La musique commence. La feuille est blanche. Je la regarde sans savoir quoi écrire. Le temps passe. L'univers se contrefiche de ma paralysie. Je reste de marbre, immobile devant le clavier pendant que la page vierge se transforme, au fur et à mesure qu'elle se remplit de choses futiles. Que suis-je en train de faire ?
Probablement bien peu de choses...
Je divague. Je pars à la dérive, me laissant entraîner par cette musique que mes écouteurs me transmettent. Elle se répète en boucle. Elle me donne envie d'écrire. Mais rien ne vient. N'est-ce pas étrange ? Devrais-je tourner la page, faire autre chose ? Les touches glissent sous mes doigts. Les lettres se forment à l'écran. C'est à ce moment qu'intervient le refrain...
L'inspiration arrive. Le moteur a démarré, la machine est partie. Ô Univers, laisse-moi m'échapper. Place à l'imagination ! Que les mots agissent et noircissent le papier. Que ce nuage de brume disparaisse. Que ce voile devant mes pensées s'estompe et laisse agir... l'imaginaire !
Je suis toujours là. Transparent. Invisible. Personne ne peut me voir. L'esprit agit. Là où je suis, personne ne peut me percevoir et tout le monde me perçoit. Je suis en moi. Place à l'aventure... Où vais-je aller ? Comment le saurais-je ? L'inspiration se refuse à moi. Elle ne m'adresse même pas un seul regard. Comme si je ne la méritais pas. Elle me serait supérieure. Cela ne m'empêche pourtant pas de la désirer de tout mon être. Sans elle je ne suis plus rien. Sans elle, le temps s'arrête. Plus rien n'a de raison d'exister...
Une légère brise passe. Un frisson me saisit. Mon corps est toujours assis sur la chaise. Face à l'ordinateur. D'un point de vue extérieur, il ne se passe rien. C'est le néant à l'intérieur de cet être. Et pourtant, la bataille fait rage là où il semble ne rien se passer. C'est ce qui rend l'esprit fascinant. Je ne bouge pas, je suis à l'arrêt. Je ne pourrais pas être plus immobile et inintéressant. Cependant, je respire, je vis, mes pensées se bousculent, le son explose et m'envoie toutes ses notes à la figure. Je veux divaguer. Laissez-moi dériver...
C'est le noir dans ma tête. Puis un éclair de lumière allume la scène et une rue aux airs sombres fait son apparition. Je n'ai pas la moindre idée d'où je me trouve. C'est bien moi qui ai inventé cet endroit, même si je ne distingue pas les détails. Des paroles lointaines me perturbent. Je les ai tant entendues. Je les entends depuis si longtemps. Elles se répètent en boucle. La lumière des lampadaires m'éclaire. Mais ce paysage que je m'acharne à créer reste flou. Pourquoi tant de résistance ? Un artisan d'expérience ne devrait pas se retrouver dans une situation si dérangeante. Je détiens le pouvoir des mots. La puissance est mienne ! Alors pour quelles raisons la création se refuse-t-elle à moi ? Je veux écrire. Écran noir des profondeurs abyssales qui hantent mon âme, dissipe-toi ! Laisse-moi en paix ! Cesse sur l'heure tes actions négatives sur mon esprit et cède ta place à la blancheur, à la pureté du coeur !
Une étendue verte se dresse sur mon chemin. La rue s'est noyée dans le noir. Le blanc est revenu avec son pouvoir créatif. Les prés naissent. La verdure réjouit mon humeur. Tout a changé depuis si longtemps. Le temps passe. La musique continue. Je ne suis plus le même. Je suis comblé. Mais l'insatisfaction règne toujours. Y suis-je condamné comme tant de ces êtres superficiels ? La vie humaine doit-elle forcément être vécue ainsi ? Le monde m'apportera la réponse. Un jour. Parce que la Terre continue de tourner. Le Soleil continue de nous réchauffer. Il poursuit son oeuvre de vie, tandis que nous continuons à nous morfondre.
La journée se finit. Le temps passe si vite. La même musique tourne encore en boucle, troublant mes pensées. Il est temps de changer de disque. Ainsi soit-il !
J'avance dans la pénombre. Le son me guide. Mon histoire s'achève. J'espère qu'elle persistera longtemps. Je n'en peux plus, je suis exténué. Je transmets le flambeau à quelqu'un d'autre à présent.
Que le temps continue sans moi. La fatigue me tue. Mais ne m'oubliez pas, par pitié ! Conservez mon histoire. Lisez-la. Relisez-la. Gardez moi en mémoire jusqu'à la fin du monde. Je veux survivre et vous êtes mon seul espoir. Adieu.
