Le Danse-étoile

Notes de l’auteur : Toujours un premier jet, j'écris au fil de l'eau. Je le poste peut être un peu tôt, ce chapitre s'étoffera probablement par la suite. En vous souhaitant une agréable lecture

Midi était passé, la chaleur allait enfin pouvoir décroître. Du sommet de la petite colline où il s’était installé, le garçon avait une vue complète sur la petite vallée et les quelques bêtes qui paissaient. L’étroite gorge d’un vert infini était bordée de chaque côté d’une forêt aux tons émeraudes que les villageois n’avaient pas encore défriché. Les moutons, gras et placides, tâches d’un blanc crasseux, se démarquaient nettement dans ce cadre idyllique. Se rallongeant, le garçon soupirait d’aise, laissant le soleil lui caresser la peau. Ce fut la sensation d’humidité légère et fraîche, le changement subtil d’une odeur dans le fond de l’air qui le fit se redresser. Le fond du vallon se nimbait d’un éclat doré veiné de blanc pâle. Il se leva d’un bond et sans un regard pour les moutons s’élança vers le village en contrebas.

“_ Un Riiadanse ! Il va arriver ! “ s’écria le garçonnet, le souffle court et les joues rouges d’avoir dévalé la butte au-dessus du village. Un adulte l’arrêta dans sa course.

“_ Quelle était sa manifestation mon petit ?”

“_ Ivoire et or avec une senteur de pluie d’été, ce sera qui ?”

“_ Ilasyon, le Danse-étoile. Que la grâce de la Sainte t’accompagne, aujourd’hui un dieu marche avec nous” lui répondit-il relâchant l’enfant.

Sénélé regardait songeur l’enfant repartir. Il était depuis bientôt vingt-sept printemps la voix du Memoryel de cette communauté. Il avait appris les chants sacrés, la longue litanie des Riiadanse, il était la mémoire vivante et le pont entre les humains d’hier et les dieux d’aujourd’hui. Pourtant, de sa vie il n’aurait jamais cru possible d’en voir un de ses propres yeux. Il se secoua et héla Thuma qui était non loin.

“ _ Thuma !

_ Que me veux-tu ? Encore à vouloir me vendre ta poudre de rêve pour idiot naïf ?

_ Toujours aussi douce et prévenante, que serai donc l’amertume si tu n’étais pas là ?

_ Cesse de me la conter belle jeune fou, j’ai deux fois ton âge et bien plus de souffrances en réserve. Si je croyais encore à ces foutaises je serais la dernière des crétines. Par chance je ne mange pas encore de foin. Trouve donc une chose à faire au lieu de nous bercer de tes Riiadanse. Je pourrais te suggérer de refaire le chaume de ton cher temple “ lui répondit-elle avec un rictus sur sa bouche édentée.

Sénélé soupira, il avait l’habitude. Pas un seul jour ne s’était écoulé sans qu’elle accable de tous les maux du monde le Memoryel. De ses orteils froids à ses enfants morts, la vie n’avait pas été tendre avec elle et l’âge allant elle la lui rendait bien.

Il s’avança vers elle, lui prit les mains.

“ _ Je ne te demande pas de croire, mais de voir. Ouvre ton âme à l’impensable, ton cœur à l’infini et ta raison au chaos. Redeviens un enfant l’espace d’un instant. Dans le souffle qui s’ensuit, tourne-toi face à toi-même et suis ta propre voix. Il récitait le Memoryel.

_ Je ne saurai jamais comprendre ta douleur, mais je saurai être aux côtés de chacun d’entre nous. Viens avec moi Thuma, aide-moi à rassembler les autres.

_ Tu es un foutu orateur tu le sais ? Me laisseras-tu tranquille après ça ?

_ Promis.

Elle se leva.

_ Alors ? “

Le garçon courait entre les maisons, zigzagant pour éviter passants, cochons et chiens. Hors d’haleine il rentra dans sa demeure pour y retrouver sa mère. Celle-ci se tenait comme à son habitude au côté du lit dans lequel gisait sa sœur. Elle chantonnait toujours la même mélodie, tout en tenant la main de la fillette.

“_ Qu’y a-t-il Eurê ?” demanda-t-elle.

“_ Maman, un Riiadanse arrive, je l’ai vu. Sénélé a dit que c’est Ilasyon”.

Elle cilla.

“_ Maman ?”

