Elévation
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,
– Tu sais si maman va revenir ?
Mon père tourne son regard vers la télévision et fait semblant de m’ignorer.
– Pourquoi tu ne me réponds pas ?
La télécommande en main, il monte le son en bredouillant « tu m’empêches d’écouter, c’est important, il faut que je sache. »
Très bien.
– Mademoiselle Ingrid, vous voulez bien lire le poème ?
J’approche du prêtre et de son autel couvert de dorures qui cachent l’énorme tache de moisi sur le béton nu.
Je me râcle la gorge.
Tout le monde me fixe.
– Vous m’entendez ?
Quelques têtes bougent. Aucune ne pleure.
Je l’avais eu cette conversation, toute seule dans ma chambre, en train d’imaginer ma mère face à moi.
« Pourquoi tu nous as laissés ? Tu ne nous aimes pas assez pour vivre à la maison ? Est-ce que vous vous êtes disputé ? »
Le fantôme face à moi n’avait rien répondu.
Les répétitions s’étaient enchaînées jusqu’à ce que mon père m’entende et me dise que j’étais « folle » et qu’il allait m’enfermer si je continuais à parler toute seule.
Très bien.
– Tu t’en es très bien sortie. C’était très beau ce poème que tu as choisi.
– Merci, maman.
Elle ne bouge pas. On se regarde toutes les deux sans réagir.
– Il faut que j’y aille.
– On s’appelle ?
« Montrer ses émotions aux autres, c’est leur donner des armes contre toi. Et tu ne peux pas te le permettre parce que tu as des responsabilités vis-à-vis de ta famille. »
– Si vous le souhaitez, nous avons mis à disposition des roses blanches et des pétales de fleurs pour un dernier au-revoir à votre père, votre ami, votre frère, votre collègue.
J’avance dans un brouillard et j’attrape une poignée de pétales au hasard.
Les regards sont tournés vers moi, vers la fille indigne aux yeux secs.