— Chaparder, barboter, ponctionner, emprunter sans retour, voilà la saveur de nos filouteries, Gamin. Quémander docilement à ces Grands, quelle tristesse. C'est se soumettre à leur volonté et à leur générosité hypocrite. C'est leur donner le pouvoir, c'est montrer notre dépendance à leur aumône charitable. Dominons-les ! N'attendons rien d'eux ! Servons-nous dans leurs poches sans fond, mettons main-basse sur tout ce qui déborde et déversons-le sur le peuple nécessiteux. Nous devrions rentrer là-dedans, tout renverser, tout piller, tout dépouiller et rembourrer nos bourses.
Dans une contre-allée embrumée de la maison au lierre, le trio maléfique se couvrait des ombres de la nuit fraîche. La lune, unique témoin de ce camouflage improvisé, luisait sur les fronts dégarnis des démons impatients. Pour assurer leur discrétion, ils avaient confié dans une pension, contre un pécule généreux, les deux chevaux soutirés au Bourgmestre de Tesquieu.
Bulle de Savon, les cernes violacés creusés sous les yeux, souffla, comme à son habitude, pour répondre à la leçon de vie de Fil :
— Une seule visite en ce domaine aisé serait-elle assez pour te refaire ? Nos dernières soirées ont rendu ta bourse si légère…
— Ta chance est insolente, Savonnette. Ne le sois pas pour autant envers ton Premier Justicier ! Ma sentence serait redoutable ! Que fait la Pimbêche ? Une éternité que nous piétinons notre patience.
Krone s'était hissé au sommet du haut muret. À califourchon, il observait la demeure endormie des Pastelbour. Un silence, troublé par le vol furtif de chauve-souris, enserrait dans son duvet froid la maison en apparence paisible. Dominant les jardins, il distinguait à travers une fenêtre, la lueur tendre et chaleureuse du foyer du salon paternel. Krone, dont le crâne rasé trompait l'habitude tenace de se passer la main dans les cheveux, informa calmement ses compères :
— Je ne la vois pas. Le père vient de rentrer dans son salon. Son invité nocturne l'y attend.
Adossé au pied du mur, Bulle de Savon se caressait la pointe de la moustache. Il murmura :
— La Demoiselle des enfers va attendre la fin de cet entretien pour apparaitre, telle une revenante, à son tendre père. Il ne pourra rien lui refuser. Parfois, demander est plus prolifique que voler.
— Ce n'est pas du vol, Savonnette ! Quand les poches sont pleines, rien ne sert de posséder davantage. Les piécettes débordent tant qu'elles tombent malencontreusement au sol. Je n’fais que me baisser, ramasser ce qui ne peut être préservé.
Depuis le haut du mur, Krone ne préféra pas relever les arguments fallacieux de son aîné. Il contemplait aux alentours les vignes figées dans la lumière froide de la nuit. Les brumes caressaient les collines et le bourg sombre en contrebas, au creux des vallons, masse noire blottie sur elle-même, transie par la fraîcheur des étoiles. Krone partagea à nouveau les inquiétudes qui le tourmentaient :
— Êtes-vous sûrs qu'on puisse lui faire confiance ?
Fil expulsa un filet de morve par le nez et renifla de dédain :
— À l'Impératrice de la sournoiserie ? Jamais. J'dois bien reconnaître que son audace me plaît. Se dissimuler des loups en entrant dans leur tanière, j'apprécie l'idée. J'regrette même de n'pas y avoir songé. Garde-toi bien de le répéter Savonnette ! La prétention de la Pimbêche me recouvre d'ulcères mais, sur ce coup-là, force est de reconnaître que son esprit malin est bien affûté. Alors que nous n'avions plus besoin de l'encombrante Mijaurée, en un coup de dé, elle a su se rendre indispensable. Que cherche-t-elle ? Il est évident que nous représentons son faire-part de retour dans la Grande société, sa monnaie d'échange contre une espérance de réhabilitation. Nous introduire dans ce beau monde nous rapproche dangereusement de la Main de la Justice mais, sans l'effleurer, nous ne pourrions la faire tomber. Nous avons besoin d’elle. Elle de nous. Nous ne serons pas naïfs de cette belle aux longs cils et de son ambition déplacée.
Bulle de Savon résuma cette coopération très inattendue dans un rire exagéré :
— Un échange d'amabilités entre gens courtois et respectables. À savoir qui des démons ou de la reine poussera le partenaire choyé du haut de la falaise.