Elle ne chantait plus. Cette mélodie entêtante qui avait empli ces murs depuis des mois désormais c’était tue. Depuis qu’Iraklia s’était effondrée, la vie la fuyant à chaque respiration, mère ne l’avait plus lâchée. Peu importe ce que pouvait dire médecin, guérisseur, prêtre ou amis compatissant. Elle lui avait pris la main, spontanément fredonnée cette mélodie sortie de nulle part et ne s’était plus arrêtée que pour dormir de trop bref moment. Dans cette pièce le temps n’existait plus, la mort tenue en un relatif échec par un amour sans faille. Ici il avait dû grandir à toute vitesse, mis en sommeil rire et insouciance. Après le refus, la colère, la fuite, il s’était résigné. A la regarder. Partir.

Emaciée, chaque jour un peu plus. D’abord pâle, puis blafarde. Mince, maigre, squelettique pour finir presque diaphane. Et tandis que mère fredonnait, lui priait, de toute la vie d’une âme enragée d’enfant. L’hiver était mort sous les bourgeons, l’été avait chassé le renouveau mais les prières n’avaient pas cessées.

Il s’approcha, effleura le corps presque irréel de sa sœur.

“_ ’klia, tout ira mieux maintenant. Maman, elle va guérir hein ?

_ Oui mon cœur.”

Il sourit, regarde sa mère. La journée devient si lumineuse soudain ! Elle le regarde en retour. Pour la première fois depuis si longtemps il peut de nouveau voir les grands yeux gris qui l’ont bercé. Ils sont si brillants. Elle lui sourit à travers ses larmes. Il veut à nouveau enfouir sa tête dans le creux de ses genoux, se blottir entre elle et Iraklia. Il veut la serrer fort, de nouveau se sentir fragile. Mais elle n’a pas lâché la main de sa sœur. Il doit attendre, encore un peu.

“_ Je vais chercher de l’eau “ dit-il en sortant. A peine la porte ouverte que la mélodie reprend. Il ne se retourne pas, un frisson glacé lui parcours le dos.

Dehors le ciel se colore déjà. Un manteau d’or et de stries éburnéennes monte à l’assaut du ciel. L’air habituellement poussiéreux et chargé d’odeur se dissipe. Une brise apaisante, lourde d’humidité, à la saveur d’orge fraîchement coupé, envahit lentement le village. Les animaux ne divaguent plus, l’agitation diminue pour faire place à une quiétude similaire à la nuit. Le village a cessé de travailler et de s’ébattre. Tous sont rassemblés sur la placette au bout de la grand’rue. Même la forge s’est éteinte. A voir le ciel plusieurs heures se sont écoulées. L’or s’est noirci, l’ivoire a viré à l’opalin sombre. Pourtant personne ne manifeste une quelconque impatience. Eurê regarde tous ces gens qu’il connaît depuis toujours. Sénélé est à genoux, la vieille Thuma d’habitude si acariâtre attend avec une patience de jeune fille, Baroth, Punam, Mijlin et les autres, tous restent en suspens. Le village est désormais entièrement paré d’or et d’ivoire, même la peau se teinte de la manifestation. Dans un même élan toutes les têtes se dressent en direction de la silhouette qui vient dans la grand’rue.

Vêtu d’une simple tunique blanche, l’homme est grand. La manifestation n’est rien d’autre que l’éclat de sa peau sur ce qui l’entoure. Il émane de lui une lumière douce, réconfortante. Il marche mais c’est la terre qui s’avance pour lui. Il s’immobilise à quelques pas des villageois. Dans sa main droite un bâton translucide de la taille d’une dague. Sa main gauche est ornée de spirale ivoirine et de divers bijoux. Ses yeux entièrement blancs semblent voir malgré tout. Le Riiadanse est encore plus grand de près mais aussi beaucoup plus fin. Seul son visage échappe à cette maigreur.

“_ Je suis Ilasyon, le Danse-étoile. J’ai entendu l’appel depuis Forgemonde. Nulle douleur ou peur n’est plus à craindre. “

Les mots ont bien été prononcés, mais aucune lèvre n’a bougé. L'oreille n’a pas entendu. Les mots se gravent à même l’esprit telle une averse. Ils se déversent avec chaleur tombant en pluie fine et tiède, apportant douceur et réconfort. De la foule rassemblée sur la place seul un murmure extatique accompagne ces propos. Le regard sans pupilles du dieu se pose sur Eurê. Il veut à ce moment-là disparaître, fuir cette présence toute puissante qui pointe sa futilité de par sa seule réalité. Il tend la main vers le Riiadanse, voulant s’absoudre en lui, petit corps déchiré entre extase et terreur.

