Un jeune tigre, comme tous ceux de son âge,
Avait été enrôlé, comme il est d’usage,
Pour servir aux côtés de soldats héroïques,
Tous braves tigres aux rayures identiques.
Il fallut s’habituer à marcher longtemps
Et, sitôt l’aube venue, à lever le camp.
On lui apprit à batailler et à rugir,
Et à déchirer l’ennemi sans en rougir.
Il portait l’armure et en était malheureux.
C’était incommode, grossier et douloureux.
Croisant son reflet dans les flaques sous ses pas,
Il regardait et ne se reconnaissait pas.
Il aurait voulu quelque chose de plus chic,
De beau, consolant comme un clin d’œil pacifique,
Tissé dans la fibre la plus douce et légère ;
C’est qu’il n’était pas de celle d’un va-t-en-guerre.
Mais les belles chemises de velours teinté
Ne protègent pas des blessures infligées
Par les crocs jaunes des lions vindicatifs,
Ou même par les autres tigres et leurs griffes.
Alors il dut feindre, se taire et enfiler,
Par-dessus ses beaux habits brodés, dentelés,
L’armure grise, laide comme une mascarade,
Et marcher au même pas que ses camarades,
Rêvant secrètement à ce jour à venir
Où un coup lui sera porté pour le meurtrir,
Éventrera son plastron et révélera
Sa poitrine ouverte et la soie couleur grenat.