Le Choix de Neïla

Quand Adhrogan vit arriver Neïla et Alissandre, il soupira de soulagement. Même s’il faisait confiance à son neveu, il avait craint que leur amour soit plus fort que leur raison. Tous deux arboraient un visage défait à l’expression douloureuse. Le roi prit sa fille dans ses bras et la serra contre lui, même si elle était peu habituée à un élan d’amour paternel de la part du monarque, elle se laissa aller contre son épaule et sanglota de désespoir.

— Je t’en prie, père, ne le laissez pas m’emmener.

Le souverain la repoussa doucement, le cœur lourd de voir sa fille ainsi dévastée, prit son visage entre ses grandes mains masculines.

— Tu sais bien que je ne peux pas !

— Je préférerais mourir que de l’épouser.

— NON ! hurla Alissandre.

Le jeune homme se précipita vers elle, et se moqua bien du monde autour d’eux. Surpris, Adhrogan la lâcha. Le futur roi prit son amante dans ses bras et l’embrassa d’un baiser désespéré malgré les murmures de la cour.

— Jamais, ne redis jamais ça. Jure-moi que tu n’en feras rien.

— Je ne peux pas, je ne peux pas…

— Si tu choisis la mort Neïla, je te suivrai, je ne peux pas envisager de continuer à vivre si tu n’es plus de ce monde.

Le silence se fit brutalement. On aurait presque entendu leur cœur battre. Les deux amants, face à face, se fixaient, main dans la main. Alissandre les serra doucement, ils se fichaient du monde autour d’eux, que ce soit leur famille, leurs amis ou leurs sujets, même des impériaux s’ils avaient été là.

La petite sœur de Neïla, Aëlys, s’avança vers eux, les larmes aux yeux. La voix de l’adolescente se fit entendre comme si elle avait été loin, très loin, aux oreilles de sa sœur.

— S’il te plaît, ne m’abandonne pas. Que vais-je devenir si tu me laisses seule avec le frère de Varad ?

Aëlys essuya ses joues humides et posa ses doigts sur les mains enlacées d’Alissandre et de son aînée. Elle les étreignit doucement et Neïla finit par se retourner vers sa benjamine. Ce fut peut-être la douleur qu’exprimait le visage dévasté de sa petite sœur ou les paroles d’Alissandre qui la tirèrent de son désespoir ou les deux. Le prince les prit toutes deux contre lui, bientôt rejoint par sa propre sœur. Les gens autour d’eux s’en allèrent et les laissèrent seuls. Même le roi quitta la salle. Depuis l’annonce de Varad déclarant qu’il choisissait Neïla pour épouse, Aëlys pour son frère et Saura pour son cousin, sans même leur demander leurs avis, les quatre jeunes nylosiens n’avaient pas réellement eu l’occasion de se retrouver seuls. Toutes trois étaient désemparées, pleine d’effroi à l’idée de partir pour Azdrak, la planète des Impériaux. Quant à Alissandre, il avait les mains liées et pouvait seulement tenter de leur apporter un peu de réconfort. Il leur apprit donc que le roi abdiquait en sa faveur et que ce dernier et son épouse partiraient aussi à Azdrak-Kitéh, la cité impériale, afin de demeurer à leurs côtés. Il respira un grand coup et annonça qu’il avait demandé la main de la sœur de Varad avant de partir retrouver Neïla. Devant la mine de cette dernière. Alissandre la prit dans ses bras et l’embrassa avec tendresse. Les deux autres jeunes filles n’eurent pas besoin de demander, elles comprirent sans avoir besoin de mots que ces deux-là avaient enfin laissé parler leurs sentiments.

— Varad est venue avec elle pendant votre absence, annonça Saura.

— Comment est-elle ? demanda Neïla que la jalousie tenaillait.

— Comme une impériale… Grande, les cheveux blancs et les yeux pâles… Je crois qu’elle est timide, elle garde tout le temps les yeux baissés, et quand elle est arrivée ici, elle a fait sensation.

— Pourquoi donc ?

— Sous son manteau, elle était presque nue. J’espère pour elle, qu’elle ne se promène pas comme ça sur sa planète, elle doit se geler.