Ilasyon s’avance et lui prend la main. Sa peau est sèche, un peu rugueuse, presque trop humaine.

“_ Guide-moi" dit-il à Eurê.

L’enfant et le dieu à sa suite s’engage entre les maisons, délaissant la placette jusqu’à la demeure familiale. Sur les marches de l’entrée il se retourne, tous les villageois sont là aussi. Dans un silence respectueux, ils emplissent le peu d’espace qu’offre la ruelle. Aucun visage ne montre trace de dépit ou d’envie, c’est un moment de recueillement.

Le Danse-étoile précède Eurê, entre dans la maison, s’approche du lit. Mère n’a toujours pas bougée de sa chaise, ses traits tirés de fatigue sont sublimés par la radiance de la manifestation. Elle fredonne toujours, c’est à peine si elle se redresse alors qu’Ilasyon pose une main sur son épaule. Eurê le voit prononcer quelques mots bien qu’aucun son ne lui parvienne alors qu’il n’est qu’à trois pas. Dans la main du Danse-étoile le bâton s’allonge jusqu’à être deux fois plus grand que son porteur. Le lâchant, celui-ci reste parfaitement droit et stable. Tout en gardant une main posée sur mère le dieu balaie l’air autour de lui. La mélopée qu’elle n’a jamais cessé de chanter est désormais visible. Bulle fragile et irisée, elle chatoie autour du corps fragile de sa fille. Souriant, Ilasyon tapote la sphère. Elle se brise au contact de son doigt et le chant empli désormais l’espace entier. Murmurant de nouveau les mots il lève la main gauche. Tout a disparu. Le village n’est plus, la terre n’est plus. Seul subsiste les habitants toujours recueillis, mère, Iraklia, Eurê et le dieu.

Le plan où ils sont est d’un noir absolu, poli, réfléchissant à l’extrême. Des étoiles par millions brillent au-dessus de leur tête, se reflétant à leurs pieds. Rien d’autre n’apparait dans cette immensité de vide nocturne. Personne ne semble effrayé par le changement soudain de la réalité, les mythes du Memoryel s’accomplissent sous leurs yeux.

Le bras toujours levé, le Riiadanse tend le bras. Obéissant à une injonction muette, le ciel semble devenir un dôme palpable. Il s’abaisse de plus en plus, l’éclat des étoiles devient plus dur, plus brillant. Les astres cosmiques, graines de lumière lointaines sont là, lui effleurant les doigts. Les spirales de sa main se meuvent, frémissent, serpent ondulant et nonchalant. Dans la paume d’Ilasyon repose désormais une étoile. Il a baissé la main et on peut la voir scintiller férocement.  Sans un son, il articule des mots et c’est un colifichet d’un gris terne qu’il pose sur la poitrine d’Iraklia.

Eurê regarde la voûte céleste. Celle-ci est de nouveau lointaine, inaccessible. Les étoiles ont repris leurs éclats froids et indifférents. Le chant toujours présent semble sourdre de l’air. Le Riiadanse tape du talon en contretemps. Les étoiles délicatement vibre et pulse. Il s’élance alors le long de cet espace infini. Compulsif, gracieux, tantôt félin tantôt pataud, il s’agite et s’apaise. Il monte et descend le long d’une harmonique devenue corps. Ce chant répétitif devient l’incarnation d’un mouvement, fluide, aquatique et pourtant imprévisible tel un feu de broussaille. Le ciel accompagne le chant et la danse, chœur vivant et vibrant d’un tout plus grand encore. Aurore boréale surgissant, voile soudain, crépitant de couleur pour repartir tout aussi vite. Il rit, le Danse-étoile, à sa joie, à sa plénitude, à l’infini. Dans un moment d’apaisement il tend la main à mère, le souffle bondissant, le corps riant. Elle le rejoint dans une danse folle alors que dans le creux des seins d’Iraklia la babiole s’illumine.

Clignant des yeux pour la première fois depuis un temps qui lui paraît trop long, Eurê se retrouve soudain sur la chaise au côté du lit de sa sœur. Elle le regarde de ses grands yeux ambrés, à demi redressée, le bijou a roulé de sa poitrine sur le matelas, il brille faiblement dans la lueur de la chandelle.

