-Colin, est-ce que tu veux venir nous parler de Monsieur Rice Burroughs ? Confirmant ses pires craintes, il prit ses feuilles et se leva pour rejoindre le tableau tandis que son cœur s’affolait. L’exercice de l’exposé n’avait rien de foncièrement terrifiant, mais il ne parvenait pas à chasser son stress et sa timidité à l’idée de parler en public. Sa professeur, Madame Clayton, descendit de l’estrade et, comme d'habitude, s’installa à sa place. Seul debout devant la classe, il détestait cette situation, point de mire de trente paire d‘yeux qui se fichaient royalement de la vie de l’écrivain qu’il allait leur présenter. Les mains légèrement tremblantes, la gorge serrée, il déglutit avant de se lancer : -Edgar Rice Burroughs, le père de Tarzan, est né à Chicago le premier Septembre 1875… Pendant ce qui lui sembla une éternité, il fit part de ses recherches à ses camarades. Évitant à tout prix de lever les yeux de ses feuilles, Colin se concentrait uniquement sur ses notes. Il ne tenait pas à voir à quel point sa classe s’ennuyait, surtout après les deux exposés précédents. Fort heureusement, il parvint enfin au bout de l’épreuve. Une fois sa conclusion lue, il dut cette fois lever le visage. Ses prévisions se vérifièrent à nouveau : des élèves regardaient par la fenêtre, d’autres discutaient à voix basse et certains ne dissimulaient qu’à grand-peine des bâillements. Sa professeur se leva : -Merci, Colin. Tu peux retourner t’asseoir. Profondément soulagé d’avoir passé l’épreuve, le jeune homme put enfin respirer. -Alors, reprit l’enseignante, en s’adressant à ses élèves. Des commentaires sur l’exposé de votre camarade ? Un silence assourdissant résonna alors, même si Colin entendit Ben murmurer : -Chiant. Le jeune athlète se trouvait assis juste derrière lui et s’amusait régulièrement à lui envoyer ses piques auxquelles Colin ne répondait jamais. -Il parlait trop vite et n’a jamais levé les yeux de sa feuille, remarqua une voix féminine également derrière lui. Jennifer Hanson. La voisine et petite amie de Ben, une jolie blonde, membre de l’équipe de natation et excellente élève. -Tout à fait, Jennifer. Quand vous vous adressez à un public, regardez-le de temps à autre, impliquez-le dans votre discours ou votre exposé. Ainsi, il s’ennuiera moins. De plus, Colin, il faut que tu fasses des efforts sur ta vitesse d’élocution. Là, on aurait cru que tu avais un train à prendre. Je te rappelle que les exposés devaient durer au moins quinze minutes, tu en as tenu à peine huit. Bon, quelqu’un veut ajouter une remarque ? -Son exposé était intéressant et bien construit, reprit Jennifer. On voit qu’il a fait des recherches poussées et passé du temps sur la rédaction. -Tout à fait, fit la professeur. Merci, Jennifer. Effectivement, Colin, tu as visiblement fait un très bon travail de recherches et porté du soin à la rédaction, ce dont je te félicite. Tu as bien découpé la vie de ton écrivain et compris les étapes de sa carrière. Un très bon exposé. Ce qui rend d’autant plus préjudiciable ta rapidité de présentation. N’oublie pas que si le travail en amont est important, il s’agissait avant tout d’un exercice oral. Tu as compris ?
Colin hocha la tête. Les remarques de sa professeur lui passait de toute façon au-dessus de la tête. Son exposé terminé, l’épreuve était maintenant derrière lui. Il ressentit néanmoins une petite fierté que Jennifer l’ait trouvé intéressant, du moins son travail. Ses compliments l’avaient fait sourire. Ce fut ensuite autour de Ben de présenter son exposé sur Jack London. Colin qui s’attendait à le voir se planter, fut très étonné de l’ampleur des recherches. De plus, contrairement à lui, le jeune athlète savait parler devant un auditoire. En tant que capitaine de l’équipe de basket, il devait régulièrement se livrer à ce genre d’exercice, sans compter qu’il était sans doute bien moins timide. Quand il eut fini son exposé et qu’il retourna s’asseoir, Colin, médusé, constata qu’il avait tenu les quinze minutes. Comme après son passage, la professeur demanda s’il y avait des commentaires. Là encore, le silence. Colin entendit pourtant Ben s’adresser à Jennifer : -J’ai déchiré ! Allez, vas-y. Mais la jeune fille ne sembla pas obtempérer. L’enseignante, elle, fixa le jeune sportif : -Tu parles bien. Ton élocution est posée, à un bon rythme et tu sais regarder ton public. Le jeune sportif se rengorgea : -Merci, m’dame. -Ce qui m’ennuie