— Oui, mère lui a offert des vêtements, je crois qu’elle a eu un peu pitié d’elle, affirma Aëlys.

— Je la déteste, murmura Neïla entre ses dents.

Alissandre passa une main douce sur ses reins et lui chuchota.

— Ne t’inquiète pas, je ne compte pas l’avoir dans mon lit, quand bien même, elle serait la plus belle femme de l’Empire. La seule qui aura toujours le droit de s’y trouver, c’est toi. Il n’y avait pas de raisons que tu sois la seule enfermée dans un mariage qui te déplaît, c’est ma manière de partager avec toi cette torture. Je t’aime et je n’aimerai jamais que toi. Peut-être que ce sera un prétexte pour venir l’escorter voir son frère et en profiter pour te voir.

— C’est gentil de tenter de me remonter le moral, mais tu sais très bien ce qu’il en sera. Il est fort probable qu’une fois partie d’ici, nous ne nous revoyons jamais.

— Je serai à votre mariage, je fais partie du voyage normalement. C'est mon père qui assurera la régence pendant l’absence de ton père et la mienne. Ensuite, nous reviendrons ici le temps de régler la passation de pouvoir, puis Adhrogan retournera à Azdrak pour y prendre son poste d’ambassadeur.

— Pourvu que tu dises vrai… En attendant, il nous faut nous préparer pour cette maudite réception.

 

La reine, les filles du roi et la sœur d’Alissandre optèrent pour la tenue traditionnelle, agrémentée de quelques bijoux nylosiens aux formes végétales faits de matières naturelles : essentiellement d’essence de bois divers, parfois de la pierre polie et beaucoup plus rarement de pierre précieuse. Neïla avait choisi une tunique sans manches mauve sur un pantalon noir. Une ceinture simple de fibres tressées ceignait sa taille fine refermée par une boucle en tête de dragon. Ses biceps cerclés de fin bracelets de pierres volcaniques étaient ses seuls bijoux. Son épaisse chevelure noire ramenée en une large natte battait ses reins à chaque pas, ses sœurs avaient choisi des bijoux un peu plus voyants sans pour autant être ostentatoires, de même que Saura, quant à la reine, elle avait choisi une coiffure compliquée sertie de minuscules fleurs de soie d’Actaron aux couleurs vives, sa tunique d’un rouge soutenu de la même matière flottait sur ses hanches un peu rondes que soulignait une ceinture lâche à cinq rangs de perles transparentes des rivages d’Yradis.

Le spatioport étant à plusieurs kilomètres et ayant refusé d’être téléportés à bord du vaisseau impérial, ils se rendirent à leur destination à l’aide d’une navette, en réalité un étrange véhicule que les nylosiens utilisaient peu. Ici point de technologie de pointe, mais un savant mélange de magie et de créatures vivantes. Mue par des cristaux dont la vibration fournissait l’énergie quand il faisait nuit, l’électronique était remplacée par une sorte de créature marine baignant dans un bain, servait de capitaine, et d’êtres microscopiques colportant le flux de données. La famille royale monta dans ce petit vaisseau aux formes rappelant celles d’un animal fantastique vivant jadis dans les océans de la planète.

Les impériaux virent arriver cet étrange navette avec curiosité, s’imaginant sans doute que les nylosiens étaient de gentils arriérés parce que leur mode de vie était très loin du leur, proche de la nature, vivant en harmonie avec elle. Le peuple de Nylos utilisait les moyens dont ils disposaient de manière à ne pas déranger les êtres vivants sur leur monde, sans pollution. Lorsque les voyageurs descendirent de leurs véhicules, celui-ci sembla se refermer tel un coquillage sans le moindre accès, interdisant aux impériaux de pouvoir satisfaire leur curiosité.

Varad en personne les accueillit dès qu’ils sortirent sur le pont d’embarquement. Sa haute silhouette se détachait en haut d’une rampe d’accès éclairée par des néons blafards. Comme la première fois que Neïla l’avait vu, son visage était dissimulé par une capuche dévoilant que le bas de son visage et les quelques mèches blanches s’échappant de celle-ci. Quand elle arriva près de lui, elle remarqua que le manteau qu’il portait cette fois-ci semblait être de cuir recouvert de motifs ou de signes qui lui étaient inconnus, que l’on devinait que lorsqu’on se trouvait à sa proximité. Varad salua le roi et prit la main de la reine pour un baisemain poli. Il salua d’un mouvement de tête à peine perceptible les autres invités. Quant à Neïla, il prit sa main et la porta à ses lèvres pour un baiser un peu plus appuyé.

