La mirabelle est jaune et juteuse, et elle rougit sous le soleil couchant
Tu te tiens sur l’escabeau et tu l’observes, juché en équilibre sur la dernière marche
Elle chancelle, tu as un peu peur mais tu y restes, car elle en vaut la peine
Immobile au bout de sa tige, au bout de sa branche, au bout de son membre
Devant le vaste ciel, si ronde, si petite, parfaite, constellée d’à peine quelques tâches de rousseur un peu brunes
Tu pourrais t’en saisir de tes doigts de garçon maladroit, trop rêches à ton goût, mais tu te retiens
Tes ongles rongés te donnent un peu honte
Contre la belle mirabelle, que sont ces doigts ronds qui ne devraient pas l’être, ces doigts gourds et patauds
Ces doigts lourdauds mal taillés, hérités d’ancêtres plus beaux que toi
Couverts de brumes et de médailles
Toi tu hésites et tu patauges, tu n’oses même pas tendre le bras
Tu chancelles, mais tu tiens
Un frelon bourdonne dans le coin
Qu’il est gros ! Il virevolte d’une feuille à l’autre, devant les fruits, devant ton fruit
Il s’arrête et fredonne avec complaisance
ll te nargue de son dard énorme et de son fredonnement lascif, tu trembles
Tu te tiens si droit mais le sol est si loin
Et lui qui bourdonne d’aise, t’empoisonne
Le voilà qui s’approche, qui fait volte-face devant ton visage, et s’éloigne enfin
Mais tu continues de trembler
La mirabelle n’a jamais été si loin de toi
Tu redescends de ton étage
Le sac rempli, mais l’esprit vidé, qui vaque après le fruit
Que tu aurais voulu cueillir, et que tu n’auras jamais