« Pleurer, c’est pour les faibles ; être heureux, c’est pour les gens qui n’ont que cela à faire. »
Mon père m’a tout appris.
Tout.
Même ce qui m’a fait le haïr plus tard.
Je regarde les larmes de crocodile qui tombent autour de moi.
Qu’attendent-ils ? Une épaule compatissante, un mot magique, une promesse ?
Ce n’est pas un don que j’ai.
Je préfère tourner mon regard ailleurs, les ignorer.
« C’est très bien, Ingrid. C’est comme ça qu’on fait dans le monde du travail. Continue. Les émotions, ça rend impulsif et les gens s’en serviront contre toi. Il faut que tu apprennes à encaisser sans montrer que ça t’atteint. »
Installée au premier rang dans l’église, je peux presque conjurer son air sec, ses gestes froids, son dos raide, sa voix doucereuse. Toujours fidèle à ses principes.
– Frank Jouvel nous a quittés ce jeudi quinze novembre. Il a été accueilli dans la maison du Seigneur.
Ma mère est venue.
Je ne sais pas pourquoi.
Ils ont divorcé quand j’avais dix ans. Elle est partie un soir, sans se retourner. Jamais. Pas de visites de courtoisie, pas de demande de garde.
Elle m’a laissée là comme un bien meuble qu’on a trop vu.
L’église se remplit. Je reconnais presque toutes les têtes. Mon père aurait été content, fier même, de savoir que sa simple existence avait compté pour eux.
On en a parlé peu de temps avant son décès. Sans savoir qu’il allait faire un infarctus et se noyer dans la piscine privée de sa dernière conquête.
– Tu vas bien ?
C’est la première fois que je la revois. Je détaille ses rides, ses joues qui pendent et la myriade de plis dans son cou.
Ma mère a vieilli.
Bref, j'aime bien.
Oui je pense qu'on se ment souvent à soi-même... parce qu'on n'est peut-être pas prêts ?