Mon oeuvre solitaire s'est terminée. Je ne suis plus seul. Quel malheur ! J'aurais tant voulu ne pas l'être... Pourquoi ai-je écrit cela alors que mon coeur me dictait autre chose ? Je l'ignore. C'est la musique qui parlait. C'est elle qui a eu raison. L'envoûtement m'a conquis et a détruit mes résistances. Mon bouclier s'est brisé. A présent, elle n'est plus là, elle s'en est allée. Alors je reste là avec mon écriture. Qu'ai-je fait? Dieu seul le sait. Il me dira plus tard.
J'aurais tant voulu écrire quelque chose de mieux, comme une rencontre improbable. Une rue sombre, de vertes étendues... Que de lieux propices à une rencontre rêvée. Enfin... Le coeur en a décidé autrement. Il a écrit suivant son instinct. Celui que lui soufflait la musique. Il ne faut pas l'en blâmer : « Le coeur a ses raisons que la raison ignore. »
Merci pour ton retour ! J'apprécie beaucoup de savoir que tu parviens à te reconnaître dans ce texte. J'avoue qu'il fut un temps où j'en étais souvent affecté et me jouer du syndrome même, je trouvais ça pas mal pour lui faire un pied de nez et écrire quand même ^_^
Je n'étais pas passée par ici depuis longtemps ! C'est toujours bon de lire une nouvelle de temps en temps...
J'ai relu le chapitre 1 et j'ai lu celui-ci.
Aaaaah... Le syndrome de la "page blanche"... Que c'est frustrant ! Que c'est diabolique ! On se met à douter, tout à coup, à se dire qu'on n'est peut-être pas faits pour écrire ! Toutes nos idées nous semblent futiles et sans intérêt ! Rien ne nous va. Quel sentiment détestable !
Et tu as très bien décris ce sentiment, cette frustration. Le narrateur a envie d'écrire, mais rien ne vient. A travers ses pensées, on voit la vie d'un écrivain. Les hauts, les bas...
Super chapitre en tout cas !
Je reviendrai bientôt ! (Ou dans deux ou trois ans, si je fais comme la dernière fois ^_^')
Je te remercie pour ce retour ! Ça me fait toujours plaisir d'avoir un petit avis sur ce que je publis ici.
C'est vrai que cette nouvelle fait beaucoup penser au syndrome de la page blanche. En vérité, j'y exprime aussi un autre problème : celui de laisser libre court à ses émotions lorsque l'on écrit, et se retrouver ainsi à créer quelque chose de très inattendu. L'écriture peut parfois nous mener sur des sentiers que l'on ne soupçonne pas, je trouve ça particulièrement fascinant.
Bonne continuation à toi,
Phil
Je trouve la nouvelle (chapitre 1) très poétique. Les descriptions sont riches sans pour autant être trop garnies. Il y a beaucoup de ressenti et d'émotions qui passent dans cette nouvelle. L'ensemble m'a beaucoup plu, car je trouve cette façon d'écrire magnifique, et bien que la chute soit bien faite, je regrette que se soit là une nouvelle, et pas un début.
Je n'aurais pas de conseils à donner pour ce chapitre, pour moi, il est parfait.
Le style d'écriture du chapitre 2 est bien différent de celui du chapitre 1.
Les descriptions colorées sont absentes, et le narrateur semble isolé, et désespéré. J'ai bien senti toute cette rage, cette envie inébranlable de laisser parler son imagination. Le personnage de l'écrivain solitaire est assez attachant.
La chute est là aussi, très bien trouvée. C'est, je trouve, une bonne idée d'insérer ce dicton à la fin, qui s'associe parfaitement au reste du chapitre.
Merci beaucoup pour ce commentaire constructif! Il est vrai que les deux récits ont un style très différent, et ça s'explique aisément. Je les ai écrites à près d'un an d'intervalle, tout simplement.
Elles transmettent aussi toutes deux un point de vue différent sur la vie, mais c'est un point qui me tient à cœur dans mon recueil. L'écriture a de nombreuses facettes et ce n'est pas simple de toutes les traiter.
En ce qui concerne la remarque sur « le cavalier sans nom » qui serait davantage un début plutôt qu'une courte nouvelle... je dois admettre que je n'avais considéré la question. L'idée est loin d'être mauvaise et je pourrais tout à fait la développer. Je le dis cependant avec réserve car j'aime beaucoup le mot de la fin. De plus, j'ai tendance à penser qu'il est une vertu pour un auteur de savoir s'arrêter lorsqu'il a atteint une conclusion satisfaisante. Il est tellement facile d'abîmer une belle fin...
Bref! Encore merci et, j'espère, à bientôt!
Phil.