— Je suis honoré de votre présence, princesse, non sans un certain ton sarcastique.

L’héritier conserva la main de la jeune princesse dans la sienne, sa prise se fit plus ferme quand elle tenta de se dégager, les ongles de l’impérial s’enfoncèrent dans sa paume et Neïla se mordit la lèvre pour ne pas crier sous le regard furibond d’Alissandre.

Le groupe traversa de longues coursives dépouillées de toute décoration, pour ne pas dire lugubre. Neïla s’imaginait déjà vivre dans un lieu semblable, monochrome, triste, loin de sa planète verdoyante, des fleurs, du palais royal où chaque pièce, de par son architecture rappelant les formes végétales, était une décoration à elle seule. Ici tout était métallique, fait de lignes droites, sombre et froid. Rien que d’y penser, elle avait déjà le mal du pays. Face à la manière de marcher d’Aëlys et Saura qui avançaient en regardant leurs pieds, la mine sombre, il était certain qu’elle n’était pas la seule. Toutes pensaient à ce qui les attendait d'ici à quelques semaines.

Myr s’agita sur l’épaule de la princesse, frotta son petit bec sur la peau douce du cou de la jeune femme et se mit à ronronner, comme dès qu’elle était tendue. Ils arrivèrent, après avoir monté une nouvelle rampe d’accès, à leur destination. Varad lâcha la main de Neïla, et posa la sienne sur un écran où un sceau écarlate apparut quelques instants, puis une double porte s’ouvrit sur une vaste salle où les attendaient quelques impériaux. Varad s’effaça et convia ses invités à entrer. La pièce était à peine plus accueillante malgré les efforts de l’héritier de l’empereur pour la rendre plus agréable. Sylas avait froncé des sourcils en découvrant les décorations discrètes mises en place par son fils.

— Qu’est-ce que ces machins ?

— Nous recevons le roi de Nylos et sa famille, j’ai pensé que…

— Je ne t’ai pas demandé de penser… je ne veux pas voir ces fanfreluches et tous ces trucs de magie shamanique.

Varad avait dû faire enlever la majeure partie de ce qu’il avait choisi, en réalité peu de choses, quelques tentures de soie d’Actaron aux couleurs chaleureuses, une tapisserie représentant un vol de dragons et quelques objets artisanaux et magiques, tel un masque de cérémonie porté par les prêtresses lors des unions. Quelques plantes et vases remplis de fleurs et un chemin de table coloré, des soliflores et des bougies parfumées censées ouvrir l’appétit. De tout cela restait à peine que le chemin de table, quelques soliflores et la tenture. Varad avait dû faire enlever tout le reste, seul le siège impérial restait décoré d’un simple drapé grenat. Cependant, les nylosiens notèrent les efforts faits en leur honneur.

 

Sylas accueillit ses invités avec sa froideur habituelle, ignorant purement et simplement les femmes, même la reine. Adhrogan lui présenta son neveu et futur souverain. Alissandre, raide, le salua d’un hochement de tête discret. Zaerinn apparut à ce moment-là, habillée de soie rouge. Alehna se demanda où les impériaux avaient pu trouver une telle tenue faite avec l’une des plus belles étoffes de Nylos. Comme la première fois qu’elle avait vu la jeune princesse impériale, celle-ci était à peine vêtue. Le tissu translucide cachait juste ce qu’il fallait pour ne pas être réellement indécente. Alissandre l’observa surprit, cependant il dut reconnaître sa beauté délicate, ses longs cheveux blancs ondulés retenus par un fin diadème, un maquillage léger mettait en valeur ses grands yeux aux iris pâles cerclés de bleu. Il fut surpris par son comportement servile, son silence quand Varad lui présenta sa future femme. Puis l’empereur ordonna de passer à table. Les convives prirent place au tour d’une longue table massive faite d’un bois sombre, les sièges, des chaises à haut dossier ouvragé et orné de l’emblème impérial, la rune du démon Lesthaël. Sylas siégea en bout de table, tous s’assirent une fois qu’il fut installé, son fils à sa droite, Adhrogan à sa gauche. Il cachait à peine le mépris qu’il éprouvait pour ces invités, pour ce peuple qu’il jugeait inférieur. Lorsque Alehna s’adressa à lui, ses mâchoires se contractèrent d’agacement et quand Saura tenta d’engager la conversation avec Zaerinn, Sylas se retourna vers le roi.

