Le choc

Nova s'assoit sur le lit, la tête penchée vers le sol, ses os tirent, sa tête tourne en boucle cette chanson de la veille qui ne veut s'en aller. Il fredonne l'air comme si cela l'extirperait de ses pensées. Il balance son cou, regarde le plafond noir puis se décide à se lever. La lumière reste éteinte, la porte est bloquée par des vêtements, Nova force. Un rayon transperce l'obscurité, réveille son mal de crâne, des tambours frappent. Dans le petit couloir qui mène au salon, des bouteilles vides jonchent le sol, des bouteilles à moitié vides parfois dont le liquide colle agréablement sur le parquet.

Le parquet ? Se dit Nova, d'un air inquiet.

Un de ses amis affalé sur le canapé qu'il ne reconnait pas lève le bras pour le saluer, l'effort de trop. Nova cherche ses affaires, son portable, il a un vague souvenir que sa mère devait l'appeler ce matin.

Ma mère… À quoi, elle ressemble déjà ?

Il fouille. Soulève les coussins, le tapis, remue les placards. L'effroi d'avoir perdu ces affaires est remplacé par de la colère alimentée par ses tapages encéphaliques, son cœur s'accélère, les battements résonnent, ses doigts se contractent. Son pote se relève subitement.

— Antoine, mais qu'est-ce que tu fous à poil ? Il éclate de rire, une larme de réveil coule sur sa joue, il manque de s'étaler sur la table basse.

Nova s'inspecte, puis sursaute lorsqu'il se voit nu, il se touche le torse, la poitrine, il se caresse jusqu'à son sexe qui pendouille. Il se met à trembler. Une fraîcheur soudaine s'empare de lui, il s'accroupit, se roule en boule les yeux écarquillés. Une mèche lui gêne la vue, lui qui n'a jamais eu les cheveux plus longs que très court. Ses souvenirs se floutent, le visage de sa mère déjà pixelisé se perd, la douceur de ses traits s'effritent, ses amis s'envolent. Seul reste un sentiment, une émotion, il ne parvient plus à visualiser quoi que ce soit de son passé. Ces meubles, ce tapis, ce parquet, Nova les voyait pour la première fois. Et ce mec qui l'appelle Antoine, il ne le reconnaissait pas. Il s'approche de lui, pose sa main sur son épaule. Un frisson de dégout parcours Nova.

— Lâche-moi s'écrit-il de toute son âme. Lâche-moi répéta-t-il en s'asseyant contre le mur. Lâche-moi, chuchota-t-il en perforant le vide d'un regard haineux.

— Antoine, reprend son soi-disant ami, ça va ? T'es en bad ? Je vais te chercher de l'eau, d'accord ? Ne bouge pas.

Il s'écarte à reculons vers la cuisine. Un bruit d'eau camoufle les pensées de Nova, un bruit familier qu'il apprécie. Un bras lui tend un verre rempli maladroitement plus haut que le bord. Nova s'en renverse partout, les mains tremblotantes, les muscles hésitants, comme si son corps ne répondait pas correctement. Comme si ses articulations se déplaçaient avec une fraction de seconde d'écart par rapport aux ordres qu'il donne. Comme si ces bras cherchaient à répondre à d'autres instructions, données par quelqu'un qui n'est pas Nova, par quelqu'un qui abrite ce corps, qui l'abritait avant lui. L'eau circule dans son œsophage, une traînée liquide et froide de sa gorge jusqu'à son estomac qui le calme un peu.

— Désolé, je ne me sens pas très bien, dit Nova d'une voix étrangère.

— T'inquiètes, ça fait souvent ça la première fois.

— La première fois ?

— Les champots' ! Tu te rappelles vraiment de rien.

— De rien du tout. D'ailleurs, c'est quoi ton nom ? Nova émit un léger sourire forcé pour feinter un trait d'humour.

— Ferme-là, dit-il en riant. Bon, je ne vais pas m'éterniser non plus. C'était sympa, on se refera ça, n'hésites pas à appeler si tu as besoin d'un refill.

