Le cinquième cavalier - partie 2

Par MISO
Notes de l’auteur : Précédemment publiée en une partie, la nouvelle est divisée en deux, pour plus de facilité. (~5k mots, cela faisait beaucoup). bonne lecture !

B n’en avait pas fini avec les cavaliers. Au milieu du studio photo, entouré de lumières théâtrales, il semblait dans son meilleur élément.
– Notre deuxième étape vers des fléaux resplendissants et tout neufs c’est votre IMAGE. Ce que les autres pensent de vous.
Le jeunot mâchait un chewing-gum et tenait un stylo velleda qu’il agitait au gré de ses paroles en quelques gestes grandiloquents. Dans tout ça Mort se demandait où était l’intérêt de tenir un feutre s’il n’y avait pas de tableau sur lequel écrire.
– Pensez-vous comme un boy’s band. Une équipe unie et soudée comme les doigts de la main. Tenez racontez-moi votre histoire, comment vous en êtes arrivé là, votre rencontre et tout. Tout ça forme un tout, et ce tout vous rend unique c’est votre identité. Qui veut commencer ?
Les quatres grands fléaux se regardèrent sans répondre à l’invitation.
– Mort ?
– Je nous trouve très bien. Pourquoi nous changer ? Pourquoi tout ça ?
– C’est vrai, surenchérit Famine. Et puis, nous avons toujours œuvré dans l’ombre, cela ne nous ressemble pas de changer de démarche.
Guerre se contenta de baisser la tête vers ce ventre proéminent dont il commençait à prendre conscience. Des rêves silencieux traversaient son esprit nébuleux. Pestilence de son côté ne dit rien, l’habitude de l’écoute passive lui coupait tout sens de la répartie. Elle écoutait et digérait dans le temps long.
– Ahhh Mort, je suis là pour ça, pour combler vos insuffisances. Faites moi confiance.
Temps croisa les bras, le costume mal taillé qu’on lui avait demandé d'enfiler se tendit dans son dos. Cet inconfort en était le moindre mal. La tenue s’inspirait des costumes de fête des morts mexicains avec moulte broderies colorées et strass scintillants. Un affront supplémentaire à son élégance naturelle.
Sous les spots brûlants, ils sentaient poindre la transpiration dans leur chemises synthétiques. Leurs visages auraient dégouliné en masque effrayant si on ne les avait pas barbouillé de maquillage extra-waterproof.
B les observait dans leur costumes bariolés, satisfait.
– Il vous faut en plus un accessoire reconnaissable, il fit mine de réfléchir puis laissa tomber son poing dans son autre paume.
– Que dites-vous de chevaux ? Vous êtes bien des cavaliers ?
Trois d’entre eux protestaient avec plus ou moins d'énergie, dont Mort plus que les autres tandis que Guerre brillait comme un gosse devant le jouer de ses rêves.
– enfin, protesta Mort. Vous n'êtes pas sérieux, nous n’avons jamais réellement étaient des cavaliers. Et puis, pourquoi pas la dame blanche ou la lavandière aussi. Je leur trouvais au moins un peu de charme et d’originalité.
Le maquillage blafard de tête de mort fleurie n’aidait pas à son argumentation.
– Ce ne sont que des icônes inventées ! argua, Pestilence. De plus, elles ne m’ont jamais mises en valeur.
– Et moi donc, bougonna Famine.
Devant tant de vent contraire, B leva les mains pour tempérer le jeu.
– Messieurs, mesdames, calmez-vous, on fait toujours du neuf avec du vieux. Les meilleures soupe sont dans les vieilles marmites. Nous allons travailler le look, je vous le promets. Ce sera parfait.
À ces mots il frappa deux fois dans ses mains, et des assistants sortirent de l’ombre, tirant quatre chevaux de robes différentes. Guerre se précipita vers les bêtes. Une fois face à leur monture, Pestilence et Famine commençaient à changer d’avis. Une tentative ne coûtait rien en somme.
Bougonnant de son côté dans un costume trop étroit, Mort n’avait pas dit son dernier mot contre cette mascarade.
– Je refuse de m'acoquiner plus loin dans cette histoire, dit-il en faisant mine de partir, mais B le rattrapa au petit trot.
– Allons, allons, Mort, les ordres viennent d’en haut, souria-t-il, son sourire bien trop grand s’étirait sur des dents bien trop blanches. Vous ne pouvez pas vous y soustraire.
– Et pourtant, jeune homme, on ne me retient pas de la sorte, dit-il crânement.
Il changeait de veste et s'emparait de son chapeau quand  B lui tendit une main de paix.
– Comme il vous plaira, mais ne partez pas fâché, plaida B.
Pressé de partir mais dandy jusqu’à la mort, il s’en saisit, et le freluquet le secoua vigoureusement. Sous sourir s’agrandit encore et encore, devenant carnassier. Ses dents se révélèrent extraordinairement pointues. Mort vibrait sous la pression de cette main. Il se mit à clignoter, devenant veille femme, vieil homme, squelette, vieille femme, vieil homme, squelette, squelette, squelette, squelette. B l’absorbait. Il s’empara de son front et tira. Tira. Tira. Le crâne parti. Temps disparu ne laissant rien derrière lui hormis un crâne dans la paume de B. Ce dernier se retourna vers les cavaliers restants qui l'attendaient dans la lumière des projecteurs.
– Bien, où en étions-nous ? demanda-t-il léger. Le shooting, bien sûr, il s’en frottait les mains. Que tout le monde se mette en place. Hop, hop, hop.
– euh, où est Temps ?
– Partit. Il refuse de s’investir dans le projet, il ponctuait ses propos en jonglant avec le crâne entre ses mains. Je vais le remplacer.
– Il est encore grincheux, celui-là, pesta Guerre déjà juché sur son cheval, une fausse épée dans la main. Je suis du même avis, continuons sans lui.
La position dominante de Guerre lui inspirait une gloire retrouvée, il bombait le torse et levait haut le menton. Son orgueil gonfla encore sous les flashs intenses qui l'inondaient. Pestilence et Famine profitaient elles aussi de leurs sentiments de célébrité soudaine.