— Pourriez-vous faire cesser le jacassement de vos femelles, il me déplaît de les entendre.

Surprises, les nylosiennes se retournèrent vers lui et se turent. Varad dont la capuche retombait sur ses épaules émit un petit sourire et entama la conversation avec le commandant de bord se trouvant à ses côtés. Les femmes mangèrent en silence pendant tout le repas, des mets nylosiens sans aucun doute. Le prince avait bien fait les choses et suivit tous les conseils des cuisiniers du palais royal. Depuis le vin opalescent de Gerizah, jusqu’à celui pourpre de Belina, des légumes croquants épicés ou fondants, des volailles arrosées de miel, du riz bleu des lointaines contrées de l’empire, des fruits juteux et la fameuse galette d’Actaron servi avec des sorbets multicolores au parfum suave. Tout cela était un régal pour les palais délicats, trop fins pour Sylas que tout mécontentait sauf peut-être l’alcool de Péridys, une boisson forte et âpre à la belle robe d’un vert irisé. Lui penchait pour le gibier au goût prononcé, faisandé de préférence, de la toundra de sa planète, les boissons corsées et les plats très épicés originaires des oasis du monde de la Sorcière Rouge. Le repas ne traîna pas en longueur, deux heures plus tard celui-ci se terminait. Pendant tout le temps qu’il durât, Neïla eut la sensation de sentir un regard insistant peser sur elle, elle savait que ce n’était pas Alissandre. Qui ? Elle l’ignorait, de l’empereur, de son fils ou du commandant de bord ou de l’un des notables impériaux. La princesse n’avait pas osé se retourner pour voir ce qu’il en était. Comme toutes les femmes, elle avait été reléguée à l’autre bout de la table.

Sylas se levant avait marqué la fin du repas. C’était avec une pointe de soulagement qu’elles avaient quitté leurs places et rejoint Adhrogan et Alissandre en conversation avec l’empereur et Varad à propos de l’abdication du roi en faveur de son neveu. Le regard de Neïla croisa alors celui de Sylas, un frisson la parcourut ainsi qu’une impression de mal-être, différente de celle qu’elle ressentait avec son fils. Une sensation de danger plus pernicieuse. Le sentiment d’être nue, de n’être qu’un tas de viande. Il n’y avait aucune douceur, aucune humanité dans ce regard pâle à donner froid dans le dos. Elle se sentait si mal qu’elle chercha à lui échapper et croisa alors le regard glacial de Varad qui les observait tous deux. Quand l’empereur s’avança vers elle et lui parla, elle n’eut le temps qu’une fraction de seconde de voir les iris du prince virer à l’écarlate.

— Neïla, finalement, c'est peut-être moi qui vais t’épouser plutôt que ce mage de pacotille. Je suis certain qu’un homme, un vrai entre tes cuisses te conviendra beaucoup mieux.

Il s’approcha, l’empoigna par la nuque et plaqua sa bouche contre la sienne. Affolée, elle tenta de le repousser en vain. Autour d’eux, il n’y avait plus un bruit, même pas celui du souffle des convives, seul le battement de son cœur l’assourdissait. D’un seul coup la voix de Varad claqua tel un coup de tonnerre, puissante, gutturale dans une langue qu’elle ne comprenait pas. Elle l’ignorait, mais à cet instant, il venait de lui sauver la vie et de mettre la sienne en grand danger. Le mage puisa le pouvoir que son munk lui procurait et c’est avec une rapidité qu’aucun n’avait jamais vu qu’il prononça les mots bloquant son père. Ses iris flamboyaient tels deux lacs de lave, enveloppé par une aura violette, il contra l’attaque de l’empereur mage. Zaerinn attrapa Aëlys et la propulsa en arrière et hurla :

— Reculez ! Allez-vous-en ! Vite !

