille dans ce placard, rien, ils ont fait la sourde oreille. J’ai crié, j’ai tout fait, leur expliquant tout, leur disant que ça faisait 6 ans que j’étais sobre, qu’ils pouvaient faire des tests, que je n’ai eu aucune infraction. Que ma môme n’était pas en danger, qu’elle était loin d’être en danger ici, que c’était le lieu le plus sûr pour elle, que je payait toutes mes factures à temps, que je me défonçais pour ma môme pour qu’elle soit heureuse.
Rien.
Ils sont partis en me disant que je ne devais pas aller la chercher ce soir. Qu’ils iraient, qu’il y auraient les flics et que si j’y allais, j’irai en prison et que je ne voulais pas que ma môme me voit aller en prison.
Ils sont partis. Me laissant là. Seule.

      J’ai pleuré, pleuré, pleuré et j’y suis allé. Je me suis caché, je ne voulais pas qu’ils l’emportent sans que je ne la vois une dernière fois. Comment pouvait-on faire ça en pleine conscience à une mère, c’est inhumain. Ma môme je l’aime, je l’aime plus que tout au monde, j’ai tout fait pour elle et j’aurai continué jusqu’à la fin de mes jours.
J’étais calme, dans la voiture, j’attendais. Un enfant sorti, puis deux. La voilà, ma belle et tendre. Ils lui ont parlé, la maîtresse se demandait qui étaient ces gens, je savais que c’était une bonne école.
Ils lui expliquent. Elle était choquée. Et moi anéantie.
Sur la route pour rentrer, j’ai croisé la route d’une épicerie, je m’y suis arrêté, et pris la première qui me suis venu. En rentrant chez moi, je me suis rendu compte que c’était du rhum, j’ai ri. Apparemment le destin faisait tout pour m’ennuyer à ce moment là.
Je l’ai posé sur la table basse et me suis assise en face d’elle. Je l’ai fixé.
Oui. Non. Oui. Non.
J’étais si triste, si vide, si tout. J’ai mal et personne ne pouvait comprendre ma souffrance.
J’étais amoureuse et en couple, je suis seule et déchiré.
J’étais mère, je suis abandonné.
J’étais forte, je suis faible
J’étais sobre, je suis faite.

      Le lendemain dur, très dur journée. J’ai culpabilisé de la veille, qu’est ce qu’il m’a pris, mais pourquoi ? Tous ces efforts noyés dans une bouteille. La journée de travail était compliquée, les gens me regardaient bizarrement. Ils savaient. Ils savaient tous.
Le midi, je me suis assise à coté de mon amie, je lui ai expliqué ma journée, cette terrible journée.
Elle m’a regardé et m’a dit que c’était normal, qu’une alcoolique ne pouvait avoir d’enfant sans les mettre en danger. Les bras ballant dans le vide, je suis restée figé en regardant mon assiette jusqu’à la fin de ma pause, je regrettais de plus en plus d’avoir eu ce moment de lâcheté.
A la fin de cette journée épuisante, je me suis retrouvée dans le vestiaire avec la pétasse. Je lui ai demandé pourquoi ? Je lui demandé pourquoi elle faisait ça, je lui ai donné ce qu’elle voulait, alors pourquoi ! Elle me souriait, encore et m’a répondu que je n’étais qu’une alcoolique et que mon enfant était en danger.
Il m’échappa, mon point s’était abattu sur son visage. J’ai regardé les dégâts et regretta, encore.
Elle, souriait toujours, un bleu était apparu autour de son œil gauche. Je me suis excusée, je me noyai dans des excuses, j’avais honte, en 2 jours je m’étais laisser-aller par mes sentiments. Mais mon laisser-aller, j’allais le payer cher, très cher. Elle m’a prise par le bras, et en deux temps trois mouvements, nous voilà devant le directeur. Elle et moi, debout, elle en sanglot, et moi rouge de honte.
Qu’elle pétasse, mais qu’elle pétasse.
Elle lui dit que j’étais saoule, que j’avais bu, que je l’avais frappée et insultée, que je l’ai humiliée. J’ai essayé de me défendre, en disant ce que je n’avais pas fait, en disant que je ne l’avais ni insulté, ni humilié.
Il m’a tendu un éthylotest. J’ai soufflé. J’étais positive.
Je ne devais pas être très haute, mais suffisamment pour l’être, il m’a regardé, c’était la porte. En tant qu’ancienne alcoolique, je ne devais être saoule au travail, je ne devais avoir aucune goutte d’éthanol dans le sang. Je suis partie, et ai appelé mon amie, je lui ai expliqué, c’était la seule personne vers qui me tourner. Elle m’entend, mais je sentais qu’elle ne m’écoutait pas, elle était ailleurs.