« _ ‘klia ? C’est bien toi ? demande-t-il à mi-voix.

_ Oui Eurê.»

Elle a la voix rauque et difficile. Elle déglutit péniblement, et de nouveau regarde son petit frère. Un pâle sourire sur les lèvres elle ouvre ses bras.

« _ Tu m’as manqué. »

A ce geste Eurê se jette contre la poitrine osseuse d’Iraklia. Il peut de nouveau sentir son cœur battre, profond et régulier alors que le sien tambourine à toute vitesse.  Elle a de nouveau le parfum des neiges d’été, fraîches et piquantes. Débarrassée de l’odeur de mort qui l’imprégnait jadis. Toute son attente mêlée d’angoisse le submerge soudain, dans les bras frêles de sa sœur et sur des draps passablement crasseux. Il la sent désormais contre lui, non plus l’ombre qui s’efface dans le néant d’une maladie plus forte qu’elle, mais le retour de la présence bienveillante d’une ainée. Une larme commence à couler le long de sa joue, bascule sur son menton, tombe sur sa tunique de lin, emportant le barrage de sa résignation.

Il le sent au plus profond de lui désormais. Elle est de retour, elle ne l’abandonnera plus. Rien ne peut la vaincre. Il va pouvoir de nouveau se glisser dans son lit lors des orages et s’endormir avec la présence rassurante de sa grande sœur, savoir qu’elle veillera sur lui. Elle, elle est bénie par les Riiadanse et lui, par Iraklia. Il va pouvoir de nouveau rire des mille travers de la vie à ses côtés, faire le fier dans son ombre. Le voile gris de tristesse qui habite le visage de mère va enfin se lever et céder la place à son sourire qui illuminait chaque recoin de sa vie. Il va de nouveau pouvoir aimer sans craindre le chagrin et la mort.

Il sanglote désormais à corps perdu, ses mains la serrant spasmodiquement. La crise de larme n’en finit pas, un fleuve d’émotions refoulé et de peurs irrationnelles se déversent depuis son cœur. Elle serre aussi fort que possible le corps tremblotant de son frère, sans rien dire, savourant ce pur moment d’amour inconditionnel. Enfin il se relève, leurs habits tachés de larmes et de morve.

« _ Maman ! Maman ! s’écrie –t-il soudain,  elle a du raccompagner le dieu et les autres à l’extérieur, je reviens tout de suite ‘klia. »

Il bondit du lit, court vers la porte, l’ouvrant en grand. L’air nocturne s’engouffre dans la petite maison. Le ciel désormais noir est constellés d’astres scintillants, la silhouette de mère se dessine au bas des marches.

« _ Maman ! Iraklia est réveillée ! Viens ! »

Devant l’absence de réaction le garçon se précipite, saisit la main de sa mère et la tire vers la demeure. Sa main n’enserre que le vent et c’est le cul par terre qu’il voit la forme devant lui se fondre dans les ombres nocturnes environnantes.

Le hurlement de douleur qui retentit la fait sursauter. Elle se lève, tremblante, sur ses jambes. Arrivée à l’embrasure de la porte, elle voit Eurê plus bas, en boule dans la poussière, hurlant à s’en briser la voix. Alors elle comprend quel a été le prix de son retour.

Les semaines ont passées, le village a repris sa vie coutumière ou presque. Tout le monde a le regard un peu lointain, encore accroché par delà l’horizon au Danse-étoile. Un soupçon d’aérien dans le tempérament bourru de la bourgade. Petit à petit, grâce à la sollicitude des voisins, Iraklia a pu se remettre sur pieds. Eurê quand à lui n’est plus que l’ombre de lui-même.

Il s’est fait granit, sa sœur ne l’a plus vu esquisser le moindre sentiment. Un mort qui marche se dit-elle en frissonnant. Elle a bien essayée à son tour de fouiller les ombres cette nuit-là. Elle a appelée et implorée en vain, seul le silence narquois de l’obscurité lui a répondu. C’est elle encore cette nuit qui a trouvée la force de trainer une couverture, de s’allonger sur la terre contre son frère. C’est toujours elle qui a du écouter le désespoir envahir Eurê, cri après cri. Qui l’a senti se briser quand les pleurs ont brutalement cessé. Et c’est elle enfin qui a sanglotée face à son impuissance, dans son dos.