Les invités ne se firent pas prier et quittèrent la salle en courant, Neïla sentait une brûlure dans le bas de ses reins et malgré la douleur cuisante, elle courut à la suite d’Alissandre et de son père. Ils arrivèrent tous essoufflés à leur navette. Le retour vers le palais fut bien plus rapide qu’à l’aller. Dès qu’ils descendirent de leur véhicule, Adhrogan psalmodia une incantation de protection, bientôt rejoint par les mages du palais. Tout était allé si vite. Neïla en était encore abasourdie. Ils n’avaient pas eu le temps de réfléchir à ce qui venait de se passer. Son dos la faisait souffrir comme si sa peau, ses nerfs étaient en feu. Alissandre souleva sa tunique avec précaution et découvrit que le bas de ses reins était cramoisis. Un des mages regarda sans véritable explication. Tous étaient autour d’elle sans comprendre la raison de cette brûlure. Pourtant, elle n’avait pas été touchée lors de l'affrontement, et ils étaient partis avant d’être pris dans la bataille entre l’empereur et son fils. Myr descendit de son perchoir habituel, il glapit et contre toute attente, le petit dragon, un peu chétif, se nimba d’une lueur rouge parcourue de nuées noires. La peau de Neïla se mit à luire à son tour, une sorte d’aura l’engloba et quelques minutes plus tard la douleur cessait.

Ils la regardaient tous interloqués, cette soirée allait de surprise en surprise.

Neïla entendit la voix de Nidhügg :

N’aie pas peur ma petite princesse, ton zélok a fait appel à notre lien, celui passé il y a quelques jours et t’a guéri. Si toi, tu ne peux pas utiliser ta magie, nous, nous le pouvons. Invente un truc, dis-leur que c’est juste une capacité de Myr mais ne parle pas de notre lien.

La jeune fille s’exécuta et l’explication leur paru suffisamment convaincante pour qu’ils ne posent pas plus de questions. Leurs préoccupations pour le moment étaient toutes autres. Ils étaient partis dès le début de l’altercation et ignoraient tout de ce qu’il s’était passé ensuite. Neïla était épuisée, morte de peur à l’idée de ce qui s’était produit. Le contact des lèvres de Sylas sur elle, sa main sur son cou et l’autre sur sa hanche lui répugnait. Elle était surtout terrifiée face à l’éventualité de son avenir. Sylas avait-il jeté son dévolu sur elle ? Serait-elle finalement sa future impératrice ? Une de ses courtisanes ? Ou encore juste une amante d’un soir jetée ensuite dans le gynécée pour le plaisir de tous les impériaux ? Ou rien ne serait changé ? Alissandre la mena jusqu’à sa chambre où elle se glissa dans un bon bain. L’eau chaude des volcans offrait au palais une eau à température constante parfaite pour le bain sans avoir besoin d’utiliser un moyen quelconque pour la réchauffer. Le jeune homme passa sur sa peau une éponge douce et parfumée. Elle se laissa aller sous les gestes tendres de son amant. Elle le laissa faire quand il la sortit de la baignoire, la sécha puis la souleva pour la déposer sur son lit. Elle prit sa main et la serra.

— Ne me laisse pas seule !

— Je reviendrai. Je vais aux nouvelles et je reviens dès que je peux.

Myr se mit en boule sur le second oreiller et s'endormit rapidement. Alissandre trouva le roi, toute la famille royale, ses conseillers et les mages sur le qui vive dans la grande salle du trône. Ils avaient tous l’air tendus et inquiets. Adhrogan s’approcha de lui.

— Inutile de rester ici, ma fille a plus besoin de toi que nous. S'il y a du nouveau, j'enverrai ta sœur te prévenir.

Le futur souverain ne se fit pas prier et retrouva l’élu de son cœur. Il se glissa sous les draps et soupira d’aise quand il sentit le corps nu de Neïla contre le sien. Elle se pelotonna contre lui, l’entoura de ses cuisses et s’endormit, un léger sourire aux lèvres après un long baiser débordant de promesses.