Une fois la séance finie, les trois anciens se sentaient un peu plus jeunes et insouciants. Conquis, ils attendaient en trépignant la suite de leur nouvelle vie, impatients de profiter des ressources que leur coach avait concocté pour eux.
Les quatres cavaliers – car ils vont toujours par quatre, B avait pris la place de Mort – étaient bien d’accord, finalement Temps était un rabat joie castrateur. Il les avait souvent retenu d’expérimenter le présent en les enfermant dans la vieille époque. Maintenant si le changement le rebutait, il pouvait faire comme bon lui semblait et partir.

Guerre, Famine et Pestilence, tenait à bout de bras les smartphones qu’ils tentaient d'apprivoiser. Ces bêtes de technologies, un peu intimidantes au premier abord, les fascinaient. B leur avait concocté un programme du tonnerre fondé sur ces petits appareils et il comptait bien aller jusqu’au bout. 

 Mort n'étant plus, la mort disparue. La non-mort perforait toute retenue comme un bouton que l’on éclate. Les journaux télévisés, la presse et les streamers (engeance qu’ils venaient de découvrir) ne s’arrêtaient plus de baver sur le sujet.Il se passait quelque chose d’énorme. La société était comme un flamby mal retourné, affaissé sur lui-même, et baignant dans son jus.
Une fois les cavaliers connectés, plus rien ne les arrêtait. Tout allait très vite. Ils savaient viscéralement qu’ils touchaient un lieu où ils n’avaient jamais été. Ils étaient meilleurs que jamais auparavant, en des millénaires d’existence. Des fléaux flambants neufs. Il leur fallait de nouveaux atouts, de nouveaux symboles. Car comme disait B :

Fini les excuses. Just do it ! Et cela marchait. Les mots prenaient racine dans leurs caboches dégarnies.
Ils s’emparaient des réseaux sociaux, comme des pépites de possibilité. Partage de partages et publication sur publication, Guerre fit son affaire de ce monde où l’on ne craignait plus la vieillesse. Les fausses informations et les manipulations psychologiques faisaient son délice.
Famine changea son arme d’épaule. Ou du moins mit plus de variations dans son travail. Elle semblait même prendre en épaisseur et retrouver une certaine santé. Elle consacra tout son temps à sa tâche et en oublia d’entretenir son jardin et les tiges desséchées perdaient leur feuilles. Elle donna  la famine à certains (tout n’était pas à jeter) et la consommation rapide et boulimique pour d'autres. Puis pour une troisième tranche, le dégoût par excès. Si bien que les uns et les autres, sans se comprendre du fait de Guerre, s’enviaient et se diffamaient les uns les autres. Le retour de l’air du pain et de la brioche, mais en version cupcake et burger.
De son côté, Pestilence s'abattait sur la drogue et l’empoisonnement de l’air et de l’eau. Le reste suivit tout seul. Des quatres elle était la moins occupée et commençait à s'ennuyer. Ses habitudes passées et l’entassement de nouvelles connaissances lui manquait. Mais le nouveau cavalier insistait pour maintenir une cohésion d’équipe. Elle restait donc avec eux. Les shorts et tweet ne l'intéressaient pas. La croisade aux fausses informations de Guerre révulsait son esprit d’érudit. 

