Le clan des Marteaux d’Airain

Par Sebours

Les nains produisant la majorité des métaux précieux, le bouclier-monde a adopté depuis fort longtemps leur système monétaire.

La monnaie de base, pièce à 1 % de bronze est l’as.

Le statère, pièce à 7 % de bronze vaut 7 as.

Le mark de bronze, pièce à 49 % de bronze, vaut 7 statères, soit 49 as.

Le liard, pièce à 100 % en bronze, vaut 343 as.

La livre, pièce à 1 % d’argent, vaut 7 marks de bronze, soit 2 401 as.

Le piastre, pièce à 7 % d’argent, vaut 7 marks d’argent, soit 16 807 as.

Le mark d’argent, pièce à 49 % d’argent, vaut 7 piastres, soit 117 649 as.

Le denier, pièce à 100 % d’argent, vaut 7 marks de bronze, soit 823 543 as.

L’écu, pièce à 1 % en or, vaut 7 deniers, soit 5 764 801 as.

Le doublon, pièce à 7 % en or, vaut 7 écus, soit 40 353 607 as.

Le mark d’or, pièce à 49 % en or, vaut 7 doublons, soit 282 475 249 as.

Le ducat, pièce à 100 % en or, vaut 7 ducats, soit 1 977 326 743 as.

Le talent d’argent pèse 30 kg et représente 10 000 deniers. Un denier pèse donc 3 g.

Le talent d’or pèse 30 kg et représente 10 000 ducats. Un ducat pèse donc 3 g.

Le système monétaire du bouclier-monde.

Encyclopedia Gnomnica

Quatre-vingt-quatorze années après la fin de la guerre du centaure, Garrak, roi des nains et chef des diamant-charbon convoqua les différents clans ainsi que les autres grandes familles de l’inframonde. Le souverain devait organiser la nouvelle guerre lemniscate. Les Marteaux d’Airain se rendaient à Negudur avec la ferme intention d’obtenir l’officialisation de leur clan autonome. Ils étaient en position de force. Pendant quatre-vingt-quatorze ans, Nomrad, Tordur, Krim et nouvellement Oin avaient œuvré dans l’ombre pour arriver en ce jour précis en position de force.

Et en position de force, ils l’étaient. Avec sa fortune colossale qu’elle s’était constituée, la matriarche avait acheté toutes les entreprises de l’inframonde liées de près ou de loin avec la nourriture ou la boisson. Parallèlement, Krim avait conclu des accords commerciaux avec divers les fournisseurs potentiels de la surface, notamment les gnomes, très friands des armes forgées par les Marteaux d’Airain. Tordur avait transformé les anciennes réserves des esclaves en entrepôts et stockait depuis six mois des denrées alimentaires afin de se préparer un éventuel conflit. Grâce au réseau d’informateurs qu’il avait su tisser, Oin savait que les autres clans ignoraient tout des intentions de Nomrad et les siens. En échange de quelques pièces de bronze, les langues des serviteurs se déliaient toujours volontiers.

Le krak des diamant-charbon, immense cube sans fioritures sortait tel une boursoufflure de la paroi Est de Négudur la robuste, capitale des sept royaumes de l’inframonde. Il constituait le dernier refuge de la bannière de Dmor-Khal. Jamais il n’avait cédé face à l’ennemi, mais il faut dire que les rois nains avaient toujours privilégié une sédition raisonnable à une mort certaine. A quoi aurait sinon servi ces siècles de labeurs à accumuler trésors et richesses ? Les clans affluaient des sept coins de l’empire. Dès leur entrée dans la capitale, ils paradaient en dévoilant ostensiblement tous les signes de prospérité imaginables. Lorsque l’un portait un manteau de la fourrure la plus rare, l’autre ceignait une épée au pommeau d’or constellé de pierres précieuses ou chevauchait une créature extravagante au prix fou. Ils tentaient d’impressionner leurs congénères en affichant une puissance économique sans borne.