Fil ne surenchérit pas sur la gaité du petit bonhomme. Du coin de l'œil, il perçut l'appréhension de son protégé :
— J'sais bien, Gamin. Là-bas nous risquons de croiser le Grand Maréchal. Quoiqu'il puisse arriver, j'empêcherai ton père de te nuire. Parole de Fil.
Krone ne voulut épandre davantage son anxiété. Il leva les yeux vers la lune immense et déclara simplement :
— Le Grand Maréchal De Clarens n'est plus mon père depuis longtemps. Le mien est bûcheron. Malgré sa petite taille et son ventre arrondi, il est le plus robuste des piliers qu'un fils puisse espérer.
Fil, à la parole habituellement généreuse, fut de nouveau moucheté. Il ressentit un frisson bien étranger au froid ambiant. Il ne répondit que par un silence, qui valait toutes les reconnaissances du monde. Dans la nébulosité de ses émotions, Krone avait ancré une lumière de certitude, un repère qu'il ne perdait jamais de vue, comme un phare lointain dans une mer soumise aux caprices de bourrasques renversantes.
Du haut du muret, Krone annonça :
— L'homme au foulard de soie s'en va. Il a une démarche légèrement titubante. Ils ne doivent pas étancher leur soif uniquement avec de l'eau ici. Il remonte dans la calèche.
Depuis l'autre côté du mur, Fil entendit le bruissement des cailloux sous la roue et le martèlement léger du sabot. La résonance s'amoindrit pour se dissiper dans l'étendue poudrée et glacée de la nuit. Krone annonça l'entrée d'Ombelyne dans le salon. Il remonta son capuchon sombre sur son crâne blanc et déclara :
— Vu la morphologie du père, je n'ai aucun doute que sa garde-robe élégante siéra à merveille au Marquis de Fleurys.
Fil s'imaginait déjà revêtu de fins collants moulants. Il ricana :
— Fil, élégant et sublime en toutes circonstances. Cependant, imaginer la Minaudière à mon bras gracieux, comme deux tourtereaux épris l'un de l'autre, me refile de l'urticaire. Quel sacrifice ne suis-je pas prêt à consentir pour notre projet démoniaque.
Bulle de Savon pouffa devant cette perspective heureuse :
— Surtout quand le muscadin a l'âge d'être le père de sa jeune dulcinée. Quel couple atypique vous formerez !
Krone doutait sincèrement que leur infiltration pût se passer sans accrocs. Il ajouta simplement :
— Même si votre idylle émeut le cœur insensible de Bulle, faut-il encore que Constance nous fasse bon accueil et qu’elle accepte de dissimuler la véritable identité de sa cousine. Je ne vois pas l'intérêt qu'elle en aurait. Je vous trouve bien confiants. Sa fausse identité ne dupera personne. Votre duo atypique fera parler tout ce beau monde. Il s'en faudra de peu pour que les informateurs crient à la duperie. S'installer durablement à proximité de la Cour de Bassus est soumis à bien trop d'aléas que nous ne maîtrisons pas. Pire, indépendants de notre volonté.
— Gamin ! J’vais revoir mon jugement et te qualifier définitivement de cossard crétin ! Que t'ai-je donc appris ? De l'audace et encore de l'audace ! Si le Marquis de Fleurys et sa charmante promise sont reçus comme des ingrats, alors les princes démoniaques et leur nouvelle reine feront fureur. Nous n'allons pas là-bas pour roucouler en nous pavanant gaiment. Une fois que le Marquis aura posé un pied dans l'antre des loups, le second pied, le véritable, le démoniaque, suivra prestement.
Enthousiasmé et aucunement refroidit par les interrogations légitimes de Krone, Bulle de Savon se redressa et chuchota :
— Le bouffeur d'entrailles se délectera d'un repas...viscéralement...onctueux.
Krone resta muet. Il observait l'étreinte sincèrement chaleureuse du père et de la fille. Ces retrouvailles, émouvantes au demeurant, lui rappelèrent que quelque part, en pays d'Astirac, une mère l'attendait peut-être lui aussi et espérait son retour. Après ces nombreuses années, les remords d'un fils perdu ne surclasseraient-ils pas cette chasse irréelle d'un possesseur de Don ? Sa sœur, Vel, qu'était-elle devenue ? Elle l'accueillerait certainement avec la plus grande des joies. Ils reprendraient alors ce lien fraternel que le temps n'aurait pu effilocher. Vérifier ces hypothèses, ces désirs inavoués, bien que tentants, n'en était pas moins irraisonnable.