Les heures s’égrenèrent lentement pour le monarque et les siens, une longue attente, tous les magiciens sur le qui-vive. Les lueurs du matin pointaient quand l’air vibra et que la lumière parut brusquement absorbée par une nuée noire. L’odeur de moisi et de soufre flotta quelques instants et une ombre floue apparut, se déforma puis se stabilisa et la silhouette de Zaerinn se détacha, elle fit quelques pas et chancela avant de s’écrouler. Saura et Aëlys se précipitèrent vers elle, aidées par un mage. La jeune impériale semblait épuisée, ils la transportèrent et la déposèrent vers une banquette confortable garnie de coussins moelleux.

— Je crois qu’elle a trop usé de sa magie, suggéra la benjamine de Neïla, peut-être devrions-nous l’aider à se ressourcer ?

— Elle peut crever, je ne bougerai pas le petit doigt pour un impérial, déclara Fina.

Il s’ensuivit un brouhaha où bon nombre des personnes présentes approuvèrent la princesse. C’est dans cette confusion qu’apparurent Alissandre et Neïla, frais et dispos après une bonne nuit.

— Que se passe-t-il ? s’enquit le jeune homme.

La petite foule se sépara et il put voir sa promise allongée, le teint blafard. Le roi se reposait dans son bureau, la pièce d’à côté, les mages fatigués par les incantations de protection étaient déjà partis, remplacés par d’autres en cas de besoin. La reine était restée debout au cas où le besoin s’en ferait sentir. Elle vint vers le jeune couple et leur expliqua la situation. Ils n’avaient aucune nouvelle du vaisseau impérial et aucune information ne filtrait sur les réseaux de communication. Ils avaient lutté, pensant à une attaque, puis la jeune sœur de Varad était apparue. Comme elle avait perdu connaissance dès son arrivée, personne ne connaissait les raisons de sa venue. L’adolescente dormait toujours, la respiration ténue, le rythme cardiaque bien trop lent. Alissandre l’observa et fit la même conclusion que la plus jeune des filles du roi, Zaerinn était mourante.

Nidhügg, on ne peut pas la sauver ? Si elle meurt, ce sera une catastrophe. Nidhügg réponds-moi, s’il te plaît.

Neïla entendit comme un long soupir dans son crâne.

J’arrive, il faut qu’ils me laissent entrer.

Mais, comment veux-tu entrer dans le palais ?

Neïla, enfin, tu le sais très bien, tu m’as déjà vu sous cette forme. Attends-moi à l’entrée du palais.

La jeune princesse obéit et se posta près de la porte principale. Personne ne pouvait entrer ni sortir, un mage à ses côtés attendait, lorsque le dragon apparut sous sa forme humaine, Neïla lui adressa de grands mouvements.

— Altesse, vous êtes certaine ?

— Bien sûr…

Cependant, elle leur avait caché la véritable nature de leur visiteur, pour tous cet inconnu était un sorcier des forêts montagneuses rencontré lors de ses promenades. Le mage ouvrit une faille dans le système de protection et laissa entrer ce visiteur dissimulé sous une longue cape dont la capuche cachait le regard reptilien. Il s’approcha de l’impériale, sa protégée à ses côtés, Myr sauta sur l’épaule de Nidhügg et pointa son bec vers la couche sur laquelle reposait la jeune fille. L’esprit-dragon posa une main fine sur le front de Zaerinn, pendant que l’autre se tenait sur la tête de Myr. Neïla posa la sienne sur son épaule tel un geste amical. Il canalisa la puissance du zélok et de sa maîtresse, une partie de la sienne et la transmit à la jeune impériale.

Heureusement que personne n’a tenté quoi que ce soit, ils l’auraient tué. On ne ressource pas un impérial comme n’importe quel magicien.

Comment as-tu su ?

Je suis bien plus ancien que l’actuel empereur, ce n’est pas la première fois que je fais cela. Tu sais un esprit dragon n’est pas si différent que cela d’un démon, or chaque impérial possède une part démoniaque.

Moi aussi ?

Oui, toi aussi, comme tous mages noirs.

Mais je…

Ne t’inquiète pas, tout ce qui a trait à tes pouvoirs n’est pas forcément néfaste, c’est ce que l’on en fait qui l’est, seuls nos actes comptent.