Pestilence les observa longuement comme de nouveaux sujets. Le dépérissement du jardinet lui faisait de la peine, l'indifférence de Famine encore plus. Elle avait passé tant de temps à le faire grandir, elle ne la reconnaissait plus, ni elle ni ses anciens acolytes. La méfiance envers leur nouveau compagnon refit son chemin dans la tête de Pestilence.
B n’avait pas son pareil pour chuchoter aux oreilles. Son péché mignon allait aux grands Bureaux de différentes formes et aux premières Maisons de différentes couleurs. Mais il ne boudait pas son plaisir pour les filiales infiltrées dans la spéculation. Il procédait comme il avait fait pour les cavaliers. Faisant miroiter le pouvoir et le prestige.

Un jour, les trois cavaliers n’arrivaient plus à s'extraire d’une gueule de fléau. Une sorte d’overdose de travail. Leurs excès de la veille tambourinaient entre leurs oreilles, et faisaient vibrer leur os.
Pestilence regardait Guerre fixer son smartphone d’un œil vitreux. Elle s’acharna sur un briquet qui ne produisait des étincelles mais aucune flamme. Dans le silence hébété une vague de dégoût monta sans crier gare.
– Où sont tes stupides conquêtes que tu appréciais tant, Guerre ?
Englué et l’esprit alourdi, Guerre ne répondit pas à l’attaque. Il se statufia un peu plus. Où était la guerre dans cette vieille carcasse ? Pestilence réussit enfin à allumer sa cigarette, ses épaules se détendirent. Le dégoût retrouvait sa forme de dédain plus commune à Pestilence.
Incapable de quoi que ce soit, pas même un scroll, ils se retrouvaient en silence pour la première fois depuis longtemps. Mais ils n'étaient pas tous ensemble. Il en manquait un. Dans un moment lucide éveillé par la douleur, toutes les strasses et paillettes inventées par B perdaient de leur éclat. Une vague de nostalgie passait entre eux.
– Temps me manque. Quand reviendra-t-il ?
Transit d’un froid étrange, Famine enroula ses bras désormais dodues et diabétiques sur elle-même, sans trouver de réconfort. Les boutons de son chemisier fleuris menaçaient de céder.
– Il est mort. Nous avons consenti à ça, fit Pestilence, tirant une longue bouffée sur sa cigarette. Les yeux mi-clos, elle tentait de maîtriser le tremblement de sa main. Elle se saisit les tempes en calculant l'ampleur de leur aveuglement. Il était évident que B avait supprimé Mort. Vivant, il n’aurait pas permis cette situation.
Dans son coin, Guerre tressaillit et se mit à trembler. La réalité de la disparition de son ami le frappa de plein fouet.
B passa devant eux, frais et étincelants dans la lumière blafarde des leds. Il irradiait d’un tel niveau de béatitude que les trois autres semblaient gris et terne. Ses affaires fleurissaient, beaucoup de décisionnaires écoutaient attentivement ses chuchotements incessants. Il les salua distraitement, comme s’il était le maître de maison, et se dirigea vers la cuisine qu’il avait entièrement équipée à son goût. Il avait pour habitude de se préparer le shaker de son influenceur fitness du moment.
Guerre écumait. Il se leva brusquement et tomba sur B comme une tempête.
– Petit homme cupide !
Guerre tenta de saisir B par le colbac dans un ultime élan de colère, de lui faire regretter sa tromperie. Il avait beau serrer les poings, la sensation de ses membres se faisait de plus en plus ténue. Ses doigts se collèrent au polo comme à de la mélasse. Le pervers lui lança un regard entendu, puis sourit de toutes ses dents trop blanches.
Pestilence aurait juré entendre les membres de Guerre craquer et briser leur coque de glue dans laquelle il se trouvait. En cet instant, elle était prête à concéder une certaine force de volonté à son camarade. Dommage qu’il faille un esprit un minimum éclairé pour lui permettre d’ouvrir les yeux.
B les avait endormi par des Slogans faciles et éteint leur discernement. Non d’un fléau, Ils avaient même accepté sans rechigner la la disparition de Mort par convoitise, obnubilés par des rêves de gloire. Ah ! Voilà un lavage de cerveau techno-solutionniste dans les règles. Pressé, il avait omis de bien récurer entre leurs oreilles, ils voyaient clairement dans son jeu. Et Guerre avait enfin réagit. Il dominait le nabot de toute sa hauteur.
Sauf que B ne tremblait pas.
– Cupide ? Non, non, pas moi. Vous ! ricana  B. Tellement affamé de gloire, vous vous y êtes vautrés à 1 000 %. Vous êtes devenu moi. Moi, Bêtise !
Guerre dégagea sa main de la surface collante de Bêtise. Son bras craqua un peu plus. Des fissures dessinaient des traits sombre comme une peau trop sèche. Puis des pellicules s’éffritèrent. D’abord minuscule comme de la poussière. Les rainures devinrent des ravins et il perdit un doigt puis un bras, puis une épaule. Ses jambes devenues fragile, il s’effondra en un tas de pierre.
À côté, Famine s’enfonçait de plus en plus liquide, elle se faisait siphonnée entre les coussins. Pestilence fronça des sourcils, sa propre main devenait gaz et fumée. Elle ne soufflait plus la fumée de cigarette, elle s’expirait elle-même. Leur soubresaut était venu bien trop tard.


