Le soleil levant baignait le village de Reistad d’une lueur froide, annonçant l’arrivée imminente de l’hiver. Bien que la journée ne fût encore qu'à ses prémices, une agitation régnait déjà depuis plus d’une heure. Pour une fois, ni les boulangers ni les fermiers n’avaient réveillé la cité. C’était les cris d’épouvante d’un assistant alambiqueur qui avait tiré les voisins de leur sommeil, les incitant à partir alerter la maréchaussée locale. En attendant son arrivée, la terrible nouvelle se répandait dans les rues de la ville à la vitesse d’un feu de forêt, bousculant ses habitudes. Les visages étaient graves, les voix murmuraient à messe basse. En l'espace d'une demi-heure, tous les habitants étaient alertes et avertis des événements.
Selon les dires de l’assistant ébranlé, quatre corps massacrés avaient été retrouvés dans l’atelier où il travaillait. La cause de cette boucherie était évidente pour tout le monde : chacun savait que cette équipe d’alchimistes s’essayait à des expériences sur des animaux. Celle de la veille avait malheureusement été leur dernière. Le bouleversement de l’auxiliaire alambiqueur s’était brusquement intensifié lorsqu'il avait pris conscience que sa vie avait été épargnée uniquement en raison de son statut d’assistant, lui permettant de rentrer chez lui pour le dîner. S’il était resté plus longtemps, un voisin aurait retrouvé son corps dans le même état que ceux de ses collègues. Dès lors, il n’avait plus été possible de recueillir davantage d’informations de sa part avant la présence de la maréchaussée, traumatisé par le spectacle horrifique qui l’avait cueilli avant l’aube.
En attendant une annonce officielle du bourgmestre, quiconque s’affairait dans les rues de Reistad se trouvait inévitablement happé par les nombreuses rumeurs agitées qui ne portaient que sur cet incident tragique.
— On raconte que les malheureux alchimistes travaillaient sur la création d’une nouvelle espèce, rapportait la bouchère à ses clients, empaquetant avec empressement leur commande.
De telles études étaient une pratique bien établie dans le pays. Depuis des décennies, les biologistes s'efforçaient de percer les mystères de l'apparition de la vie et les conditions essentielles à la pérennité des espèces. Cela avait conduit à l'émergence de nombreuses espèces qui coexistaient à ce jour avec les humains.
— Ces derniers temps, ils travaillaient sur une chimère avec des composés humanoïdes et lupines. D’après leurs rapports d’expériences, ils l’auraient baptisé le lycanthrope, affirmait une vieille femme à son jeune fils, qui se hâtaient de rentrer à leur domicile, verrouillant avec soin leur porte derrière eux.
En effet, après que la milice régionale ait fouillé l’atelier, elle avait rendu public tous les écrits, toutes les maquettes et tous les dessins au fusain que l’équipe d’alchimistes avait produits depuis le début de ce projet de chimère. La maréchaussée estimait que la population avait le droit d’être informée de ce qui s’était tramé dans un des ateliers du village durant plusieurs mois.
— L’animal serait devenu incontrôlable dès son éveil et aurait surpris nos confrères en les attaquant. C’est le risque lorsqu’on synthétise un prédateur, se désolait l’herboriste à son collègue pharmacologue.
C’était du moins la piste la plus plausible avancée par la maréchaussée. Les maréchaux n’étaient guère enquêteurs, mais cette conclusion était une évidence pour tous.
Tous les habitants étaient atterrés par ce drame qui bouleversait le train-train habituel du village. Si certains avaient du mal à digérer la nouvelle du quadruple meurtre, d’autres, plus rationnels, s’inquiétaient de savoir où s’était échappé le lycanthrope. Les maréchaux ne l’avaient pas retrouvé dans les ruelles de la cité, mais cette dernière était entourée de forêts, donc autant de potentielles cachettes. La sécurité des habitants était rapidement devenue une préoccupation majeure pour tous.
En proie à une fureur incontrôlable face à cette tragédie qui avait échappé à tout contrôle, le bourgmestre convoqua les hommes et les femmes du village volontaires pour traquer la bête. Les enfants et les plus craintifs se retranchèrent en sécurité chez eux, confiés à la protection de la maréchaussée déployée dans les ruelles. Les maréchaux n’ayant pour rôle que de défendre les cités, ils ne pouvaient la laisser sans protection s’ils décidaient de se mêler aux villageois enragés. C’est pourquoi il avait été décidé que seuls les volontaires pouvaient se joindre au rassemblement au centre du village.
Chacun s’était alors saisi d’une arme de fortune, prêts à tout pour tuer la créature qui avait osé rompre la quiétude de Reistad : fourches, houes, bêches, haches, couteaux de cuisine… Tout objet tranchant devenait un instrument judicieux pour la traque. La lumière du jour serait un avantage précieux pour eux, le lycanthrope étant, d’après les feux alchimistes, un animal nocturne.