Zaerinn ouvrit les yeux et murmura des choses inintelligibles sauf pour l’esprit dragon. Elle parut réconfortée, s’assit sur son lit de fortune et jeta un œil autour d’elle. Tous les regards fixés sur elle étaient loin d’être amicaux.

— Dommage, j’aurais été ravie de la voir crever.

— Fina ! Va-t’en ! ordonna Adhrogan, le premier qui lui fait le moindre mal aura affaire à moi.

Ils obéirent bien que cela déplut à un bon nombre de mages. Les nylosiens n’oubliaient pas que nombre de leurs filles avaient été enlevées par les impériaux et déjà en route vers leur destin.

La jeune princesse risquait bien de se transformer en bouc émissaire. Son prochain mariage avec Alissandre demeurait encore secret. Ce matin-là, le roi devait en faire l’annonce. Cependant, il jugea que le moment était mal venu, cette union risquait de devenir une épine dans le pied de la famille royale, le jeune prince s’était sans doute précipité en faisant cette demande. Pourtant, Zaerinn était elle-même une victime de la politique impériale. Neïla fit signe à son père d’approcher, la jeune impériale paraissait affolée et parlait sans cesse dans sa langue natale que la fille du roi peinait à comprendre. Elle comprit qu’il s’agissait de Varad, elle tenta de la calmer, mais en vain.

Adhrogan fit venir à lui toute la famille royale, la princesse impériale et deux de ses conseillers, il leur intima l’ordre de le suivre et tout ce petit monde se retrouva dans les appartements privés du couple royal. Dans un salon vaste organisé autour d’un foyer ou brûlait un feu magique bleu et froid. Le roi voulut savoir ce qui s’était passé après leur départ précipité du vaisseau et la plupart de la famille attendaient sa réponse avec anxiété, notamment Neïla. Après tout, l’affrontement avait débuté pour ou à cause d’elle.

Il fit apporter une collation, des fruits, du fromage et de l’eau fraîche. Puis il demanda à Zaerinn de se calmer, personne ne semblait rien comprendre.

— Si vous parliez moins vite et dans la langue intergalactique, on vous comprendrait sans doute mieux.

La fille de Sylas jeta un regard désespéré à l’esprit dragon resté aux côtés de Neïla. Quand elle comprit que la matinée était déjà fort avancée, elle éclata en sanglot en répétant sans cesse le prénom de son frère. La forme humaine de Nidhügg prit la main de l’adolescente et lui envoya un message mental, elle semblait si confuse.

Que se passe-t-il ? Pourrions-nous t’aider ?

Un flot d’images et de sentiments parvinrent à l’esprit dragon.

— Je crois que Varad a besoin de nous.

— Comment ça ? s’inquiéta le souverain de Nylos.

— De ce que j’ai compris, il s’est enfermé avec son père dans une bulle spatio-temporelle où quelque chose du genre, les idées de cette jeune fille sont complètements embrouillées.

— Et ? Ce type de technologie nous est étrangère, je ne vois pas ce que l’on pourrait faire.

— Il ne s’agit pas de technologie, mais de magie… Maintenir son père dans cette situation après leur affrontement risque de drainer ses pouvoirs, il fait appel à nous, car elle affirme que personne ne l’aidera.

Neïla écoutait la conversation sans mot dire, elle éprouvait en cet instant un mélange de sentiments, elle finit par prendre la parole à son tour. Zaerinn la regarda d’un air épouvanté quand elle comprit les propos de la princesse.

— Pourquoi irions-nous l’aider ? Si Varad et Sylas s’entretuaient, cela résoudrait une partie de nos problèmes. Sans ces deux-là, plus de mariages forcés, je n’ai aucune envie d’aider l’un deux. Je refuse de me mêler de leurs histoires. Je propose qu’on la renvoie sur le vaisseau, au pire, ou bien, on lui propose l’asile, mais je doute qu’elle soit la bienvenue.

— Neïla a raison, ajouta Fina, si ce Varad n’avait pas eu la lubie de venir ici, nous serions tous tranquilles. Probablement en train de chasser avec Savin.