Nova se relève à peine quand la porte d'entrée claque. Il était seul, dans un appartement qu'il ne connaissait pas. Il ne regarde pas la fenêtre de son salon, une place animée en bas de chez lui, une odeur de kebab lui met le fait saliver, son ventre grogne. Un téléphone sonne. Nova sourit, il croit au destin, c'est sûrement sa mère qui la délivre enfin. Il soulève quelques bières vides, sur l'écran, il est écrit Maman Maman, il ne souvient pas l'avoir appelé comme ça, mais tant pis, c'est sa mère, c'est l'appel qui l'attend. Il décroche.

— Allo Maman.

Un peu fatigué, et toi ?

Oui.

D'accord.

Ok.

Oui. Oui.

Quoi ? Mon père ? Mais il n'est pas mort ?

Sa mère se marre. Nova a toujours cru que son père était mort d'un accident d'avion, c'est l'histoire que toute sa famille lui raconte depuis son plus jeune âge, il le sait au fond de lui, sa mère lui fait une blague. Elle lui annonce qu'il revient de son voyage d'affaire et que c'est l'occasion de se retrouver, qu'il devait être libre, car il ne travaille pas, sa sœur sera là. Nova déglutie, aucun souvenir de sa sœur de lui revient.

— Oui. Oui. J'ai compris Maman. Ok. Diner ce soir à la maison. Pas de problème.

Nova raccroche en vitesse, il fonce dans la salle de bain, une salle sombre, jaune sans fenêtres avec une lumière chaude qui jaunissait encore plus une baignoire ridiculement petite, il ne pourrait pas s'y allonger. L'eau chaude le réveille, il comprend qu'il possède un corps qu'il n'ait pas le sien, cela lui rappelle des séries de science-fiction où les protagonistes transposaient leur conscience à l'aide de casque VR dans de nouveaux corps numériques.

Il se rassure en se répétant qu'il est dans une simulation, que les avancées technologiques lui permettent de vivre une autre vie. Un doute persiste mais c'est la raison la plus logique. L'eau chaude sur son visage, l'odeur du savon, la brosse à dent, tout semble si réel. Il reprend son calme. Il continue de penser à ces séries qu'il avait matées, à ces livres qu'il avait lus. Il se rappelle qu'il pensait toujours qu'il ferait mieux que le héros, qu'un nouveau monde ne lui ferait pas peur, qu'il en profiterait au contraire pour vivre comme il l'entend, loin de la prison mentale qu'il s'est lui-même créé dans sa vie d'avant.

Oui, mais c'est ça en fait, se dit Nova. J'ai dû être envoyé dans un autre monde, il ne tient qu'à moi d'en profiter. Sous les jets de la douche qui décontractent ses muscles, un élan d'espoir le gagne. Un espoir qui lui redonne le sourire, il saisit son smartphone, ouvre Spotify, lance Johny Be Good, et se trémousse dans un élan de bonheur, son rêve devient réalité, il peut recommencer à zéro, vivre la vie qu'il souhaite. Il enfile deux trois vêtements qui trainent dans le placard de sa chambre, il trouve les clés, son portable, une paire de lunette de soleil et sort. Il descend les marches du premier étage, une odeur de poubelle pourrie devant une porte de ses voisins l'enrage puis l'estomaque tant elle semble réelle. Il récupère le sac pour le descendre au conteneur en pensant qu'il commencerait cette nouvelle vie avec un acte bienveillant et qu'il en ferait de nouveaux tout au long de la journée.

Le hall d'entrée est plus chic que le reste de l'immeuble, certainement, car des médecins travaillent au rez-de-chaussé. Jusqu'ici le monde qu'il avait connu et celui-ci se ressemble à l'identique, rien de nouveau, les gens marchent sans se regarder, les voitures polluent, les camions font un bruit pas possible que les bus tentent de concurrencer. Mais rien n'entrave la poussée d'adrénaline de Nova. Il se rend au Kebab accolé à son bâtiment, le chef le surnomme chef et lui demande s'il prend comme d'habitude.

Nova voit dans son regard que son nouveau corps ne lui est pas inconnu, il se dit qu'un passé a été programmé pour rendre l'expérience plus réelle. Nova ne veut pas le décevoir, il répond d'un simple oui. Son téléphone sonne. Sur l'écran s'affiche Best Of. Nova reste perplexe. Il ne décroche pas en se disant qu'il recevrait sans doute un message dans la foulée. Il s'assoit à une table dans le fond, la télé passe un match de foot de deux équipes qu'il ne connait pas, qui ne sont pas françaises. Il commence à grailler quand son téléphone vibre. Un message en attente. Il tente de le déverrouiller mais rien n'y fait il ne connait pas le code, il lève ses lunettes pour que la reconnaisse faciale fonctionne, c'est bon. Un message de Best Of.

