Un lapin errait dans la campagne. Le nez au vent, il humait les odeurs de la terre fraîchement mouillée. Ses narines délicates et frémissantes frôlaient les hautes graminées agitées par la brise. Seules ses longues oreilles émergeaient de la végétation foisonnante. Au-dessus de sa tête, les oiseaux s’égosillaient sur les branches des arbres d’un bosquet voisin, ou voletaient en dessinant de gracieuses arabesques.
Des coups sourds étouffés retentissaient au loin mais le lapin n’y prenait pas garde. Il continuait à avancer par petits bonds précis, allant à droite ou à gauche, à la recherche d’une touffe de trèfle pour se régaler. Aucun bruit alentour ne semblait le troubler.
Il n’entendit pas le foulement de l’herbe près de lui. Un chien de chasse approchait sous le vent. Son museau raflant le sol, l’animal rampait quasiment. Son ventre raclait les cailloux qui truffaient la terre et sa queue remuait délicatement l’air. Ses pattes se posaient avec précaution à chaque pas. Il avançait toujours plus près du lapin qui ne s’était aperçu de rien.
Soudain, le chien fit rouler une pierre par inadvertance. Le lapin se retourna brusquement et comprit le danger. Il se mit à courir en zigzaguant. Ses bonds étaient prodigieux, il paraissait voler au-dessus des herbes folles. Le chien qui s’était redressé le poursuivit aussitôt. Il était plus lourd et moins habile à sauter par-dessus les crevasses et les mottes de terre, mais il courait extrêmement vite.
Le lapin ajoutait des feintes à son parcours endiablé. Il semblait aller vers la droite mais en réalité il était déjà à gauche, ou bien l’inverse. Il tournait en rond autour du chien et se trouvait parfois derrière lui. Le chien ne savait plus où donner de la tête. C’était un jeune limier qui apprenait à chasser le gibier. Un lapin n’était pas une grosse prise, mais elle lui paraissait facile. Le chien n’avait pas beaucoup d’expérience. Grâce à son odorat, il avait repéré la petite forme insouciante qui s’amusait au soleil et pensait que c’était une proie de choix.
Malgré son retard, le limier suivait toujours la boule de fourrure qui galopait vers son terrier. Il n’apercevait que le petit pompon blanc de la queue du lapin qui surgissait de temps à autre au-dessus des crêtes d’herbes. Le fugitif essayait d’égarer le chien pour protéger l’entrée de son abri mais il ne parvenait pas à tromper la vigilance de son poursuivant. Il ne savait pas que ses bonds démesurés et le point blanc sur son arrière train le trahissaient et l’empêchaient de semer le chien.
Tandis que le lapin lui échappait, la colère du limier montait. Il enrageait désormais à chaque apparition du bout de la queue du lapin. Il était de plus en plus fou furieux.
Après quelques minutes d’une course effrénée, l’entrée du terrier se profila au pied d’une butte, à l’ombre d’un acacia qui surplombait le trou. Le lapin pénétra comme un bolide dans la galerie sombre. Il se réfugia dans une petite caverne, là où le couloir s’élargissait pour former un abri confortable pour dormir et se protéger du soleil et des prédateurs. Entraîné par sa course et aveuglé par sa hargne, le chien se précipita la tête la première dans le terrier. Fébrilement, il se mit à gratter le sol avec ses pattes pour agrandir le trou et avancer vers sa proie. Il apercevait l'œil brillant du lapin qui le regardait du fond de la caverne.
Le lapin n’en menait pas large, mais il savait pouvoir se sauver en empruntant une autre galerie. Il regardait avec curiosité le chien s’escrimer à creuser la terre. Celui-ci s’était déjà avancé jusqu’à mi-corps dans l’étroit passage. Mais il remua tant et tant la fragile construction que l’entrée du terrier s’éboula soudain sur lui. Il était coincé dans le souterrain, enterré sous les débris. Le lapin commença à se moquer de lui puis il comprit que le chien étouffait. Il ne pouvait plus respirer. Il faisait maintenant un noir d’encre dans le terrier.
L’air se raréfiait aussi pour le lapin dans le souterrain bouché. Il entendait le chien haleter et gémir. Il emprunta une galerie plus profonde et sortit du terrier par un autre trou, habilement dissimulé derrière un buisson. Il revint vers l’entrée désormais condamnée, d’où l’arrière train du chien émergeait. Il était encore secoué de quelques soubresauts qui faiblissaient de plus en plus et devenaient de simples hoquets.
Aussitôt, le lapin se mit à creuser un tunnel parallèle pour créer un trou d’air. Ses petites pattes avant s’agitaient avec frénésie et habileté. La terre jaillissait de part et d’autre de son dos en jets de mottes sèches. Bientôt il atteignit l’endroit où se trouvait la caverne et attaqua la paroi. Quand elle céda, l’air et la lumière s’engouffrèrent dans la petite ouverture. Le lapin dégagea avec ses pattes le museau du chien qui ne remuait plus, puis les yeux remplis de poussière.
Après quelques instants, le chien soupira et recommença à respirer. Il ouvrit les paupières mais resta prostré. Le lapin le contemplait sans bouger. Puis il continua à creuser tout autour du chien pour le dégager. Il agrandit l’ancien trou en chassant la terre derrière lui.
Quand le chien sentit l’espace s’ouvrir autour de lui, il s'éveilla tout à fait. Il recula en rampant et réussit à s’extirper de la galerie. Ayant recouvré ses forces, il se secoua énergiquement pour éliminer la terre et la poussière qui s’accumulaient dans sa fourrure. En deux bonds, le lapin terrifié s’était perché au-dessus de l’ancienne entrée du terrier pour se protéger. Ses petites narines tremblaient et il était prêt à partir au moindre mouvement du limier.
Mais le chien était fatigué, sale et affamé. Il poussa un profond soupir et s’en fut. Ses pattes râpées étaient douloureuses, ses griffes abîmées, son poil terne et son museau meurtri saignait. Il boitait presque.
En le voyant s’éloigner, le lapin savait que le chien reviendrait.
Il avait raison par instinct. Mais quand une fois guéri le chien revint, il respecta le lapin qui l’avait sauvé. Tous deux jouaient à se pourchasser dans les hautes herbes sans jamais s’approcher. Quand le lapin en avait assez de bondir sur ses longues et puissantes pattes arrière, il se réfugiait devant l’entrée du terrier où plus jamais le chien ne tenta de pénétrer. Le limier pilait devant lui et s’asseyait sur ses pattes arrière. Les deux animaux se regardaient face à face pendant quelques instants fragiles puis le chien faisait demi-tour et repartait jusqu’à la prochaine poursuite. Le lapin rentrait tranquillement dans la galerie pour se mettre totalement à l’abri.
Leur relation était devenue une forme d’amitié et d’estime réciproque, en quelque sorte.
Mignonne cette amitié entre un chien et un lapin. Ça ressemble à du "La Fontaine" dans lequel je me demande qui ces deux animaux représentent. Oui, vraiment, on est plus proche de la fable que du conte mais j'aime bien.
Une correction à faire :
il compris que le chien étouffait → comprit
Je ne sais pas si 'est vraiment une fable car mon intention n'était pas de faire une morale ... Mais chacun peut y voir des choses différentes, c'est la beauté de la lecture !