Le bois des fées avait revêtu ses couleurs automnales, ne laissant aucun doute aux deux gardes de l’Assemblée que les fraiches nuits d’hivers arriveraient bientôt. Leur mission ne semblait pas si difficile. Pourtant, nombre de tisseurs leur avait souhaité bon courage. Trouver et ramener maître Hibou à l’Assemblée. « S’il existe une mission plus simple, je veux bien la connaitre » avait pavané Kahir. Mark avait toujours accordé une grande confiance en l’instinct de son camarade, ils avaient vécu un grand nombre d’aventures et de batailles et ce sixième sens les avaient déjà gardés de terribles fins. Les deux soldats de l’Assemblée discutaient de banalités afin de casser la monotonie de la route. Finalement le plus petit des guerriers demanda :
-Tu as déjà vu ou entendu parler de maître Hibou, Kahir ?
-En vérité je n’ai pas eu la chance comme toi de rencontrer beaucoup de maîtres à part Lion.
-Pourtant malgré de nombreuses rencontres avec eux je n’ai jamais pu l’apercevoir. Il me semble que maître Tortue l’avait déjà évoqué une fois…
-Ah bon ? Tu te souviens de ce qu’elle a dit ?
-Non, je n’étais que de passage donc je n’ai pas fait attention.
-Dommage… On va devoir faire avec la description que maître Lion nous a donnée.
-Cheveux carmins, moins d’un mètre soixante, assez taciturne… De toute façon je ne pense pas qu’on va croiser beaucoup de personnes dans cette Fo-
A ces mots le plus grand des deux chevaliers poussa un hoquet de surprise qui alerta son camarade. Kahir pointait de son doigt une branche d’un arbre quelconque. Au bout de celle-ci et au côté des somptueuses couleurs vermeilles trônait une créature, pas plus haute que deux pouces. Elle semblait être composée d’innombrables morceaux de nature, son corps était de feuilles, de glands et de brindilles. Au fur et à mesure, la population sylvestre augmenta forçant les deux soldats à se mettre dos à dos et à tirer leur épée au clair. Les deux chevaliers se préparaient au pire. Une silhouette apparu au loin et avançait rapidement vers eux, en un rien de temps, elle se trouva à leur niveau. Le personnage leur faisait maintenant face, il semblait d’une grande légèreté, Mark aurait presque eu l’impression qu’il avait à demi flotté jusqu’à eux. Bien plus petit que lui et arborant une coiffure d’un rouge profond, ses yeux semblaient ne pas s’être décidés entre le bleu et le vert en tirant ainsi vers le jade. Le mystérieux personnage semblait les jauger sans un commentaire et laissa alors le silence s’installer. Après à peine une minute qui sembla durer des heures, l’étrange individu dit simplement :
-Vous êtes de l’Assemblée. Je ne sais pas ce que vous cherchez ici, mais avec beaucoup de chance vous repartirez bredouille.
-Maître Hibou, laissez nous nous expliquer !
-Si vous venez quérir mon apprentissage je l’ai déjà dit un nombre de fois incalculable avec Lion. Je ne prendrais aucun élève même si les vies du royaume en dépendaient, ce que je doute fort par ailleurs. Je ne suis qu’un simple botaniste.
-Vous vous trompez maître ! Effectivement c’est maître Lion qui nous envoie mais pour vous accompagner à la capitale !
Le membre de l’Assemblée sembla réfléchir un court instant. Il reprit alors d’un ton tout aussi monocorde qu’avant.
-Suivez-moi, je ne pense pas que l’Assemblée ait réellement besoin de mon aide. Cependant, je serais sûrement un très mauvais hôte si je ne vous proposais pas au moins de quoi vous hydrater avant de repartir.
Les deux soldats hochèrent de la tête ne voulant et ne pouvant pas contester les directives d’un conseiller de l’Assemblée. Ils reprirent alors la route mais coupèrent plusieurs fois par des endroits étranges en suivant le petit botaniste. En y réfléchissant, Mark était surpris par l’air juvénile de leur guide. Il ne devait pas avoir dépassé la vingtaine d’années depuis longtemps. Malgré sa peau hâlée, preuve de nombreuses heures passées à travailler au soleil, ses traits étaient assez androgynes. Si le chevalier n’avait pas pu entendre sa voix, il n’aurait jamais été sûr d’être face à un homme.
En suivant le jeune à travers la forêt le duo arriva devant une bâtisse. Elle n’était pas d’un grand travail d’orfèvre mais semblait chaleureuse. Le membre de l’Assemblée s’approcha du pas de la porte et ouvrit, invitant les deux chevaliers à rentrer dans la petite bicoque. En entrant les représentants de l’Assemblée furent surprit par l’organisation du lieu. Il s’agissait d’un endroit dédié à la botanique mais aussi à l’apprentissage en général. La maisonnette était sphérique. En balayant la salle de son regard, Mark observa à sa gauche une petite chambre. Elle était équipée d’une cheminée qui avait pour rôle de chauffer une partie de la maison. Au milieu se trouvait un joli salon où Hibou les invita à s’installer. Ledit salon était rattaché à une cuisine où disparut le membre de l’Assemblée. Le petit soldat avait remarqué un grand nombre de livres, dont beaucoup abordaient des sujets différents autour des plantes, de la magie ou bien encore du jardinage et de la cuisine. Le guerrier remarqua cependant l’absence d’une bibliothèque et devina son emplacement grâce à l’escalier au fond de la maison.
