Le fantôme de l'Opéra

Jo arriva la tête serrée dans un étau de brouillard. Sa nuit avait rimé avec cauchemar.

Les murs blancs de l'Opéra luisaient sous le soleil encore timide du matin, ravis d'accueillir à nouveaux des spectateurs après le drame de la veille.

À l'entrée des artistes, seul accès désormais possible, des hommes et des femmes soulageaient des camions de leur contenu. Chacun en sortait les bras chargés de chandeliers, d'un fauteuil Voltaire, d'un bureau Victorien ou encore de miroirs. Parfois, il fallait être plus que deux pour transporter de larges panneaux peints.

- Bonjour messieurs, lança une voix derrière Jo et Max. Désolée de vous avoir fait attendre, même si je vois que vous avez l'air absorbé par le déchargement des décors. Tout ça c'est pour la première de l'opéra Un bal masqué demain soir.

La femme qui les avait interpellés portait un chemisier fleuri. Elle souriait avec cet air espiègle que gardent certains adultes longtemps après l'enfance. Malgré sa petite taille, elle dégageait une autorité naturelle. Douce et ferme à la fois.

- Je suis Louise Sardan, directrice, se présenta-t-elle en serrant la main aux deux hommes. On va s'installer là-haut, on sera plus tranquilles.

Des affiches de spectacles recouvraient la moindre parcelle de la petite pièce. Un Don Giovanni en costume blanc, coupe de champagne à la main, trônait malicieusement derrière Mme Sardan qui venait de prendre place derrière son bureau.

- Vous savez pourquoi nous sommes là ? commença Jo.

- Vos collègues m'ont prévenue hier, confirma-t-elle en hochant la tête.

Jo poursuivit en glissant deux photos sur le bureau qui les séparait :

- Hier matin, deux personnes ont été retrouvées mortes, une sur le toit de l'Opéra et l'autre sur les marches. Vous les connaissiez ?

Elle saisit l'une des photos qu'elle regarda longuement :

- C'est.... C'est Pierre, il était photographe. Il travaillait pour nous pendant nos spectacles.

- Pierre comment ?

- Pierre Lehias.

Elle reposa la photo sans se détourner du visage écorché de l'homme et se rassit au fond de sa chaise.

- Depuis combien de temps travaillait-il pour vous ? demanda Jo, conscient du trouble que ces deux décès provoquaient chez la directrice.

Mme Sardan releva enfin les yeux vers son interlocuteur et répondit : 

- Bientôt 4 ans.

- Et elle, vous savez qui c'est ? relança Jo en montrant la jeune femme sans son masque doré.

- Oui, c'est Elysa Lebon. Elle faisait souvent des photos avec Pierre. Des photos des costumes qu'elle créait.

- Et vous savez ce qu'ils faisaient sur le toit hier matin ?

- On les a autorisé à y monter pour prendre des photos, expliqua-t-elle d'une voix qu'elle voulait rendre assurée malgré les tremblements qu'on y percevait. On leur en commandait régulièrement pour faire la comm' de nos événements. Celles d'hier matin devaient servir à rappeler le bal masqué de ce soir.

- Un bal ?

Jo imaginait déjà des courtisans et des courtisanes se saluer par des révérences et se faire la cour à coup de gavottes et de rigaudons.

- Oui, on organise un bal dans le salon de verre, en lien avec l'opéra qui sera joué cette semaine dans nos murs. Je pensais l'annuler après ce qu'il s'est passé mais...

Elle marqua un temps de silence pour chercher les bons mots et poursuivit :

- Mais cette décision ne tenait pas qu'à moi. Mr le Maire m'a fortement recommandé de maintenir ce bal. Pour des raisons politiques je suppose mais aussi pour nos mécènes. 

- Vous avez bien fait ! la rassura Jo. Ça pourrait nous aider ! Qui sait s'il n'y aura pas un ou deux suspects à venir faire un tour...

Mme Sardan adressa un regard reconnaissant à Jo. En apparence, elle faisait tout pour montrer qu'elle maîtrisait la situation, elle restait d'un calme inébranlable. Mais ses yeux trahissait une peine évidente.

- Vous pouvez nous en dire un peu plus sur Mr Lehias et Mme Lebon ? reprit Jo.

- Elysa, je l'ai vue très peu de fois, je ne la connaissais pas vraiment... Pierre c'était quelqu'un de très gentil, toujours dispo.

- Des personnes auraient pu leur en vouloir ?

- Quoi ? Vos collègues ont parlé d'un suicide hier ! s'étonna la directrice.

- On envisage toutes les possibilités, argumenta Jo en levant les mains pour apaiser la tension que sa question venait de créer.

- Comme je vous l'ai dit, c'était un homme très gentil et apprécié ici, finit-elle par confier. Mais vous pouvez demander à notre fantôme. C'est parfois très dérangeant mais il voit et entend tout ce qui se passe ici.

- Il y a un fantôme ? demanda Max pour la première fois de l'interrogatoire.

Lorsqu'elle sourit, les yeux de Mme Sardan se plissèrent et laissèrent apparaître de fines rides chaleureuses. Elle précisa :

- On l'appelle comme ça parce que personne ne sait depuis quand il bosse ici. Il est très discret et toujours au courant de tout.

- On peut le voir ?

- Ça va pas être possible maintenant. Il est technicien et est en montage toute la journée. Mais ce soir, il sera au bal masqué pour assurer les lumières.

Les deux coéquipiers remercièrent la directrice pour les informations qu'elle avait pu leur fournir et ne la retinrent pas plus longtemps.

Accompagné de Max, Jo se dirigea vers le monte charge afin d'éviter l'escalier sinueux, véritable torture pour sa jambe. Une fois seuls à l'intérieur, il lança à son complice :

- Ça te dit d'aller au bal ce soir ?