Sur un bout de terre, tout entouré d’océan,
Assis sur le sable chaud au soleil couchant,
Un lézard au cœur lourd, regardant l’horizon,
Ne parvenait pas à se faire une raison.
Il pouvait voir au loin, car le temps était clair,
Par-delà l’eau immense, le contour d’une terre ;
Et même, en plissant les yeux, une statue sage,
Dont il ne pourrait jamais voir le haut visage.
Il venait chaque soir s’asseoir et regarder
La mer se balancer et les oiseaux voler,
Maudissant le tirage au sort zoologique
Qui clouait au sol son espèce tellurique.
Il discutait souvent avec les migrateurs,
Nomades d’en-haut, vagabonds des profondeurs,
Il voulait qu’on lui raconte tout, tout savoir
De ce qui se passe ailleurs, et les plus bavards
Lui parlaient des continents et des déserts,
De ceux qui mangent de l’ananas au dessert,
Du pays qui a inventé les spaghettis,
De ces villes du nord, plongées dans la nuit,
Des glaciers qui grondent, des lacs embrumés,
Des forêts qui frémissent et des montagnes usées.
Et le pauvre lézard voulait voir tout cela,
Mais, sans ailes ni nageoires, ne le pouvait pas.
Il suppliait les tortues et les cormorans
De le prendre sur leur dos et, le colportant,
De l’emmener voir les autres mers, les vallons,
Les grottes et les landes ; ils disaient toujours non.
Peut-être parce qu’on ne voulait pas l’aider,
Le lézard était toujours là pour dépanner
Tous ceux qu’il trouvait enlisés dans le pétrin ;
Il souriait, s’approchait, et tendait la main.
Un jour, une araignée il rencontra ainsi.
Elle avait déniché, à peine refroidi,
Un jeune bigorneau, parti paisiblement
Et, pour notre fileuse, très opportunément.
Mais l’araignée, malheureuse car minuscule,
N’avait pas la force, dans ses huit tentacules,
De transporter le coquillage pondéreux.
Elle s’échinait, se tordait, alors, généreux,
Le lézard, qui l’observait depuis un moment,
Alla jusqu’au mollusque et y planta ses dents,
Le souleva sous les yeux scandalisés,
De l’araignée voyant s’envoler son dîner.
Mais l’amical lézard la connaissait de vue,
Savait à quel arbre sa toile était pendue.
Il y déposa soigneusement le festin
Et la demoiselle, regagnant son fortin,
Reconnaissante et souriante, fit son éloge.
« Oh, mon bon Monsieur ! Vous devez être doge
En cette plage, pour être si puissant !
Et ces longs crocs, comme c’est impressionnant !
Et ces mille écailles qui brillent au soleil,
Qui resplendissent aussi fort qu’une bouteille… »
La petite araignée noire en restait rêveuse ;
Le lézard haussa des épaules dédaigneuses.
« Pff ! À quoi me servent mes dents et mon éclat,
Si je ne peux – montrant la mer – aller là-bas ?
Comme une vraie carpette je reste planté
Sur ce sable maudit qui me brûle les pieds. »
Amer et envieux, il se tourna vers elle,
Fixant, tristement émerveillé, ses dentelles.
« Et vous, dit-il, qui faites de si belles toiles,
Qui tiennent le vent comme les grandes voiles
D’un beau bateau parti pour un très long voyage. »
Regardant l’océan, il voyait en mirage
Le grand navire en question qui s’en allait,
Qui partait sans lui, sans remord l’abandonnait.
Alors, restant là, immobile, chacun songea
À tout ce que l’autre avait et qu’il n’avait pas.