Valait-il mieux enfermer ces illusions fantasmées dans un coffre inviolable ? Il s'approchait de sa vie passée, de son ancienne famille. Se diluer dans les ombres, englober sa présence en pays d'Astirac du duvet de la discrétion restait la meilleure des options pour sa sécurité. Augustin de Clarens était mort quinze ans plus tôt, une nuit d'hiver. Krone était un nouvel être, étranger à cette aristocratie. Sans détacher son regard de la fenêtre embuée, Krone questionna :
— Le Marquis a deux valets bien singuliers avec leurs airs de démons. Devrons-nous cacher Bulle et sa frimousse si particulière ? Qu'en est-il de la Marquise ? Il faut procurer à la Demoiselle une chambrière et une suite digne de son rang.
Fil n'avait pas songé à tant de détails. Fidèle à son adage « agir puis réfléchir », il balaya d'un revers de main ces difficultés singulières :
— Le voyage sera long jusqu'en pays d'Astirac. Nous aurons tout loisir de creuser ta p’tite caboche d'ingénu à la recherche d'une idée lumineuse. Tu as prouvé que t'en étais capable devant la porte de cette prison honteuse. S'il faut défriser le moustachu, j’me réserve le droit, en tant que Premier Justicier, de raccourcir ses poils flamboyants.
Krone leva le bras pour interrompre le flot de paroles qu'il imaginait se répandre rapidement.
— Elle s'approche de la fenêtre et ferme les rideaux. Allons-y.
Emmitouflé dans une lourde cape de fourrures épaisses, Fil extériorisa son impatience mal contenue :
— Et bien, il s'en est fallu de peu pour que Fil le givré ne se change en stalagmite. J'déteste grelotter dans les mains glacées de Dame nature.
Bulle de Savon, insensible aux froids de la nuit, dans sa simple salopette, répondit avec la malice imprimée sur la pupille :
— Bulle de Savon, insensible au feu peut, en un geste, devenir le souverain des glaces.
— Merci bien Savonnette, c'n'est pas l’moment. Gardons ce nouveau titre dans un coin de nos têtes et allons ébouillanter mes membres sclérosés dans un bain bien mérité.
Fil tendit son bras. Un fil mental vint s'enrouler autour de la taille de Krone. Après le Coût, le jeune homme, en un saut léger, atterrit dans le jardin. Il tira à sa suite le gros personnage qui se servit de ce contrepoids bienvenu pour escalader les quelques toises du muret. Depuis le sommet, il envoya un nouveau fil invisible qui enlaça délicatement Bulle de Savon, resté en arrière. Quand Fil sauta, ou plutôt chuta lourdement, à son tour dans le jardin, Bulle de Savon s'envola dans les airs. Il rejoignit ses deux compères dans une roulade peu élégante. Il se releva en essuyant les herbes mouillées qui s'étaient collées sur la salopette et commenta sa réception peu orthodoxe :
— L'efficacité avant le panache.
— J'crois m'entendre Savonnette. Contrairement à l'Auguste cancre, tu apprends bien tes leçons.
Le trio noctambule avança sur la pointe des pieds jusqu'à la bâtisse. Le lierre fleuri de minuscules ombelles jaunes s'élevait en un mur végétal imposant sur toute la façade. Les reflets ivoirins de la brume chatoyaient sur les feuilles vert sombre de la liane grimpante. Krone caressa du bout des doigts l'une d'elles et frissonna à son contact humide. Les trois hommes remontèrent furtivement le long de la paroi jusqu'à une porte discrète. Fil, qui ouvrait la marche, frappa délicatement à l'huis. En attendant qu'on lui répondît, il maugréa de nouveau :
— La Chattemite prend un malin plaisir à nous considérer comme ses culverts. A nous faire poireauter de la sorte, elle teste la robustesse de mes nerfs. Fil le raisonné ne fléchira pas devant tant de bassesse. Bien qu'elle mérite une nasarde bien placée, ma dignité répondra à sa mesquinerie.
Sur ces clabauderies exagérées, la porte s'ouvrit. Ombelyne fit entrer aussitôt les trois hommes et annonça :
— Père a envoyé le majordome préparer toutes nos affaires. Le carrosse sera attelé et chargé pour la nuit prochaine. En attendant, des bassines d'eau chaude ont été installées pour vos soins, ainsi que des repas consistants et vos nouvelles toilettes. Une chambre est mise à votre disposition avec trois couchages confortables. Père accepte de respecter votre anonymat. Il vous assure que personne ne viendra vous importuner. Il vous demande d'accéder généreusement à ses services pour vous remercier de m'avoir libérée des geôles de la Justice. Vous pouvez faire confiance aux domestiques, ils tairont notre visite. Je resterai pour ma part dans ma chambre. J'écrirai une missive à ma cousine Constance pour lui annoncer ma visite prochaine. Suivez-moi, je vais vous guider.
