Je me repasse la vidéo plusieurs fois. J'essaye de comprendre le sens de tout ça. Je connais cet homme? Pourtant je suis sure de ne jamais l'avoir rencontré. C'est un parfait inconnu... enfin parfait? Ça il faudra attendre un peu pour le découvrir.
Je me remémore le message reçu avec la vidéo: pour que ta mort ne soit pas vaine, trouve ton alter-égo. C'est donc lui? Je fais la moue, je ressens une profonde déception, ce qui m'étonne car je ne m'attendais à rien de particulier. Il n'est pas censé me plaire si? Voyons Liv, reprends toi, tu n'es pas sur un site de rencontre. Cet homme n'est pas ton prochain prince charmant, tu es mortes, tu te souviens?
Je secoue la tête comme pour me remettre les idées en place. Si je commence par chercher la vraie définition de l'alter-égo? Voyons ce que nous dit mon ami Google. Je fixe l'écran de mon ordinateur comme si quelque chose d'incroyable allait en sortir:
Alter-égo: personne de confiance qu'on peut charger de tout faire. Hum, intéressant. Je pourrais donc tout lui demander? C'est un peu comme le génie qui exauce n'importe quel voeu pourvu que cela ne soit pas dangereux. Je me délecte de ce pouvoir arrivé de nul part sans l'avoir souhaité. Puisqu'il faut faire dans la légalité, exit vols, dégradations, meurtres... je m'arrête net dans mes pensées. À l'intérieur de moi, un rire diabolique, qui n'est pas le mien, résonne ce qui me secoue d'effroi.
Et une fois que je l'aurai trouvé, comment j'engage la conversation?
-Eh salut, je m'appelle Liv, je suis morte mais apparement on doit faire un truc ensemble?
Un peu étrange non? Non, non, non ça ne va pas du tout! Puis rien ne me dit qu'il pourra me voir. Suis-je comme un fantôme que l'on peut traverser sans le remarquer? Ai-je des pouvoirs surnaturels comme Patrick Swayze dans ghost capable d'interagir avec des objets. Tu as regardé trop de films ma pauvre Liv. C'est à ce moment précis ou Patapouf, mon gros et vieux chat noir vient de rentrer dans la pièce en se léchant les babines sans doute à la recherche d'un lieu confortable pour hiberner le reste de la journée. Je concentre très fort mon attention sur l'animal afin de susciter une quelconque réaction chez lui. Mais absolument rien ne se passe. Je soupire, presque déçue de cet échec. J'envie les chats et leurs sept vies.
Deux heures viennent de passer et j'en suis toujours au même stade. La vidéo tourne en boucle mais je n'arrive à en tirer aucune info. À part l'heure en haut à gauche qui m'indique que la caméra commence à tourner à 9h45 précisément. Je me la repasse encore mais cette fois ci en me concentrant sur ce que je vois. Sur l'image, un homme semble focalisé sur quelque chose devant lui. Je comprend que l'enregistrement provient de la webcam de son ordinateur portable. Est-il au courant qu'il est surveillé? Sans doute que non car il n'essaye pas d'éviter la caméra. De nos jours cela n'est guère étonnant, Big Brother est partout! Allez Sherlock, tu peux faire mieux! Sur le mur derrière, une peinture de Manet représente une femme et son enfant regardant des bateaux naviguant sur une eau bleue azur. C'est hypnotisant, magnifique à regarder mais cela ne m'apporte rien de plus.
J'ai compté, l'homme quitte son écran trois fois: d'abord à 10h00 sans doute pour soulager sa vessie, puis une seconde fois vers 11h15 ou il réapparaît dix minutes après une clope au bec, puis une dernière fois vers 11h45 pour ce qui semble un changement de tenue. J'ai beau l'observer sous toutes ses coutures, rien ne cloche chez cet homme. Sa barbe mal rasée le vieillit d'au moins cinq ans, mais la clarté de son regard vif, rétablit la vérité. Il doit avoir en réalité entre trente et trente cinq piges. Sa peau pâle est clairsemée ici et là de petites taches de rousseurs qui adoucissent ses traits. Je ne vois que le haut de son corps. Je ne peux m'empêcher de remarquer que le surplus de graisse sur le haut de ses bras m'indique un homme sportif dans le passé mais à présent resté trop longtemps sans activité. C'est dommage car de façon générale je le trouve plutôt attrayant. Quelque chose en lui laisse penser en une personne douce, sur la réserve. Pourtant ce n'est pas ce que semble vouloir dégager l'homme devant moi. Ses gestes sont brusques, mal maîtrisés, ses intentions maladroites, comme s'il obéissait à un ordre donné trop vite par quelqu'un de l'autre côté de la caméra. Il est en pleine conversation: ses lèvres bougent dans un flux régulier. Je regrette à cet instant de ne pas avoir assez écouté Léon me décrivant dans les moindres détails son cours sur la lecture sur les lèvres. Mon frère croit depuis peu en son rêve d'agent spécial. Pour cela, il multiplie les formations diverses, affirmant que savoir décrypter une conversation de loin est indispensable. Parfois il a raison et cela m'énerve. J'ai beau me focaliser sur le mouvement de la bouche, je n'arrive à en sortir aucun mot logique. Cette piste est à abandonner. Peut être que d'autres films vont suivre dans la journée. C'est comme un puzzle géant dont chaque pièce apporte un indice sur comment se procurer la suivante.
Le noir sur l'écran m'indique que la vidéo vient de se finir. Pourtant selon le curseur en bas, il reste encore une minute trente. Bizarre, je viens juste de remarquer cet écart temporel. Soudain tout me semble si logique. C'est comme lorsque Léon insistait pour rester à la fin des films au cinéma, affirmant qu'après le générique de fin, il y aurait autre chose. C'était souvent le cas: une courte bande annonce, un teasing alléchant nous donnant envie d'aller voir la suite.
Qu'est ce que j'allais trouver à la fin de celle ci?
Une phrase apparaît soudain, en grosses lettres majuscule dans une police difficilement lisible. Je reviens plusieurs fois en arrière, plisse mes yeux pour juste cette indication: éclaire moi! Dieu ou qui-que ce soit a beaucoup d'imagination mais ne sait sans doute pas à qui il a affaire. Sûre de moi, j'appuie simultanément sur deux touches en même temps pour augmenter la luminosité de mon écran. Un nom apparaît en lettres rouges sur le fond noir. Je n'en crois pas me yeux. Je reste fixée sur ces caractères comme hypnotisée. Mon destin dépend de ses quelques lettres mises côté à côté: Liam Falks.
La vidéo s'arrête. Puis au bout de quelques secondes, le curseur revient au début et de nouvelles images apparaissent sur l'écran. Cela semble être du direct cette fois ci. Je reconnais immédiatement l'homme allongé sur le sol. Il a l'air en piteux état: son jogging est plein de terre avec des trous à plusieurs endroits, à côté de lui, un mélange visqueux et consistant, ce qui ressemble à son propre vomi. Il est face contre sol, les mains et pieds liés. La caméra bouge autour de lui dans un cercle parfait. À part le corps éclairé par une faible lueur, tout le reste autour est dans la pénombre. Je me sens mal, j'ai envie de vomir, ce que je vois me dégoûte, me révulse. Pourtant, je n'arrive pas à quitter la scène des yeux. Je suis liée à cet homme.
Et je ne peux affirmer que Liam Falks est encore vivant.