— Yoooo, t'es vivant ?

Le téléphone vibre, une série de messages s'affiche.

C'était insane.

J'avais jamais vécu ça.

Je suis dans le pâté

T'as prévu quoi aujourd'hui ? On se capte ?

Viens à l'appart si tu veux.

Nova hésite puis accepte, il se dit qu'il ferait mieux de découvrir un peu le passé de sa nouvelle vie.

— Yo. Ok ça marche.

Tu peux me renvoyer l'adresse ?

Une nouvelle série de messages.

— Mdrrrr

Tu dois être dans un état toi.

Allé ramène tes fesses

13 Boulevard Voltaire, 75011 Paris

Tu prends la 3

C'est direct frère.

Nova découvre la ville lumière pour la première fois, il s'émerveille de tout, du nombre de passants à 15h en pleine après-midi, du trafic qui reste bloqué des dizaines de minutes à cause des travaux, des marches sales et sans fin qui descendent sous la terre où les frottements des rails se font entendre à tout va. Les portiques le bloquent, il prend un ticket avec la monnaie de son repas, 2€10. L'ambiance devient de plus en plus lugubre à mesure qu'il avance, mais Nova arbore un sourire infaillible, rien ne l'empêche de rêver aujourd'hui. Il se ressasse ses envies les plus folles, son désir d'aventure, cette volonté de partir loin de ce pays, découvrir d'autres cultures comme son père.

Comme mon père ? Se dit Nova. Encore ce matin, j'étais persuadé qu'il était mort. Et là, je parviens presque à l'imaginer.

Le choc balaya ce doute en se confortant dans l'idée que des souvenirs avaient dû lui être implanté à la connexion. Encore une fois pour que l'expérience soit plus réaliste. Il admit que les développeurs ont pensé à tout, il se sent totalement transporté. Nova eut un haut le cœur en réfléchissant à un scénario où il perdrait ses souvenirs d'avant, il eut un vague sentiment de frayeur à l'idée de pouvoir s'oublier lui-même et qu'ici personne ne s'en rendrait compte. La vie de sa conscience ne tient qu'à un fil.

Il ne faut pas que j'oublie, se dit-il. Il ne faut pas que j'oublie. Il faut que j'écrive. Que j'écrive un mot, je n'ai pas de stylo. Vite, vite.

La bourrasque émise par l'arrivée fracassante du métro balaya ses cheveux et lui remit les idées en places. Il entra dans la rame devant lui, s'assit à côté d'un vieux gars sans le regarder. Nova reprit son sang froid en se rappelant que rien de bon ne lui arrivera s'il perdait son calme. Il lui suffit d'écrire une trame de sa vie d'antan et de la relire tous les matins pour ne jamais l'oublier. Il ouvrit son portable pour y écrire ses premières idées : des dizaines de notes s'y trouvent.

Nova a le sentiment de violer le jardin privé de quelqu'un, il ressent cette envie de tout lire pour découvrir le cadre de sa nouvelle vie et pourtant il hésite, comme si une force invisible jouait avec sa volonté. Une force qu'il surpasse aisément d'un haussement d'épaule, bousculant par la même occasion le mec à sa droite. Nova s'excuse, il ne répond pas, le regard porté par la fenêtre qui ne donne sur rien. Nova replonge dans son portable, il analyse les titres des notes. L'une d'entre elles lui coupe la respiration. C'est le nom qu'il allait donner à la sienne : A NE JAMAIS OUBLIER.

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Le Diable
Posté le 11/09/2024
Du bad trip au trip d'écrire en passant par tous les états! J'espère qu'il y aura une suite car quand je vois qu'une âme est libre, ça me donne envie de négocier, forcément.
Symphonio
Posté le 20/04/2024
Un début de roman intéressant. Le personnage est aussi perdu que le lecteur, et tous deux comprennent les mêmes choses en même temps. Le lecteur n'a aucune avance sur Nova, et cela permet d'être surpris par tous les événements.
Un roman à suivre avec plaisir ;)
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