Savin… avec tout cela, Neïla l’avait complètement oublié, le pauvre chasseur-sorcier avait bien vite été chassé de ses pensées dès lors qu’Alissandre avait ouvert son cœur. Avec tout ce qui s'était produit ces derniers jours, son corps reposait toujours au temple, attendant que ses funérailles soient faites. Elle se sentit coupable, le jeune homme avait été son ami, il avait donné sa vie à cause d'elle.

— Varad a tué Savin, pourquoi irais-je aider celui qui l'a tué ?

— C’était lui ? demanda Saura.

— Oui, il l’a tué sous mes yeux, comment pourrais-je lui pardonner un tel meurtre ; Savin n’a même pas eu l’occasion de se défendre.

Alissandre se garda bien de donner son avis, finalement Varad avait tué son rival. Il avait fait ce que lui n’avait pas eu le cran de faire, pensant que Neïla ne voulait pas de lui. Mais aujourd'hui, tout était changé. Ils étaient devenus amants et quelques heures plus tôt, il la serrait encore dans ses bras après une étreinte passionnée. Alissandre n’avait aucun intérêt à aider Varad. Dans cette pièce, tous avaient des motivations personnelles pour demeurer neutre et même souhaiter que l’empereur-mage et son fils s’entretuent.

Neïla, Aëlys et Saura éviteraient sans doute un mariage forcé, Alissandre pourrait enfin épouser l’amour de sa vie, le roi n’aurait aucune raison pour abdiquer, la reine ne verrait pas sa fille de seize ans partir loin d’elle. Les impériaux repartiraient alors comme ils étaient venus avec leur princesse à bord et se débrouilleraient avec. Tous les ennemis de l’empire, et surtout de l’empereur, se trouveraient débarrassés du père et du fils simultanément. Les révoltes qui éclataient un peu partout aux quatre coins de la galaxie ne seraient plus réprimées, du moins le temps qu’un remplaçant soit choisi. Avec un peu de chance, les impériaux s’autodétruiraient.

Zaerinn comprit en quelques secondes la situation, elle se tourna vers Alissandre s’imaginant qu’elle trouverait un peu de soutien de la part de celui qui avait demandé sa main, mais elle ne tarda pas à comprendre qu’il n’en était rien. Il la repoussa sans ménagement. Jusque-là, Nidhügg s’était tu, il n’avait pas donné son avis. Il comprenait très bien quels étaient les enjeux.

— Nous ferions une grave erreur, nous ne connaissons rien des conditions de ce combat. Imaginez un instant que Sylas en sorte vainqueur ? Il y a quand même de fortes probabilités pour que ce soit le cas, quand bien même, ils s’entretueraient, qui ne nous dit pas que le prochain empereur ne sera pas pire que ces deux-là ? Nous ne savons rien. Neïla tu es la première concernée, de l’empereur ou de son fils, qui choisis-tu ?

— Choisir ? Je choisis Alissandre.

Nidhügg se mit en colère, déçu par la jeune princesse. Ses yeux reptiliens parurent se rétrécir, une aura noirâtre glissa sur sa peau diaphane. Et, la jeune fille sentit au fond d’elle toute la puissance ténébreuse de l’esprit dragon. Elle éprouva une peur profonde, bien plus que celle qu’elle ressentait face aux impériaux. Elle eut soudain froid, sa peau se couvrit de frissons et un poids dans sa poitrine l’empêcha de respirer. Elle étouffait. Elle posa ses mains sur sa gorge et peina à reprendre sa respiration. Le regard qui lui faisait face était devenu complètement noir. Elle bafouilla le nom de Varad, même si cela lui en coûtait.

Les mages prêts à intervenir furent arrêtés par le roi. Adhrogan reconnut que le dragon avait raison et décida. Il se tourna vers Zaerinn.

— Pouvez-vous nous téléporter sur le vaisseau de votre père ?

— Elle, non, mais moi, je le peux, leur apprit Nidhügg.

Neïla allait de surprise en surprise.

L’air vibra sous la puissance magique, le monarque, Neïla et son Zélok, Zaerinn et l’esprit-dragon se retrouvèrent sur le vaisseau impérial dans la salle où la veille la famille royale avait dîné.

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