plus, c’est que ton exposé n’est qu’un copier-coller de Wikipédia. -Non, protesta-t-il. J’ai été à la bibli et … -Monsieur Bangford, il est inutile de me mentir alors, n’aggravez pas votre cas. Normalement, je devrais vous mettre un zéro, mais comme cette note va rentrer dans votre moyenne essentielle à l’obtention de votre diplôme, je vais vous laisser une seconde chance. Vous repasserez la semaine prochaine avec un exposé sur Jules Verne. Je ne vous conseille que trop de bien vous y préparer. Devant l’absence de réponse de son élève, elle crut bon d'insister : -C’est bien compris ? -Mais, m’dame, j’ai un match dans huit jours et… -Et vous n’aviez qu’à travailler votre exposé comme tout le monde. Vexé, le jeune sportif se tut. -C’est bien compris ? insista-t-elle. -Oui, répondit-il à contrecœur. La sonnerie retentit à ce moment-là, les délivrant. Dans un joyeux brouhaha, les élèves sortirent pour rejoindre leur autre salle de cours. -Ça y est, l’épreuve est finie ? demanda Scott. Soulagé ? -Oh oui ! Qu’est-ce que je peux détester ça… -Pourtant, t’as géré et avec les compliments de la prof et de Jen’ en prime. C’est beau, non ? Colin ne répondit rien, mais esquissa un léger sourire tandis que son ami concluait : -Et, à titre personnel, j’ai beaucoup apprécié que la star se fasse remettre à sa place. Ça lui fera le plus grand bien ! Les deux garçons se sourirent de plus belle. Ben ne ratait jamais une occasion de les rabaisser, surtout en sport où il les surclassait. Les deux amis avaient donc particulièrement apprécié les remontrances de l’enseignante. Les garçons abordaient juste un coin de bâtiment quand Colin, bousculé, alla heurter le mur proche : -Ça va, le lèche-cul ? Ben. -Crétin, murmura Scott en le voyant s’éloigner. Ça va ? Par réflexe, Colin passa une main dans ses courts cheveux bruns : -Ouais, ouais, il n’a pas dû supporter de se faire remonter les bretelles… -Faut avouer que ça ne doit pas lui arriver souvent. Excellent basketteur, le jeune sportif avait permis au lycée d’aller en demi-finale du championnat d’état la saison passée. Un exploit et une grande première pour leur école qui lui avait valu une belle réputation et un statut d’intouchable. Aucun enseignant n’aurait pris le risque de le sanctionner malgré ses notes désastreuses, puisque cela équivaudrait à se priver de ses talents. Inenvisageable autant pour l’entraîneur que pour le proviseur. Un lycée qui gagnait attirait plus facilement les élèves… et les subventions. Tout cela sans compter le potentiel retour si un élève devenait un grand joueur pro. Un rêve… pour l’instant. Parfaitement conscient de ce statut privilégié, Ben en profitait et s’en prenait à ceux qui ne lui témoignait pas la déférence qu’il semblait attendre. De plus, bien entouré par ses amis et coéquipiers qui ne semblaient pas en prendre ombrage, tout dévoués à sa « gloire ». Colin et Scott se demandaient d'ailleurs souvent comment il se débrouillerait seul sur un terrain. Mais, fort de l'appui du proviseur, rien ne semblait pouvoir l’atteindre. Sauf Madame Clayton. Elle et le professeur d’histoire n’hésitait pas à sanctionner le sportif, comme le prouvait l’incident qui venait d’avoir lieu. Ils le retrouvèrent ensuite avec leurs autres camarades pour le cours d’histoire justement. Il ne leur adressa pas un regard. De toutes manières, ils s’en moquaient, ne souhaitant avoir aucun contact avec lui. Leur professeur ne tarda pas et ils purent s’installer. Ils le virent ensuite sortirent une liasse de feuilles de son cartable. -Je vais vous rendre vos devoirs, annonça-t-il sans préambule avant de les faire passer. Colin avait, comme à l’accoutumée, reçu une excellente note. Rien d’étonnant, c’était de loin son cours préféré. -J’aurais aimé que pour cette période essentielle qu’est la seconde guerre mondiale, vous ayez révisé un minimum… Apparemment, seuls Colin et Jennifer se sont donnés cette peine. Donc, la première question… Le jeune garçon se sentit gêné d’avoir été donné en exemple, surtout avec Jennifer. Au vu de la réaction de son copain au cours d’avant, il craignait des représailles. Et, doté de la même corpulence fine que Scott, il ne se faisait guère d’illusion sur ses chances face à lui. Aussi prit-il soin d’éviter de croiser son chemin lors de la pause de dix heures et fila s’enfermer à la bibliothèque dès la pause du midi. La bibliothèque : son havre de paix dans le lycée. Le seul endroit