Arrivée avec sa famille en catimini bien avant ce grand déballage, Nomrad savait que ces soi-disant grands clans envoyaient de la poudre aux yeux. La plupart étaient exsangues financièrement. Les Marteaux d’Arain les avaient mis à genoux. Les Diamant-Charbon possédaient encore de la vitalité parce que leur territoire restait suffisamment éloigné, pour l’instant de Kur-Dhural, le fief de Nomrad. Et Nomrad savait, grâce à Oin, que le roi Garrak voulait imposer à la prospère maître forgeron un mariage avec Magdir, son frère cadet. Quoi de mieux qu’un mariage pour voler l’or d’une famille ? Maintes fois les Diamant-Charbon et les autres clans avaient utilisé ce stratagème pour effacer des familles ambitieuses du jeu politique. La matriarche savait tout d’eux, de leurs intrigues, de leurs complots et de leurs vices. Et eux pensaient savoir tout d’elle, mais ils ne savaient rien !

En pénétrant dans la grande salle de réception du krak, les sept clans territoriaux et les trois clans autonomes se regroupèrent en carrés autour d’une estrade centrale du marbre le plus blanc. Le claquement des bottes résonnait dans l’immense espace. Chacun groupe prit soin de conserver deux mètres de distance avec les autres. En deuxième rideau se trouvaient les grandes familles commerçantes de l’inframonde. Les Diamant-Charbon prenaient tout un côté du carré central étant donné leur nombre. On apporta un trône d’or pour le roi que l’on plaça bien au milieu de l’alignement. Le temps des doléances pouvait commencer. Nomrad retint Krim par l’épaule. Il n’était nul besoin de se précipiter, bien au contraire. Les requêtes des grandes familles et des clans révéleraient peut-être d’autres failles à exploiter.

Avant le grand saut, la matriarche repassa en revu ses alliés naturels. Les Peaux de Bronze ne s’opposeraient pas à l’officialisation. Ils verraient d’un bon œil l’émergence d’un nouveau clan qui prendraient avec eux en tenaille le royaume de Dagen de leurs ennemis, les Cœurs d’Argent. De la même manière, les clans autonomes sans royaumes, Sang de Rubis, Fûts de Chêne et Haches Aiguisées recherchaient avidement de nouveaux alliés à même de s’opposer aux clans territoriaux. Cela faisait quatre sur dix. Trop peu pour faire pencher la balance par la seule voie officielle. Alors, tapie dans l’ombre, Nomrad attendit le moment propice, un moment qu’elle avait convenue Nysla, la cheffe des Sang de Rubis. Celle-ci, vieille naine aux cheveux grisonnants s’avança sur la plate-forme pour protester.

« Dirigeants de l’infra-monde ! Je viens ici pour protester ! Depuis le décès de mon époux, tous les clans territoriaux tentent de me marier de force pour s’accaparer mon or ! Dmor-Khal m’est témoin, je ne céderai pas ! Cela précipiterait la disparition de mon clan ! »

Nomrad se leva prestement pour rejoindre son alliée et intervenir.

« J’admire votre audace, noble Nysla. Puis-je ajouter que vous avez la chance d’être déjà reconnu officiellement comme un clan. Ce n’est pas le cas des Marteaux d’Airain et de nombreuses autres familles ! Et les clans territoriaux profitent de leur position dominante pour nous empêcher de nous constituer en clan autonome ! Au moindre veuvage ou à la quelconque vacance du pouvoir, ils s’accaparent les richesses en imposant des mariages. Je souffre moi-même des avances de Magdir, le frère du roi Garrak ! De plus, les Diamant-Charbon tentent également de marier mon unique descendant Krim à la dauphine Byllera. Les Yeux d’Émeraude et les Barbes d’Étain ne sont pas en reste ! Naltin et Marmyla multiplient les avances auprès de mon fils. Je refuse de voir le nom des Marteaux d’Airain disparaître ! »

Des hourras explosèrent du second rang. Les grandes familles depuis trop longtemps écartées du pouvoir manifestaient leur soutien à la maître forgeron. Le roi Garrak subissait une attaque frontale combinée de deux des matriarches les plus puissantes de l’inframonde. La salle venait de se transformer en poudrière. Le souverain se trouvait dans l’obligation d’intervenir et de proposer un compromis acceptable.

« Silence ! Silence ! Clans autonomes ! Grandes familles ! J’entends vos doléances, mais que puis-je faire en tant que souverain nain ? Que pouvons-nous faire en tant que clans territoriaux ? »

« Donnez un territoire aux clans autonomes ! » cria Nysla.

