L’innocence accusée

Liam, 17 ans plus tôt.

 

Il fait déjà froid dans ce petit territoire d'Irlande. Le mois de novembre vient à peine de pointer son bout de son nez. Déjà l'herbe verte et dense a laissé place à une épaisse couverture de neige blanche. Les rues sont désertées, il règne ici une atmosphère glauque, triste de ville morte.

 

Au milieu de l'avenue principale, un jeune garçon  marche d'un pas lent. Il semble errer tel un zombie dans un décor nu. Ses bras pendent de chaque côté de son corps désarticulé. Sa tête penche en avant ballotée de droite à gauche. Son regard est perdu quelque part vers le sol. Ses chaussures dégagent un bruit sourds à chaque pas lorsque qu'elles s'enfoncent dans la poudreuse. Il y a un trou au niveau de son genou gauche. Ses mains sont rouges d'un liquide un peu épais qui ruisselle entre ses doigts, dans sa paume, le long de son poignet avant de tomber en gouttes laissant ça et là des taches sur la neige blanche étincelante. Sur son pull, autrefois gris argenté, des taches brunâtres viennent gâcher l'immense ours brun brodé sur le devant. Au loin des sirènes de police retentissent, de plus en plus fortes à mesure que les véhiculent approchent.  Ils sont venus pour lui. Liam en a conscience, mais il ne cherche pas à se cacher. 

 

L'air froid lui brûle les bronches à chaque respiration. A moins que ce ne soit la peur qui grandit en lui. Il pense à sa pauvre mère, une grande femme. Néanmoins, elle est persuadée que sa vie, ses moindres déplacements ou façons de penser sont perpétuellement soumis au jugement extérieur. Il n'a pas le temps de se fier aux qu'en-dira-t-on. Il est trop tard pour un saut dans le temps. 

Les policiers sont maintenant tous autour du jeune garçon. Il a peu de chance de s'enfuir même s'il le voulait. Chacun leur tour ils avancent prudemment comme s'ils avaient affaire à un dangereux criminel. Mais ne se trouve là qu'un pauvre garçon transi de froid et sale. Les agents appliquent la procédure. Liam lève les mains bien que cela soit inutile: il n'est pas une menace.

 

-Allez mon garçon, raconte-moi ce qui t'es arrivé?

-Je ne devrais pas attendre ma mère, ou prendre un avocat?

Comme tu veux mon garçon, mais que va penser ta pauvre mère?

Liam est agacé. Ce monsieur n'arrête pas de l'infantiliser avec ses « gamins ». Mais il a raison. Que va s'imaginer sa mère? S'il décide de tout raconter, qui le suivrait dans son délire?

Vous ne me croiriez pas de toute façon, donc à quoi bon?

 

Liam pense que sa seule issue pour s'en sortir:  c'est gagner du temps. Ou en faire perdre à son interlocuteur.Du temps, voilà ce qu'il lui faut, pour réfléchir à une stratégie afin de le sortir de ce mauvais pas. Il allait attendre sa mère, passée la colère, elle aurait forcément une solution . Elle en a toujours, c'est ce qui fait sa grande force.

 

L'agent s'impatiente, se lève et fait plusieurs aller retour dans cette petite pièce d'interrogatoire. La salle est exiguë, les murs gris suffisent à dégager cette atmosphère glauque que l'on ressent lorsque l'on devient l'accusé. Le policier grommelle, racle sa gorge plusieurs fois. C'est un homme nerveux, stressé, dépassé par une série de problèmes personnels. Cela se voit à son aspect: sa barbe est mal rasée, ses cheveux gras tiennent tout seul en arrière, certains de ses ongles sont noirs de crasse. Tout cela est accentué par l'odeur nauséabonde de tabac froid qu'il dégage à chaque fois qu'il ouvre la bouche. Tout cela lui donne l'aspect d'un homme avoisinant la soixantaine, lui qui en a vingt de moins. 

 

Liam commence à se méfier. Il a regardé assez de série policière pour connaître tous les trucs pour le faire craquer. Mais il n'a rien à raconter de toute façon.

Allez Liam, dis moi d'où tu venais comme ça. Que faisais tu dehors à cette heure tardive avec un si grand froid? Tu n'étais même pas couvert. Que faisais tu la bas? Pourquoi je ne te croirais pas? Allez, parles moi! 

Pour rendre son interrogatoire plus théâtrale, l'agent s'est rapproché de la fenêtre pour regarder vers l'extérieur. Cela aurait pu marcher si la pièce ne se trouve pas à l'extrême opposé du lieu où Liam a été retrouvé. 