hormis les salles de cours où il se savait à l’abri de Ben. Le bibliothécaire l’y accueillit d'ailleurs très chaleureusement : -Ah, Colin, viens par ici ! le héla-t-il dès que le jeune homme en franchit le seuil. Regardes ce que j’ai reçu ce matin. Ce disant, il lui tendit un épais livre dont la couverture montrait différents soldats, de l’archer au Navy Seal. -Une sorte d’encyclopédie des grandes batailles depuis l’antiquité. Il devrait te plaire, non ? -Je peux l'emprunter ? demanda Colin tout sourire. Passionné d’histoire, il s’intéressait surtout aux guerres. Révélateur selon lui du courage et de la lâcheté que montraient les hommes face à ces situations critiques. Il adorait se plonger dans les légendes entourant ces conflits : de Boadicée, la reine des Bretons s'opposant aux légions romaines jusqu’à ce jeune lieutenant qui s’était emparée, à lui tout seul, d’une colline fortifiée par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Les exemples de courage ne manquaient pas dans l’histoire de l’humanité où, en certaines occasions, ceux qui combattaient pour la paix l’emportaient face à un ennemi pourtant plus fort, parfois mieux armé et plus nombreux. -Il l’est, répondit le bibliothécaire. Je te l’ai mis de côté. Colin le remercia et s’assit à une table pour s’y plonger avant la reprise des cours. Scott étant externe, à l’inverse de lui, il pouvait lire autant qu’il le voulait. La sonnerie interrompit sa séance lecture. A regrets, il rangea l'épais livre dans son sac et rejoignit sa classe où il retrouva Scott. A la fin de la journée, alors qu’ils regagnaient ensemble le parking à vélo, un employé sortit d’un des bâtiments. -Ah Scott, je peux te voir une minute ? Monsieur Stevens, l’homme à tout faire du lycée, occupant les fonctions de jardinier, de surveillant et de responsable du parc informatique… en théorie du moins pour ce dernier poste. Car, il venait très régulièrement demander l’aide de Scott. Il s’arrêta devant les deux amis : -Je suis désolé, mais j’ai un souci avec la nouvelle version de Windows. Ça t’ennuierait de venir y jeter un œil ? Très doué en informatique, voire même surdoué, bien plus à l’aise devant un écran d’ordinateur qu’avec un être humain, Scott n’adorait rien de plus que de farfouiller dans les entrailles des PC. Il réajusta ses lunettes, comme à chaque fois qu’il allait ausculter un PC et acquiesça : -Pas du tout. Colin se tourna vers lui : -Bon, ben à demain ! -A demain ! Admiratif des compétences de son ami, Colin enfourcha son vélo et rentra tranquillement. Le lycée se trouvait à un peu plus d’un kilomètre de chez lui. Trajet qui lui faisait emprunter une piste cyclable à l’écart de la route et qui longeait un petit bois. En ce mois de novembre, le jour commençait déjà à décliner. Les arbres prenaient un aspect sinistre et leurs grandes branches sans feuilles leur donnaient des allures d’êtres décharnés. Au printemps et au début de l’automne, Colin aimait à passer par là, cela lui faisait comme un petit coin de campagne en pleine ville. En revanche, à cette période, cela devenait sinistre. Aussi accéléra-t-il pour sortir de la zone. Quand, brusquement, un chat passa en courant devant lui. Par pur réflexe, il freina. Mais, sa roue se prit dans une ornière, le faisant directement chuter dans le petit fossé qui longeait la route. Fossé évidemment plein d’eau. Dégoûté, frigorifié, il se releva, furieux. Sortir son vélo fut difficile, surtout qu’il commençait à s’énerver. Évidemment, ce genre de choses n’arrivait qu’à lui ! Bon, apparemment, son vélo n’avait aucun dégât sérieux. Il avait finalement eut de la chance de ne pas avoir de roue voilée. Colin allait repartir quand son regard fut attiré par une sorte de lumière clignotante dans l’eau. Intrigué, il s’approcha et constata que cela provenait d’une sorte de pierre ou de cristal transparent. Déjà trempé, il faillit renoncer mais, curieux, céda à la tentation. Malheureusement, à peine l’eut-il sortie de l’eau que la pierre, après un dernier clignotement se brisa. Et pas simplement en deux, mais en une myriades de petits fragments. Il ne lui resta plus qu’un tronçon d’un ou deux centimètres dans la paume de la main. Celui-ci émit alors une brusque lueur jaune aveuglant Colin, qui, surpris, lâcha aussitôt le fragment qui se brisa en touchant le sol. Effrayé de ce qui venait de se produire, n’y comprenant rien, Colin remonta sur son vélo et fila au plus vite.