« Et offrez la possibilité aux familles de se constituer en clan officiel ! »

A grand renfort de cris et de sifflets, la foule manifesta son approbation.

« Silence ! Nysla, cheffe du clan des Sang de Rubis, vous savez très bien que nous avons atteint la limite de l’inframonde exploitable. Fichtre ! Comment pourrions-nous répondre à favorablement à votre requête ? L’un des sept clans territoriaux est-il prêt à céder une partie de ses territoires ? » Pour seule réponse, le souverain nain reçut le silence. « Quant à vous, grandes familles naines, vous acceptez toutes mettrait en péril la stabilité de notre structure politique ! »

« Par ma hache ! Il existe un juste milieu entre multiplier les clans sans discernement et refuser toute officialisation ! Ha ! » L’intervention brutale de Krim provoqua une nouvelle cohue.

« Fichtre ! Et que proposeriez-vous comme solution, noble famille des Marteaux d’Airain ? »

Le roi Garrak pensait peut-être avoir retournée la situation à son avantage. Comme les autres, il ne savait pas comment Nomrad avait préparé cette réunion. Le vieux Tordur, le sage Tordur, le respecté Tordur proposa donc la solution qui avait été décidée en amont.

« Hum ! En toute objectivité, pourrions-nous envisager un droit d’entrée à payer aux clans établis ? » En pays nain, l’or représentait une solution à tous les problèmes.

« Fichtre ! Voici une proposition à considérer ! Néanmoins, cette « taxe » ne peut à elle seule permettre une officialisation ! Une approbation par un vote des clans existants me semble obligatoire ! Fichtre ! Cela voudrait dire qu’une grande famille pourrait postuler au vote en payant une certaine somme à chaque clan ! »

« Combien ? » clama Nomrad, raide comme la justice, froide comme la pierre et tranchante comme l’acier.

« Fichtre ! Je ne saurai que dire. Les clans doivent d’abord se concerter avant de décider ! »

« Tous les clans sont ici présents ! Aujourd’hui, il est très facile de décider, contrairement à demain ! Combien ? » cria à nouveau Nomrad. La question fut reprise en boucle par le deuxième rang constitué des grandes familles.

« Mille talents d’argent et mille talent d’or ! » lança à la cantonade Brommur du clan des Poignes d’Acier.

Cette somme démesurée ne tombait pas de nulle part. Elle correspondait à la dette de jeu incommensurable que ce puîné du clan avait contractée. Dette que Krim avait pris le soin de racheter. Payer mille talents d’argent et mille talents d’or à chacun des dix clans, cela dépassait le sens commun des avides et avares nains !

« Fichtre ! Voici un prix dissuasif qui empêcherait toute affluence ! Chers clans, cette somme vous conviendrait-elle ? » questionna Garrak.

Tous les clans acquiescèrent, persuadés qu’aucun nain ne serait assez fou pour dépenser une somme aussi folle. Dix mille talents d’argent et dix mille talent d’or, six cents tonnes de métaux précieux, le montant dépassait l’entendement ! Toujours au milieu de l’estrade, les bras croisés sur sa poitrine opulente, Nomrad siffla sans quitter du regard le roi Garrak. Aussitôt, trente cyclopes entrèrent par la porte latérale, à la droite du trône. Ils tiraient chacun un chariot chargé de talents. Solveig et ses manticornes les escortaient. Lourdement, maladroitement, les colosses à un œil déposèrent le tribut insensé devant chacun des dix clans. La stupeur envahit la grande salle des doléances. La matriarche attendit le retour du calme avant de poursuivre.

« Nobles représentants des clans nains ! Avant que vous ne votiez, je tiens à apporter quelques éléments susceptibles d’alimenter votre réflexion. Je ne me marierai jamais, afin de conserver les pleins pouvoirs sur ma famille ! Néanmoins, Krim, Tordur et Oin qui m’accompagnent sont pour l’instant célibataires. Ils ne prendront épouses pour entériner des alliances que sous la seule condition que le clan des Marteaux d’Airain soit reconnu officiellement ! » Krim effectua quelques pas en avant et déroula une immense carte représentant l’inframonde dessiné sur une peau de mammouth. Nomrad saisit une baguette tendue par Oin et entama sa démonstration. « Peuples de Dmor-Khal ! Voici ici les territoires de sept royaumes qui ne s’engagent que peu sous la mer annulaire. Grâce à la grande connaissance technique de mon éminent collaborateur Tordur, nous sommes parvenus à coloniser les espaces sous l’océan. »

« Fichtre ! Comment avez-vous osé ! Le perçage de nouvelles galeries fait partie des prérogatives des clans territoriaux ! » s’offusqua le souverain.

