Vendredi 14 février, 17h14. Le Diable arrive avec un joli bouquet de boutons de roses.
LE DIABLE
Ave ! Votre obligation de confidentialité m’est aujourd’hui plus importante que jamais. Je vous ai apporté un enregistrement de brevet et de marque. Pour protéger ma super nouvelle invention. Que j’ai également apportée avant que vous ne vous interrogeassiez. Regardez donc. Un magnifique bouquet, n’est-ce pas ?
HA ! Je vous ai bien eue. Vous croyiez que j’allais vous offrir un bouquet pour la Saint Valentin alors que je sais très bien que je n’ai pas le droit de vous draguer.
Pas du tout ! Ce sont des boules-fesses. Non, vous avez bien entendu : des boules-fesses ! Le nom est déjà tout un programme. Et avant que vous ne vous inquiétiez, j’ai, bien sûr, déjà déposé le nom de marque. Poporopax. Comme ça, je n’aurai aucun problème avec la concurrence. Notre stratégie est diamétralement opposée de toute façon, car il se trouve que mon produit, comme son nom l’indique, doit être enfoncé dans un autre orifice. C’est un concept très simple en vérité, il suffisait d’être assez intelligent pour y penser.
En vrai, c’est ma dernière petite conquête qui m’a soufflé l’idée. Enfin, ce n'est plus vraiment ma conquête. Tout ça parce que j’ai eu le malheur de lâcher un petit vent à un moment stratégique. Ben quoi, ça ne vous arrive jamais ? Et après elle a fait semblant de friser l’asphyxie ce qui est bien entendu une exagération éhontée. Bref, la dispute qui s’est ensuivie m’a donné une merveilleuse idée. Je sais très bien canaliser ma colère, savez-vous ? Dans ce cas précis, en une super invention brevetable. Ce n’est pas si simple que ça de déposer un brevet, vous pouvez me croire. L’invention doit être nouvelle, utile et… J’ai oublié quoi d’autre. J’ai vérifié sur Internet. Ce n’est pas si simple, mais j’ai réussi à remplir les conditions nécessaires au brevetage. (Il sourit d’un air satisfait.)
En plus, ça coûte un bras. Quand je pense à toutes ces bonnes idées qui n’aboutissent pas faute de moyens et à cause des frais d’avocats véreux. Heureusement que je suis riche et que je suis mon propre avocat. Attendez ! Je vais vous montrer ma demande de brevet. Mais d’abord, promettez-moi sur-le-champ que vous ne divulguerez l’idée à personne et sous aucun prétexte. Attention. Le processus technique est parfaitement illustré par le petit croquis que voici. Voyez sur la première image cet innocent petit bourgeon de rose qui ressemble à s’y méprendre à un suppositoire. C’est parce que c’est en réalité un suppositoire qui ressemble à s’y méprendre à un bouton de rose. Révolutionnaire. Première condition remplie ! Le croquis suivant détaille comment il faut les introduire dans les f… Quoi ? Calmez-vous. On les sent à peine. Je sais que l’idée est excitante, mais vous n’avez encore rien vu. Laissez-moi donc l’expliquer jusqu’au bout.
Dans ce long texte suppo… pardon « soporifique » – c’est la description du brevet – se trouve le secret de la divulgation de la rose… pardon de la « ruse » technique. Les pétales de rose agissent à la manière d’un piège. Ils étouffent la moindre odeur ET aussi le moindre bruit. Regardez. (Il souffle avec force dans le petit suppo et les pétales s’ouvrent en libérant une odeur de rose.) Vous avez entendu quelque chose ? NON. Vous avez senti quelque chose ? OUI. Ça sent la rose. Fabuleux et super utile, n’est-ce pas ? L’air chaud pénètre dans le feuillage libérant ce faisant une délicate odeur de rose par un procédé d’encapsulation similaire à celui des sprays Soupline pour repasser les chemises. J’ai d’ailleurs failli demander une coopération à Procter & Gamble. Puis je me suis ravisé, car j’ai eu une meilleure idée.
Je vais offrir à un célèbre parfumeur l’honneur de collaborer avec moi sur l’élaboration de toute une gamme ! Le jasmin pour remplacer le bouc ! Le muguet contre l’œuf pourri ! Plein d’odeurs différentes ! Une vraie prairie ! Peut-être même une version aphrodisiaque ! Ce serait merveilleux, n’est-ce pas ?
C’est que j’ai plein d’amis parfumeurs, vous savez. C’est d’ailleurs à eux que j’ai confié l’élaboration de mon parfum Fumesque Passion. Tiens, ça me donne une idée. Je pourrais leur demander de designer un parfum signature sur mesure rien que pour vous. Vous seriez la seule au monde dont les émanations an… (DING DONG) OH ! Mais c’est beaucoup trop tôt, c’est une honte d’inter…
Il est en avance ? C’est scandaleux. Vous devriez lui dire de repartir et de ne jamais revenir pendant qu’il y est. J’en étais où ? Ah, oui. Ce qui veut dire que les femmes s’en serviraient aussi au lieu de faire comme si elles n’en avaient pas besoin. ET pour venir à bout de leurs dernières résistances, les suppos seront présentés sous la forme d’irrésistibles petits bouquets comme celui que voilà, au lieu d’un emballage en paquets pharmaceutiques classiques. C’est mieux d’en avoir plusieurs de toute façon, vu qu’ils sont à usage unique. Ils sont expulsés après usage de la manière la plus naturelle qui soit, dans la nature. C’est important pour le développement durable. Tiens, je pourrais obtenir un label écologique avec une feuille verte.
Et surtout, il ne faudrait pas que les clients aient honte de les acheter comme c’est le cas avec les crèmes contre les hémorroïdes ou l’herpès génital. On pourrait même les laisser traîner dans un joli vase sur la table de nuit sans éveiller la raille de la petite bonne ou des invités. Je peux d’ailleurs imaginer plusieurs autres applications industrielles comme au sport, pour les déjeuners d’affaires, dans l’ascenseur… Les hommes pourraient en offrir des bouquets aux femmes. Ce n’est pas comme si on était les seuls à toujours tout faire de travers. En gros, je fais d’une pierre deux coups. Je me réconcilie avec ma conquête et le lit sent bon. Tout le monde est content grâce à moi. Qu’en pensez-vous ? Je vous le laisse pour tester. (Il lui tend le petit bouquet.) Ne me dites pas que vous n’en avez pas besoin. Je n’en croirai pas un mot.
Il part et Elizabeth va chercher un vase pour y déposer le petit bouquet.