C’était l’épouse de Mijlin, Nérya, qui les avait retrouvés au petit matin, elle tremblante, épuisée, et lui sec comme un bloc de roche. Elle les avait emmenée chez elle, les avait nettoyés et nourris avec son énergie coutumière, même si l’air encore un peu béat qui était sur son visage était nouveau. Pendant ce temps la nouvelle de la guérison d’Iraklia et la disparition de leur mère faisait tranquillement le tour du village, s’engouffrant de maison en maison. Ne surprenant personne, après tout un Riiadanse était venu et avait fait danser le ciel, mais la curiosité de chacun avait rameutée tout le monde avant midi.

Chacun y était allé de son petit mot de réconfort et de soutien, plein d’une joie teintée de tristesse. C’est Thuma qui avait clos le bal, l’air un peu moins renfrognée qu’à son habitude. Elle n’avait pas pipé le moindre mot et, lisant la lassitude de la jeune fille, avait houspillée la foule jusqu’à sa dispersion. Alors elle s’en était allée, fermant la porte, laissant le calme reprendre possession des lieux.

Sa question était morte avant  d’avoir pu franchir ses lèvres quand elle avait regardée son frère. Il était assis sur le même tabouret où l’avait mis Nérya, face à la porte, et semblait ne pas avoir bougé. Elle s’était laissée aller contre le mur. Sa guérison miraculeuse, son réveil, une créature de légende, mère, Eurê, elle… Combien de temps s’était-il écoulé depuis son réveil ? Sa maladie ? Tout n’était encore qu’un brouillard flou et elle ne faisait qu’avancer à l’aveugle. Elle s’était pincée le bras, grimacée sous la douleur. C’était bien réel. Elle avait fini par se redresser et emmenant Eurê, ils avaient regagnés leur maison.

Son corps allait bien mieux, elle avait repris des formes et des couleurs. Son frère était légèrement plus perméable à ce qu’il se passait autour de lui mais agissait avec la passion d’un automate de glace. Elle avait chaque jour repoussée toutes les questions qui la taraudait depuis son réveil, tout comme elle avait esquivée Sénélé qui venait quotidiennement  pour avoir son récit, ainsi que lui dictait son devoir de Memoryel. L’air d’immobilisme et de quiétude qui lui avait paru depuis toujours si rassérénant devenait chaque jour plus angoissant. Elle continuait de fuir un futur qu’elle devinait de plus en plus pressant en se cherchant chaque jour davantage d’excuses ou de responsabilités.

Quand il lui arrivait de songer à son retour, à la façon dont elle était revenue, il n’y avait aucun souvenir marquant. Elle aurait pu tout aussi bien se coucher la veille. Dans ces moments là elle examinait le bijou que lui avait laissé le Danse-étoile en quête d’un quelconque indice. C’était un globe fait de trois anneaux enchâssés les uns dans les autres et en leur centre ce qui semblait être un morceau de fer. Chaque anneau avait son propre gris, légèrement changeant. Mais Iraklia avait eue beau le secouer, le faire tinter, le regarder sous toutes les coutures jusqu’à voir flou, ce n’était rien de plus qu’une belle babiole. Qu’elle l’accepte ou non, la réalité était bien celle que lui contait le village, un dieu l’avait ramené.

On toqua à la porte. C’était Sénélé. Il avait apporté comme à son habitude quelques victuailles. Depuis la disparition de mère tout le village les nourrissait. Aujourd’hui c’était du pain, un chou et des œufs. Elle se tira une chaise pendant qu’il s’asseyait, Eurê de son côté ne leur jeta qu’un bref coup d’œil avant de retourner à sa contemplation du mur.

« _ Bonjour Iraklia, comment vas-tu aujourd’hui ?

_ Bien, remerciez pour moi ceux qui vous ont donné ce panier.

_ Je n’y manquerai pas. Et Eurê ?

_ Fidèle à lui-même, vous pouvez le voir non ?

_ Je sais que j’insiste chaque jour, mais je me dois de te poser la question mon enfant, acceptes-tu de me raconter ton histoire ?

_ Il n’y a rien à raconter Memoryel. »

Son regard passa de la figure bonhomme de Sénélé à celui figé de son frère qui fixait obstinément le mur. Soudain elle en eue plus qu’assez.