 

Perché au flanc d’une falaise, Bêtise savourait l’air iodé. Il s’en emplissait à grandes inspirations et narines dilatées. C’était une belle journée. Il l’aurait bien partagé avec tous dans un tweet mais à quoi bon. Il n’y avait plus de tous, ni de réseau pour le tweet.
Triomphant, il sourit et étira son dos en levant les bras vers le ciel. C’était vraiment une belle journée. Le ciel d’un bleu limpide se reflétait dans la mer. Il n’était pas totalement nu, et s'habillait de quelques cumulus bien blancs et dodus. Quelques mouettes visitaient les étendues entre les formes moutonneuses à grand renfort de cris stridents. L’air doux était porté par une légère brise et remuait ses cheveux sans le décoiffer, et...
– Charmante journée, n’est-ce pas ? Parfaite s’il n’y avait eu les mouettes.
Des pas écrasaient les herbes sèches derrière lui. Bêtise se retourna vivement, contrarié d’être interrompu et encore plus d’avoir oublié quelqu’un. Quelle étourderie.
– Vous ? C’est impossible, je vous ai fait disparaître. J’ai tenu votre crâne dans ma main.
Mort avait revêtu un ensemble de lin très simple au col droit et sans rabat, une série de boutons blancs fermait le col de chemise. Seul son éternelle écharpe de soie retrombait en deux verticales, y ajoutant un peu de couleur. Sa main droite reposait sur le pommeau de sa canne.
Le vieillard émit un rire moqueur. Il s'arrêta à quelques mètres de distance et joignit ses mains sur la canne devant lui.
– Totalement faux et stupide. Il en faut bien plus pour me supprimer. À quoi s’attendre de plus de votre part, Bêtise.
Bêtise étrécie les yeux. Il n’aimait pas le sourire de Mort. C’était sa réussite. Il était l’ultime fléau, le plus grand entre tous. Alors pourquoi le vieil homme semblait aussi satisfait ? Bon, tout le reste était fini, il pouvait bien se contenter de cette petite bavure.
– Vous devinez la raison de ma venue ? demanda le vieillard.
– Non.
– Je viens pour vous, bien sûr.
– Pour moi ?
– Qui d’autre je vous prie ? Il n’y a plus personne. Vous avez gagné. Mort secoua la tête, navré. Mais vous avez tout dévoré, il ne reste personne à qui chuchoter. Il est temps de disparaître, c’est bel et bien fini, Bêtise.
Bétise laissa échapper son ahurissement puis son visage se tordit en une grimace de violent refus. Il était le premier et le plus grand des fléau, il ne pouvait disparaître. Il tenta d’empoigner Mort par la tête comme s' il possédait son crâne. Rien n'arrêta ses mains, elles passèrent comme à travers la fumée. Un rictus blême étira ses lèvres alors que la peur commençait à le tarauder.
— Vous ne pouvez pas ! Autrement vous mourrez vous aussi. 

Il brandissait son doigt devant lui, comme si il avait le tranchant d’une lame.
Le vieil homme leva un sourcil dubitatif comme seule réponse. Voulant prendre ses distances avec la mort, Bêtise s’élança alors vers le bord de la falaise. Dans sa hâte il trébucha à demi puis sauta dans le vide pour s’envoler. Chose incongrue pour lui, la gravité l’attrapa. Il disparut dans un couinement outré.
Au pied de la falaise, un squelette au blanc lustré éparpillait ses os entre sable et galet.
 


Le cinquième cavalier
Fin


 

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