       Une semaine passa, j’ai essayé de trouver du travail, naturellement personne ne voulait de moi, tout le monde savait. J’ai pris le chômage, mais ce n’était pas suffisant pour que je vive correctement, il était vraiment urgent que je trouve un job. Mon propriétaire allait se rendre compte que je ne pouvais plus payer et allait se douter de quelque chose.
Ce soir là, je me suis servi un verre, oui j’ai replongé, et à chaque gorgée c’était une humiliation et de la honte qui se plantait un peu plus sur moi.
La porte a sonné. Le propriétaire.
Il savait. Lui aussi m’avait aidé au début, il savait mes soucis, on a sympathisé, il a décidé de me faire un peu plus bas mon loyer, le temps que je trouve un travail, mais il ne fallait pas que je rechute.
Une nouvelle fois, la honte s’est abattu sur moi. Il m’a tendu la main d’un air désolé, s’il savait à quel point je l’étais.
Je savais ce qu’il voulait.
Mes clefs.
Je lui ai expliqué, je voulais qu’il m’écoute. Pas lui, il ne pouvait pas me tourner le dos. Il me dit que j’ai une heure pour faire ma valise. Alors je l’ai faite. Désolée. Je n’avais plus de valise, alors j’ai mis mes effets dans mon caddie, j’ai rassemblé le plus de choses que je pouvais. L’heure était passée, il n’a rien voulu savoir, pour lui j’ai fauté, j’ai craqué, ce n’était pas réparable.

      C’est comme ça que je me suis retrouvée dans cette situation. Tout s’est enchaîné si vite.
Après ça, j’ai vagabondé, j’ai essayé de trouver des endroits où dormir. A chaque minute, à chaque heure, je me demandais où était ma môme, et je priais pour qu’elle aille bien.
Avant que je ne parte de l’appartement, le propriétaire m’a acheté les meubles, et avec cet argent, j’ai pu acheter de la nourriture, et des bouteilles. Mon compte s’est vite vidé.
J’étais perdu et je le savais, cette vie, ce n’était pas la mienne, personne ne pouvait venir à mon secours. Ma môme on me l’a arraché en même temps que mon cœur. Mon amour s’était envolé en même temps que ma dignité, et ne voudrait certainement plus me parler après ce que je lui ai dit. Mon amie, même processus, car parler à une alcoolique, ça fait mauvais genre. Mon propriétaire, m’a tourné le dos.
Je n’avais plus personne sur qui m’appuyer.
Ils m’ont tous laisser tomber, ils m’ont tous laisser sombrer.

      Alors aujourd’hui je repense à tout ça avec du recule. Et moi, si j’avais été à leur place, qu’est ce que j’aurai fait.
Je repense à ma môme, et j’espère de tout mon cœur qu’elle sera heureuse. Oui elle le sera. Je me suis renseignée, et les personnes chez qui elle est sont très respectables. Elle aura une belle vie.
Je repense à mon idylle et je ne lui en veux pas. Qu’il soit heureux, qu’il vive la vie qu’il désire.
Je repense à la pétasse. Je lui en veux de tout ce qu’elle a fait. Mais j’ai compris pourquoi, j’ai compris plus tard en traînant dans les rues. J’ai compris que c’était la jalousie qui la tiraillait. J’ai appris qu’elle ne supportait pas de me voir vivante et en bonne santé. Le fait que j’ai réussi à me relever de mon alcoolisme, l’insupportait, le fait que je puisse plaire à un homme qu’elle désirait mais que lui ne l’ai pas voulu en premier, l’agaçait. Mais la haine qui la tenait vivante, était qu’elle ne puisse pas avoir d’enfant et que moi sale alcoolique, j’ai réussi et qui plus est un enfant en bonne santé. Le fait que je réussisse ma vie attisait ça haine en vers moi et elle se devait de me faire du mal pour se faire du bien. Me voir rechuter, perdre mon homme puis mon enfant, lui a procuré un tel plaisir.
Oh oui je lui en veux, elle a foutu ma vie en l’air, ma môme ne verra plus jamais sa mère, mais je veillerai toujours sur elle, quoi qu’elle fasse.

Mon caddie. Oui il est là et c’est tout ce qui me rattache encore à mon ancienne vie.
Je le pose sur le bas coté, car même si j’ai souffert, je ne veux pas que lui souffre. Ca paraît bête mais je veux qu’il garde en lui tous les bons moments que j’ai passé sur cette Terre. Je veux qu’il garde cette signification, alors je ne veux pas que mes bons souvenirs soient broyés.

Je respire.
Je regarde toute cette verdure.
Que c’est beau.
Je ne suis jamais partie en voyage, mes parents sont partis trop vite pour pouvoir me faire visiter le monde.
Mais aujourd’hui, c’est parti, j’y vais. C’est le seule que je vais faire, alors je prend soins de tout regarder attentivement pour emporter avec moi ce beau paysage.

Je m’allonge.
C’est froid.
Un brin d’herbe me chatouille les oreilles.
Ca vibre.
C’est partie, le voyage commence.
Un dernier coup d’œil à mon caddie. Oui il est toujours là.
Je suis sereine.
J’ai toutes les réponses à mes pourquoi.
Je ferme les yeux.
Un son me perce les tympans et je souris.

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