Le commencement

Par LVR8963

Accroupi dans la cour de récréation, je veillais sur quelques cailloux qui me servait de jouets. J’appréciais de les avoir pour moi tout seul car dans la salle de classe, les jouets officiels étaient convoités par de nombreux enfants.

Soudain je perçus un son, une voix familière, sans pouvoir l’identifier fermement tant elle me parut inadaptée en ce lieu. Je relevai la tête et je le vis s’avancer vers moi. Je restai immobile, un peu agar devant la surprise alors il m’encouragea d’un « Allez mon grand » et me montra qu’il avait déjà récupéré mon cartable.

C’était mon père, il venait me chercher à la mi-journée car pour cette première expérience scolaire j’étais encore un peu petit et je n’en profitais que le matin.

Depuis quelques temps, il m’appelait toujours mon grand et effectivement, je serai bientôt grand frère.

 

Ce souvenir est le plus ancien de tous ceux qui peuplent mes pensées, le point d’origine de ma mémoire. Je suis né ici, dans la cour de l’école primaire publique Jules Ferry de Chabreloche et que nous appelons plus simplement l’Ecole de Chabreloche.

 

L’Ecole de Chabreloche regroupait maternelle et primaire sous un même toit. Elle fut construite avec un bloc central massif et deux ailes accueillant les salles de classes. Il y avait deux cours de récréation, une pour chaque aile, elles étaient séparées par un mur qui faisait tenir deux préaux. Les murs extérieurs étaient dans des couleurs beiges, jaunes clairs.

La première cour, celle directement accessible en empruntant le portail d’entrée, accueillait les maternelles, le CP et le CE1. La seconde était le territoire exclusif des CE2, CM1 et CM2. Les plus grands traversaient la cour des petits pour atteindre la leur depuis l’entrée. Les petits eux, restaient au premier niveau.

L’Ecole était positionnée à côté d’une grande place ornée de vieux platanes. Elle dominait l’allée formée par les arbres avec son horloge perchée sous son toit le plus haut. Cette place était l’endroit évident pour toute manifestation ou célébration, la plus importante de toute étant la traditionnelle fête patronale qui chaque année annonçait le début des vacances d’été. L’Ecole jouissait de la place centrale à ses côtés, elle avait défini le centre autour d’elle. Cette place s’était imposée naturellement tant l’Ecole incarnait la commune, elle était le lieux qui concernait ou avait concerné tout le monde. Chaque jour d’école et à chaque événement, le flux des habitants convergeait naturellement vers elle. Ni l’église ni la mairie, situées plus loin, ne pouvaient se vanter de cette performance. C’était comme si tout le monde voulait être proche de l’Ecole, les enfants, leurs parents, les commerces, les fêtes. Même le train avait réussi à se coller à elle grâce à la voie ferrée dont le tracé passait juste derrière la cour des grands.

La façade principale était impeccablement crépie. Un grand escalier en forme évasée permettait d’atteindre une belle porte digne d’un propriété bourgeoise et où trônait dessus tous les insignes de la République. C’était l’entrée officielle, la vitrine de l’Ecole, la façade endimanchée qui pouvait présider toutes les cérémonies quel qu’en soit le protocole.

Mais pour la vie quotidienne, l’entrée se faisait par le portail sur le côté gauche, à l’abri des drapeaux français un peu pompeux. On n’imposait pas les habits du dimanche aux enfants, ni aucun autre uniforme d’ailleurs. Beaucoup d’élèves ne voyaient jamais la grande façade principale en arrivant car ils débarquaient par une ruelle dont l’embouchure coïncidait parfaitement avec le portail.

C’était une ruelle en légère descente. Elle provenait directement de la mairie. Un panneau en limitait l’accès aux véhicules, ce qui la rendait presque piétonne. Chaque matin elle l’était par la force des choses car une marée de petites jambes l’arpentait, la dévalait à toute vitesse en profitant de la pente mais en faisant attention tout de même de na pas trébucher sur les deux dos-d’âne qui la barrait.

L’Ecole n’était pas sur l’axe principal de circulation du village, la route nationale reliant Thiers à Lyon n’avait pas pris la peine de faire le détour jusqu’à elle. Ainsi pour les visiteurs les plus pressés elle restait invisible, indétectable. Ces derniers ne voyaient le village que depuis sa grande route, ils étaient accueillis par une station essence datée mais fonctionnelle avec une publicité Elf placardée sur une façade de pierre nue, tellement défraichie et présente depuis si longtemps qu’on la croyait incrustée au mur. Plus loin se présentait un virage à 90 degrés autour duquel se concentrait tous les commerces nécessaires aux habitants, seule la boulangerie existait en double exemplaire. Puis une immense ligne droite attirait les visiteurs vers la sortie avec le département de la Loire comme horizon.

Tous ces passants ne soupçonnèrent jamais l’existence de l’Ecole de Chabreloche, ils jugèrent toute l’activité de ce village comme un petit miracle au milieu de ces zones rurales dont la désertification avait déjà commencé. Mais ils ne surent jamais que c’était l’Ecole qui produisait chaque année son lot de petits miracles, des instants où la transmission et l’émancipation firent des merveilles et dont je vais vous décrire quelques fragments.

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