Le chauffeur de bus

Par Ewen

Le délire est parti d’un voyage en bus aussi long qu’éprouvant, dans une chaleur insoutenable, conduits par un chauffeur fatigué et particulièrement blasé.

Cette graine de star avait répété dans son micro à tous les arrêts précédents les mêmes phrases pré-enregistrées, ponctuées de souffles las, concernant le devenir d’éventuels bagages ou objets perdus.

 

— Mesdames messieurs, nous arrivons bientôt à la gare routière de Caulnes… Veillez à ne pas laisser d’objets derrière vous ; tout objet oublié sera considéré comme perdu… Nan plus sérieusement, pour les récupérer, vous pouvez vous rendre au bureau des objets trouvés le plus proche.

 

La pointe d’humour de la deuxième phrase est toujours portée disparue. Nan, ce qu’il y avait de comique dans chacune de ces interventions, c’était leur formulation, quasi-identique à chaque arrêt – changez juste le nom de la ville –, et leur énonciation, sur le même ton qu’utiliserait un employé des pompes funèbres asthmatique en fin de journée.

 

Nous approchions du terminus, lorsque nous tombâmes sur un bouchon s'étirant au moins jusqu'à l'horizon. Une pluie drue s’abattait sur le car depuis quelques minutes, et l’on avait déjà tous, depuis 17h40 environ, enterré l’espoir d’arriver comme prévu à 17h50.

Voilà la phrase qui a tout déclenché :

 

— Mesdames messieurs, comme vous pouvez le constater, nous sommes en retard.

 

Mon pote et moi avons tout juste eu le temps de croiser le regard de l’autre avant d’éclater de rire. Le chauffeur enchaîna, trois (trop longues) secondes plus tard, avec son refrain habituel – mais le mal était fait. Ne nous restait qu’à imaginer les meilleures sorties possible pour ce personnage, dont voici un florilège :

 

(Veillez à visualiser clairement un chauffeur de bus exténué, flegmatique et un peu potelé, micro à la main, sur son siège face à la route, s’adressant à un car bondé, pendant que tout le monde s’apprête à vendre son âme à qui veut bien pour de l’air frais)

 

***

 

— Mesdames messieurs, comme vous pouvez le constater, il pleut.


 

— Mesdames messieurs, comme vous pouvez le voir, je conduis un autocar.


 

— Mesdames messieurs, comme vous pouvez le constater, il est 18h05.


 

— Mesdames messieurs, j’espère que vous appréciez mes qualités d’horloge parlante ; j’exerce ce métier à mi-temps. Mesdames messieurs il est désormais 18h06.


 

— Mesdames messieurs, la route est longue.


 

— Mesdames messieurs, je vous informe que nous nous approchons de 18h07.


 

— Mesdames messieurs, préparez-vous à 18h08.


 

— Mesdames messieurs, j’ai brûlé tous vos bagages qui étaient en soute avant de partir, mais n’oubliez pas que le ciel reste bleu derrière les nuages.


 

— Mesdames messieurs, comme vous pouvez le constater, une personne parmi nous ne porte pas de masque alors que nous nous trouvons dans un contexte de crise sanitaire liée au Covid-19. Cette personne-là, c’est moi. Je vous rappelle que le masque reste obligatoire et doit couvrir votre bouche, ainsi que votre nez.


 

— Valises et bagages, comme vous pouvez le constater, nous arrivons à notre terminus. N’oubliez pas vos mesdames messieurs dans la soute. Toute madame oubliée sera considérée comme perdue.


 

— Mesdames messieurs, comme vous pouvez le constater je ne vais plus vers Brest. J’ai décidé de rouler tout droit, et de voir ce que la vie nous offre. Merci pour votre compréhension. La ceinture reste obligatoire, et doit couvrir votre bouche ainsi que votre nez.


 

— … Nan, plus sérieusement, quelqu’un peut me rappeler où on va ?


 

— Mesdames messieurs…

*ne dit plus rien et coupe le micro*


 

— Mesdames messieurs, je connais une chanson. Attention, 1–2–3…


 

— Mesdames messieurs, comme vous pouvez le constater, l’amour est enfant de bohème.

 

 

— Mesdames messieurs, que celui ou celle qui a pété se dénonce, car il ne s’agit pas de moi.

 

 

— Mesdames messieurs, notre train arrivera dans quelques instants en gare de Brest. Nan plus sérieusement je vous ai eus, nous nous trouvons bel et bien dans un autocar en direction de Buenos Aires. Eh non, je vous ai encore eus. Ce car va en réalité bel et bien à Brest. Sauf que non, c’était encore une fois un prank. Je m’appelle en fait Johnny, je n’ai qu’une femme, et trois enfants.