« _ Il est temps de partir, merci encore pour le repas.

_ Iraklia, tu dois me raconter.

Elle se figea.

_ Je dois ? Comment ça je dois ?

_ Je me suis mal exprimé, je me dois de recueillir ton récit.

Elle parla doucement.

_ Il n’y a rien, pas de récit, pas de gloire. Je suis revenue d’après toi, et d’où ? Es-tu capable de me le dire ?

_ Je…

_ Non laisse moi parler. Jamais je n’ai rien demandé de cette vie. J’ai failli mourir dis tu ? Je suis guérie, j’ignorais même que j’étais malade. Par la Sainte, je devrais en être reconnaissante du coup ? Si je devais y passer n’était- ce pas justice ? Après tout la mort n’est-elle pas notre lot à tous ? Si moi je suis revenue alors que signifie la mort des enfants de Thuma ? Ils n’étaient pas méritant ? Elle ne les a pas assez aimés ? Tu y vois une foutue merveille, moi je n’y vois qu’une cruelle ironie. Regarde le bien ton putain de miracle, il a fait disparaître ma mère comme une bulle de savon dans le vent. Et personne ne s’en soucie. Regarde bien Memoryel, grave ce visage dans tes récits. Il ne bave plus désormais mais ose me dire qu’il est vivant. Mais REGARDE-LE !

Elle pointait un index rageur en direction de son frère.

_ Alors n’es-tu pas ravi par tous ces prodiges ?

_ Iraklia, ce que le Danse-étoile à accompli…

_N’est qu’une farce pour benêt. Il n’y a pas de clémence dans ce geste. Oh oui, de tout vos récits je vous l’accorde c’est bien un dieu. Mais nous ne sommes rien de plus que des insectes pour lui, tout comme moi quand je marche dans les bois il m’arrive d’écraser des fourmis. N’attends pas de ma part que je vante ses actions.

Il la regarda d’un air triste et navré.

_ Pourquoi un tel regard ? Tu as pitié de moi ? Je refuse ta condescendance Séléné. Je ne suis pas triste, je suis en colère ! Le comprends-tu ?

Elle criait désormais.

_ Mais ouvre donc les yeux, fichu mouton ! Tu n’as plus d’amour propre ? Rien ne te gêne dans ce que tu vois ici ? Non ?

_  Iraklia, je compatis à ta d…

_ A rien du tout ! Tu n’es que du vent fait chair et tu ânonnes des paroles creuses ! Sors de chez moi, remballe tes bonnes intentions. Tu l’as eu ton récit, maintenant hors de ma vue.

Elle le poussait sans ménagement vers l’extérieur.

Après avoir claqué la porte elle s’effondra à genoux. Elle tremblait de rage et de stupeur, dans la bouche un arrière goût de bile. Eurê la regardait curieusement, un léger sourire en coin. Elle sourit en retour, ce débordement lui avait été salvateur. Elle se mit à préparer des affaires, ne s’encombrant que du strict nécessaire et à la nuit tombée, avec chacun son sac, ils franchirent une dernière fois le seuil de leur maison. Le clair-obscur d’une lune gibbeuse leur éclairait le chemin qui s’élevait vers la colline au-dessus du village. Elle se retourna une dernière fois, la sensation d’apathie qui lui étreignait la gorge depuis le matin s’estompait enfin. Elle mit en place sa pèlerine et s’engagea sur le chemin droit devant elle, suivit de près par son frère.

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Camille Vernell
Posté le 07/12/2022
C'est un premier jet, et ça se voit : beaucoup de fautes, de syntaxes approximatives, bref, je ne jugerais pas la forme, même si...
Beaucoup de répétitions, 18 "main", 15 "regarder" 16 "voir". C'est énorme pour un chapitre.
Pourquoi le récit passe-t-il brusquement et sans raison apparente du passé (passé simple/imparfait) au présent ?

Sur le fond :
Les dialogues sont pleins de caractères et de personnalité. C'est très agréable. Maintenant, pour le reste, difficile de juger. J'ignore ce qui sera gardé ou supprimé de cette ébauche. Le chapitre est lent et les répétitions nuisent au plaisir de lire. C'est clairement moins abouti que le prologue.
Dommage, car le prologue était prometteur et l'univers véritablement intrigant. Sans doute qu’après plusieurs réécritures et un plan bien construit l'univers saura délivrer son potentiel :-)
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