« Prérogatives destinées à empêcher l’expansion des grandes familles ! » rétorqua Nomrad. « Comme vous le voyez, les Marteaux d’Airain ont colonisé les deux tiers des espaces extérieurs. Bien sûr, nous nous réservons l’extrême bordure extérieure. De plus, je propose de réserver la moitié de la partie restante aux trois clans autonomes sans terres, Sang de Rubis, Fûts de Chêne et Haches Aiguisées. Nous garderons l’autre moitié pour les futurs clans officialisés ! »

« Haaar ! En quel honneur vous, les Marteaux d’Airain, simple grande famille naine vous octroieriez-vous le droit de décider à qui appartiennent ces territoires vierges ! » s’offusqua Umrik, chef de l’antique clan des yeux d’émeraude.

« Parce que nous sommes les seuls à posséder la technologie permettant de percer des galeries sous la mer annulaire ! Pendant que vous, les clans territoriaux vous complaisez dans le confort de vos monopoles, nous, les grandes familles, innovons, prenons des risques, travaillons à dur chaque jour pour ne serait-ce que maintenir notre statut ! »

La foule cria son soutien à la déterminée matriarche. Le roi Garrak tapa du poing sur l’accoudoir de son trône et se leva. Il leva les bras pour obtenir le silence.

« Nomrad ! Vous avez pris des initiatives intolérables ! Aucun clan ne peut accepter un tel crime ! Dès demain, nos troupes prendront le contrôle de ces territoires vierges ! »

« Par ma hache ! Vous pouvez toujours essayer ! Notre territoire est défendu par trois porte sur le Kvir, l’Oltul et le Drül. Nous disposons de quarante mille nains aguerris, autant de manticornes, huit cents cyclopes et un demi-million de derniers nés de Nunn ! » menaça Krim l’infexible.

« Sans oublier la kalité supérieure de nos armes ! Nom d’une enklume ! » compléta Oin le fidèle.

« Hum ! Hum ! Je rajouterai que nous sommes en capacité d’assécher les fleuves du Kvir, de l’Oltul et du Drül ! » soumit Tordur le sage.

« Et les Marteaux d’Airain possèdent quatre-vingt-dix pourcents du marché de l’alimentation et de la boisson ! Nous pouvons fixer des prix prohibitifs pour récupérer les six cents tonnes d’or et autant d’argent ! Nous pouvons aussi affamer les peuples des sept royaumes pour qu’ils viennent chez nous ! Ce n’est pas notre désir premier, mais une grande famille doit avant tout agir dans son intérêt. Chers représentants des clans nains, sur ces éléments, nous vous laissons à présent statuer sur l’officialisation ou non de notre clan ! » conclut Nomrad la bienfaitrice.

La matriarche travaillait depuis quatre-vingt-quatorze ans pour cet instant. Elle plaçait les dirigeants de l’inframonde devant une réalité inéluctable. Les Marteaux d’Airain menaçaient ouvertement les clans d’une guerre civile à l’issue évidente. Les chefs nains devaient choisir entre renoncer à des tonnes d’or et d’argent ou bien céder quelques parcelles de pouvoir. La maître forgeron savait que les chefs réfléchissaient déjà à une manière de monter une alliance profitable car il était hors de question pour eux de refuser un tel tribut. Les différents groupes entrèrent en débat et parvinrent à un consensus en moins d’un quart d’heure. Garrak prit solennellement la parole. « Peuples nains ! A l’unanimité, les clans entérinent l’officialisation du nouveau clan des Marteaux d’Airain ! »

Nomrad atteignait enfin le but de son existence. Elle n’avait rien programmé au-delà de ce point. Que l’avenir pouvait-il lui réserver ?

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