La rage du bourgmestre ne pouvant être contenue plus longtemps, elle jaillissait de sa gorge, s’époumonant sur la place publique, juste devant la fontaine en pierre, sa hache polie brandie vers le ciel nuageux.
— Si nous ne tuons pas la bête immédiatement, elle reviendra cette nuit pour poursuivre son carnage ! Nous devons partir à la chasse ! Que tous ceux prêts à défendre le village m’accompagnent !
Ces seules paroles électrisèrent la foule de villageois armés, de laquelle s’éleva un écho qui se réverbéra sur les murs des bâtisses d’un bout à l’autre de Reistad:
— AUX ARMES !
— À LA CHASSE !
— ᴀᴜx ᴀʀᴍᴇs !
— ᴀ ʟᴀ ᴄʜᴀssᴇ !
Le sol tremblait sous l’urgence des pas pressés des habitants convergeant vers l’orée du village, la colère se propageant de pavé en pavé, comme si la cité entière se dressait contre le lycanthrope. Çà et là, s'élevaient des cris de fureur poussés par quelques citoyens, encore hantés par le souvenir brûlant des concitoyens perdus.
— Que cette maudite créature expie ses crimes infâmes !
La cohorte s’insinuait progressivement dans les rues, le bourgmestre à sa tête. La forêt de saules qui entourait Reistad se dessina au bout de quelques intersections, ses longues branches tombant comme une chevelure verdoyante. Le lycanthrope pouvait se cacher derrière chacune de ces mèches feuillues.
— Si nous ne l’abattons pas maintenant, elle reviendra cette nuit pour achever son travail. Je ne permettrais pas qu’elle prenne une seule âme supplémentaire !
À mesure que les habitations se clairsemaient, le vent gagnait en intensité et, mystérieusement, attisait davantage la colère des habitants. La futaie semblait elle-même prendre part à ce conflit en faisant bruisser ses feuilles brutalement. Les échos des armes s’entrechoquant se perdaient dans les frémissements de la nature.
— Terrassons ce monstre, qu’on en finisse avec cette journée de malheur ! À la chasse !
Les cris se confondaient, la rage palpable se mêlant au grondement de l'appel à la vengeance. Les premiers à atteindre le bois s’éparpillèrent entre les saules, improvisant une battue guidée par les cris de chacun. De petits groupes se dessinèrent, ceux portant les armes à plus longue distance se plaçant autour des autres pour les protéger.
— Nous ne serons en paix que lorsque la bête aura subi notre vengeance !
— Il ne restera rien de cette chimère, seulement un mauvais souvenir de quelques heures !
— Arrachons chaque griffe, chaque croc, chaque poil pour qu’il paye de son crime !
— AUX ARMES !
Toutefois, du lycanthrope ou des villageois, le rôle du traqueur restait encore à déterminer.
Thème très intéressant, bon univers, mais dommage que ce soit un peu court.
En attendant la suite avec impatience
La première partie est assez prenante : la perspective du lycanthrope est très bien maitrisée, la violence de la scène l'est tout autant. On a vraiment l'impression de vivre les événements au même rythme que la créature, on n'en apprend jamais trop, ni pas assez.
Cette deuxième partie est forcément un peu moins marquante car on n'incarne plus le lycanthrope. Je pense que la suite aurait pu faire partie de ce chapitre, car on n'en apprend pas énormément, d'autant plus que, à mon sens, l'accent mis sur la battue est un peu excessif. On n'a pas forcément envie de savoir comment la battue se déroule, mais plutôt comment elle va s'achever.
En tout cas, je suis très curieux de la suite. Ce recueil est prometteur, le thème me plait beaucoup et avec un peu d'imagination, il y a beaucoup de possibilités !
Hein? quoi? ça s'arrête sur ça? mais je veux la suite moi! et tout de suite!
ça sent le massacre, la bestiole intelligente, le film d'horreur... Que des truc super intéressant en somme!
C'était trop court!
Je veux la suite!
Bref, un super chapitre!
Merci pour ce texte!♥
Je suis heureux de pouvoir retrouver la suite de cette histoire, que j’attendais non sans impatience. L’ensemble est toujours bien écrit, avec cet effet de rumeurs et de ragots se propageant d’une personne à l’autre, qui offre des informations, mais instille aussi le doute quant à leur véracité.
Unique petit point gênant à mon sens, la répétition de « Maréchaux » et de « Maréchaussée », parfois d’une phrase à l’autre, rien de méchant cela dit.
Hâte de lire la suite, mais une fois encore, je crains le pire, dans un sens comme dans l’autre.
Il est vrai que je considère ce chapitre comme le moins bon que j'ai écrit jusqu'à présent alors je prends avec joie toutes les remarques qu'on peut me faire dessus...
Raconter rapidement la suite me démange mais je ne vais pas spoiler ! Elle devrait arriver très bientôt