Rapidement, le jeune homme à la chevelure rouge sortit de la cuisine avec trois tasses et une petite boite contenant du thé. Il s’installa face aux deux chevaliers et déposa une tasse à chacun. En commençant à y verser de l’eau, elle chauffa en entrant en contact avec le récipient. Il s’agissait de magie à coup sûr. Le jeune botaniste proposa alors à ses deux invités, différents assortiment de thé. La dégustation se fit dans un silence total. Le Hibou ne semblait pas porter une grande attention aux deux chevaliers de l’Assemblée. Mark eut fini sa tasse assez rapidement, mais ne réussissait pas à prendre la parole. L’hôte l’observa et lui offrit finalement une occasion de pouvoir parler de leur mission.
-Eh bien chevalier… Comment dois-je vous appeler ?
-Mark, maître ! Mon camarade se nomme Kahir !
-Très bien. Mark, Kahir, j’ai cru comprendre que vous n’étiez donc pas là pour me quémander de quelconques connaissances en magie. C’est d’ailleurs la première fois que ça arrive. Ce qui me fait me questionner sur votre présence dans le bois des fées, très peu de personnes osent s’aventurer ici après tout.
-Je vais vous faire gagner du temps maître, j’ai cru comprendre que vous étiez très occupé et nous n’aimerions pas vous prendre trop de votre temps.
-J’apprécie le geste, je n’ai de toute façon pas beaucoup d’amour pour les codes et protocoles. Je suppose que Lion a dû vous le dire.
-En effet, maître Lion nous envoie ici pour venir vous chercher. Une réunion de l’Assemblée est prévue pour bientôt et votre présence est requise.
-Ma présence est requise ? C’est étrange. Normalement Lion s’est toujours arrangé de mon absence.
-Nous ne sommes pas autorisés à en savoir plus, cependant, maître Lion nous a dit qu’il s’agissait d’un cas spécial et que même maîtresse Hirondelle revenait du royaume de l’ouest.
-Je suis un peu dubitatif… Je n’ai pas vraiment l’envie de traverser le royaume simplement pour une réunion un peu spéciale.
-Maître Lion nous avait dit que vous risquiez d’être difficile à convaincre et nous a aussi demandé de vous faire parvenir cette lettre si vous évoquiez l’idée de ne pas vous joindre à ce rassemblement.
A ces mots, Kahir ouvrit sa sacoche et en sortit une lettre qu’il tendit à l’hôte. Le botaniste l’attrapa et cassa rapidement le sceau de cire représentant une gueule de lion rugissante. Il commença à lire la lettre de son confrère, ses yeux parcouraient la missive à une vitesse déconcertante. Lorsqu’il eut fini le jeune botaniste se leva et pesta en s’indignant :
-Lion n’est pas sérieux ! Il n’a pas honte d’abuser autant de sa position ?!
-Maître Hibou ? Vous allez bien ? Avez-vous besoin d’être un peu seul ?
-Oui, faisons comme ça, sortez un peu j’ai besoin de réfléchir.
-Très bien, vos désirs sont des ordres !
Alors que les deux soldats prenaient la direction de la sortie, Mark remarqua que le maître aux yeux de jade fit brûler la lettre d’un simple claquement de doigt. Pouvoir générer une flamme assez intense pour embraser seulement un morceau de papier sans en perdre le contrôle. Il s’agissait d’un tissage simple à comprendre mais difficile à maîtriser. De plus, l’utilisation d’une magie sans passer par un canalisateur prouvait qu’il était un détenteur du don. Si l’un des deux chevaliers avait encore un doute sur la nature du jeune homme, cette démonstration avait fini de confirmer son rang. Il resta un moment seul, dans la maisonnette et seulement quelques bruits indescriptibles de temps à autre prouvaient qu’il y était encore.
Lorsqu’il sortit enfin, il avait changé de tenue. Son manteau, de la même couleur que les sapins, avait laissé place à un autre. Il lui arrivait bien en dessous de ses genoux et était d’une blancheur que rien ne semblait pouvoir altérer. Ses bottes de voyages étaient d’un cuir ayant déjà bien servit mais sans être dans un mauvais état. Il ajusta une grande besace de cuir sombre décorée de plumes, de branchage et de petits os peints. A cause de sa petite taille, il semblait submergé par ses affaires. Kahir et Mark proposèrent au Hibou de les lui porter, mais il refusa strictement que quelqu’un s’occupe de lui. Les deux chevaliers reprirent alors la route accompagnés par l’un des maîtres de l’Assemblée.
Le voyage ne fut pas aussi difficile qu’à l’aller. En effet, le botaniste prouva ses connaissances du dédale forestier et ils parvinrent sans mal à atteindre la route principale. Alors que le soleil enflammait la voute céleste, la troupe atteignit enfin Omblèze. La ville frontalière du légendaire bois où réside le Hibou. Mark attrapa son sac et l’ouvrit, révélant un masque d’une blancheur égale aux vêtements du jeune tisseur. Il le lui tendit et le jeune homme attrapa l’objet sans broncher puis l’enfila. Malgré tout, il poussa un soupir en lançant plus à lui-même qu’à l’un des deux gardes « J’espérais ne jamais avoir à refaire ça un jour… ». Il ne fallut que quelques minutes pour que la population de la florissante ville remarque l’arrivé de deux protecteurs et d’un membre de l’Assemblée.