 

Le jeune garçon reste silencieux. Il ne souvient pas comment tout cela a commencé. 

En ce moment même petit, une patrouille de cinquante hommes sont en train  de ratisser la forêt de fond en comble pour retrouver le corps... alors tu ferais mieux de retrouver ta langue si tu ne veux pas plus d'ennuis mon garçon!

 

Le ton est soudain devenu plus agressif. Le policier est revenu face à lui, les deux mains posées sur la table, le corps légèrement cambré. La tactique de l'intimidation va le mettre à rude épreuve. 

Pour la première fois depuis le début, Liam lève les yeux vers lui. Il fixe son regard dans le sien, sans sourciller.

Je suis innocent.

Ces mots sont sortis tout seuls. Lancés ainsi sans d'autres explications, jetés à la figure du policier incrédule. L'agent tape du poing la table avant de repartir dans son déplacement monotone. Il fait craquer chacun de ses doigts avant de revenir vers l'accusé.

Alors comment expliques-tu tout ce sang sur ton t-shirt? Il a été analysé Liam, il s'agit de celui de Jimmy Falks. 

- Non!!!!!

- Pitié Liam, ne me prend pas pour un con!

Cette dernière phrase dite presque en hurlant fait sursauter le mis en cause. Le policier sort un dossier de quelque part sous la table avant de balancer des photos devant le jeune garçon.

-Regardes le bien. Liam, regardes! Et oses me dire que tu ne sais rien!

La première chose à laquelle pense le jeune homme c'est: il m'a menti. Cet homme représente la loi, il vient pourtant de me manipuler pour essayer de me faire avouer. Un classique dans les interrogatoires: prêcher le faux pour avoir le vrai. La prochaine étape sera sans doute le détecteur de mensonge.

 

Liam ne prend pas la peine de baisser les yeux. Sans les voir, il devine ce qu'il a devant lui. Il peux sans effort se rappeler le visage d'ange de Jimmy. Oui, il voit distinctement son sourire malicieux, ses cheveux bouclés couleur or, sa cicatrice balafrant sa joue gauche. Il peux même encore entendre son rire d'enfant. Il faut dire la vérité, sa vérité. La seule qui existe véritablement. Il comprendrait. S'il ne le fait pas pour lui même, il le doit pour Jimmy. Ah, pauvre Jimmy, c'est toi, mais ça aurait pu être un autre.

Le jeune homme prend une profonde inspiration, prêt à se révéler enfin.

-Je...

 

La porte de la salle s'ouvre soudain et un autre policier passe une tête dans la salle. Il regarde autour de lui. Son regard tombe d'abord sur Liam qui baisse de nouveau la tête dans un silence lourd. Puis sur son collègue, agacé de cet interruption qui, il en est sûr, a gâché un moment important. 

-Sa mère vient d'arriver, je la fais patienter?

Liam fixant toujours ses pieds, sourit discrètement. Tandis que son interrogateur fait voler son point dans le vide, visiblement furieux. Il vient de comprendre à ce moment qu'il n'obtiendra rien de plus du jeune homme.

Et merde! Merde, merde, merde! Faites la rentrer bordel!

Lorsque sa mère pénètre dans la pièce, elle est aussi blanche que la neige à l'extérieur. Tout en noir, la mine déconfite, elle aurait pu passer pour une veuve en plein deuil. Elle ne regarde pas l'agent déjà présent mais plonge directement vers son fils toujours assis au centre de la pièce. Celui ci se lève, plus par respect que par politesse. La gifle qui suit le laisse un bref instant abasourdi avant de reprendre le dessus. Après tout, peut être la mérite-t-il.

-Maman...

A ce moment, Liam est redevenu un petit garçon, pris sur le vif d'une bêtise, se faisant gronder par sa mère. Ses yeux s'emplissent de larmes. Il se sent maintenant complètement coupable. Peu importe si cela est vrai ou faux. Aux yeux de sa mère, il sera toujours coupable.

-Mais qu'as-tu donc fait?

Tout en gémissant, tremblant:

-Jimmy est mort. J'étais là, j'ai tout vu. Il l'a tué maman!

 

L'agent sourit discrètement. Il est enfin arrivé à ses fins bien malgré lui. Cette fois ci, il le tient. Le chef sera fier de lui. Il veut mettre lui même un terme à cet entrevue. Il avance sûr de lui vers le jeune garçon, les menottes dans la main:

Vous êtes en état d'arrestation pour le meurtre de Jimmy Falks. Vous pouvez garder le silence, tout ce...

 

Liam a juste le temps de plonger son regard dans celui de sa mère noyé par ses propres larmes.

 

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