 

 

— Mesdames messieurs, nous arrivons à un barrage de police. Vérifiez que votre ceinture est bouclée, pour vous prémunir contre toute amende en cas de contrôle. … Si vous voulez que j’appuie sur l’accélérateur au dernier moment, levez la main. Toute main non levée descend au prochain arrêt. Mais juste la main. … Nan, plus sérieusement, j’accélère ?

 

 

— Mesdames messieurs, je sens qu’on se rapproche petit à petit, et j’aimerais savoir : ça vous dérange si je vous parle de mes problèmes de couple ? J’ai aussi du mal à communiquer avec mon fils de quatorze ans.

 

 

— Mesdames messieurs, j’ai parfois l’impression que ma vie est une émission de télé-réalité ponctuée de rires enregistrés que je suis le seul à ne pas entendre.

 

 

— Mesdames messieurs, vous m’entendez ?

 

 

— Mesdames messieurs, je vais m’arrêter à la prochaine station-service pour que l’on puisse prendre un café tous ensemble et discuter de la vie. Ceux qui souhaitent rester dans l’autocar le peuvent, bien évidemment.

 

 

— Mesdames messieurs, personne n’est descendu boire un café avec moi. Vous êtes sûrs qu’on peut repartir ? Personne ne veut faire un petit pipi ?

 

 

— Mesdames messieurs je commence à croire qu’il s’agit d’un dialogue à sens unique.

 

 

— Mesdames messieurs, nous voilà arrivés à destination. La température extérieure est de 12°C, et celle de mon cœur a considérablement chuté.

 

 

— Mesdames messieurs, j’espère que vous avez effectué un bon voyage, et serai heureux de vous retrouver prochainement sur cette même ligne. Mesdames et messieurs je ne vous oublierai pas. Prenez soin de vous et à la prochaine. Bye.

 

 

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Agathe
Posté le 12/06/2022
J'ai ri, vraiment, de bon cœur ( j'avais jamais encore lu les gags qui courent et je m'ennuyais un peu par un dimanche après midi )
Par contre, tu aurais pu évoquer quelles phrases/blagues étaient de ton pote, parce qu'on sait tous que tu as pas pu toutes les inventer toi même ( ou alors prévoit ton one man show, conseil de pote )
PS : " La température extérieure est de 12°C, est celle de mon cœur a considérablement chuté. " -> le " est " dans la deuxième partie de la phrase c'est fait exprès ?

tcho ;)
Ewen
Posté le 12/06/2022
Yeah ! Content que ça t'ait à ce point plu ! :D
Alors je te le jure : je n'ai mis que les miennes 😆 celles de mon poto restent entre nous, c'était beaucoup plus surréaliste et ça ne matchait pas avec l'histoire (même si c'était tout aussi hilarant)

(Au cas où : j'ai capté le second degré sur "on sait tous que tu as pas pu toutes les inventer toi même" 🙃😝)

Le est était complètement une erreur, merci !!

Tchô! ;)
Kevin GALLOT
Posté le 25/05/2021
Salut Ewen, merci pour ce florilège, très amusant.

petite coquille : crise sanitaire liée au (A LA) Covid-19

La palme est décernée à celle-ci qui m'a beaucoup fait marrer :
— Valises et bagages, comme vous pouvez le constater, nous arrivons à notre terminus. N’oubliez pas vos mesdames messieurs dans la soute. Toute madame oubliée sera considérée comme perdue.

A+
Ewen
Posté le 25/05/2021
Salut Kevin ;) Merci !
Concernant la coquille, on va rentrer dans un débat d'une ampleur insoupçonnée fais gaffe xD :
Je continuerai d'employer "covid" au masculin, tout comme "cerne" au féminin, parce la majorité de la population les utilise ainsi. Et je crois davantage en la loi de l'usage qu'en celle d'académiciens dont le Dieu unique est une langue française soi-disant intouchable, et morte depuis des décennies. D'ailleurs, on devrait plutôt trouver moyen de ne pas genrer des termes comme ceux-là, plutôt que d'imposer un genre qui ne fait ni sens, ni naturel.
Voilà mon avis sur la question xD Et ce n'est pas une attaque à ta personne hein !!! (au contraire merci de ta lecture attentive, c'est pas tout le monde qui m'aide à relever des fautes)
à+++
Kevin GALLOT
Posté le 26/05/2021
héhé, pas de soucis, je respecte, j'aime bien ton point de vue :)
Je suis infirmier donc vois ma remarque comme une deformation professionnelle :D
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