Fil ne s'attendait pas à un si chaleureux accueil de la Demoiselle méprisée. Il oublia instantanément les rudesses de l'attente. Il ressentait déjà les bienfaits d'une nuit et d'une journée de confort, qu'il n'avait plus connus depuis plusieurs semaines.
Bulle de Savon, qui pour une fois ne contraria pas son ami fougueux, chuchota tendrement :
— Fil le visionnaire ne s'y tromperait pas. La Chattemite légendaire est, des hôtes, la plus délicate. Cependant, son sourire exquis en cette nuit brumeuse se muera bientôt en un rictus sinistre.
— Pour sûr, Savonnette. En attendant, profitons.
Avec son œil tuméfié, mais non moins pétillant, Fil s'engagea dans la demeure du plaisir.
***
Quel bonheur, quelle satisfaction pour celui qui se délestait de la crasse accumulée par des semaines de baroudage ! L'eau noircie par les impuretés amassées n'entravait en rien l'onctuosité du moment revigorant. Ayez ajouté à cet instant délicieux, une panse remplie et une gorge hydratée de nectars suaves et vous obteniez le comble de l'apaisement et du réconfort. Et, un homme heureux.
Au milieu d'une chambre cossue, réchauffée par un foyer dansant et éclairée par des lanternes délicates, la bassine de jouvence avait été installée par des domestiques. Immergé dans l'eau, le bout des orteils dépassant d'un bord et le sommet du crâne de l'autre, Fil se prélassait. Il chassait les incommodités à mesure que s'assombrissait l'eau parfumée d'encens légers.
Dans un coin de la pièce, autour d'une table garnie de mets délicieux, Bulle de Savon savourait une cuisse de poulet. Ses petites bouchées précises répondaient aux ronflements légers de Krone qui s'était endormi sur une couche moelleuse.
Fil perdit son regard sur les poutres vernies. La considération avouée de Krone chamboulait son âme d'acier. Regardé comme un père, son cœur attendri s'émouvait des nombreux sacrifices concédés au fil des années. L'évidence actuelle de cette paternité n’avait pas été lumineuse dans les premiers jours de leur rencontre inattendue. Longtemps, il avait voulu repousser cette responsabilité que le destin lui soumettait. Comme pour justifier ces longues nuits d'hésitations, où sa morale avait ferraillé rudement contre son pragmatisme, il se confia à Bulle de Savon, concentré sur sa chaire juteuse :
— Il passait son temps à pleurnicher avec sa morve scintillante.
Le petit bonhomme aux cernes prononcés avait perçu le bouillonnement d'émotions qui agitait son ami. Il ne feignit pas l'incompréhension et répondit naturellement :
— Tout jeune enfant aurait été traumatisé. Sans compter le rustre personnage avec sa hache fabuleuse qui aurait effrayé le plus hardi des héros.
Fil plongea la tête sous l'eau. Après quelques secondes d'apnée, il refit surface.
— Son propre père le pourchassait pour le tuer, l'anéantir comme vilaine punaise. Avant de partir, sa sœur m'a confié leur ascendance. J'savais que j'm’étais fourré dans un pétrin insondable, bien malgré moi pour une fois. Si l'Grand Maréchal en personne me traquait, j'donnais pas cher de ma peau. La première pensée que j'ai eue, j'en ai bien honte, a été de le laisser seul, dans la neige, à brailler jusqu'à ce que l'épuisement emporte ce rejeton de privilégiés. C'n'était pas mes affaires que cette boucherie familiale. Les Grands sont sans pitié, Loren en témoigne. Si j'm’étais interposé entre la main paternelle et le fils indigne, j'aurais été broyé immanquablement.
— C'est alors que le tant attendu "mais" intervient.
— Presque, Savonnette. Quand la grande sœur est repartie, j'ai fait de même. Sans l'Gamin. Ses pleurs se perdaient dans cette forêt sordide. J'en entends encore les échos dans mes songes agités. Puis, soudain, plus aucun bruit. J'me suis retourné. Le morveux avait disparu du monticule de neige où j'l'avais laissé. J'sais bien Savonnette. Honte à Fil le valeureux qui, devant l'empreinte menaçante d'un Grand, s'est fourvoyé.
Bulle de Savon posa son met sur une assiette de porcelaine. Il se lécha délicatement les doigts et souffla :
— Ton honneur est intact Brindille de fer. Le petit est tel qu'il est aujourd'hui grâce à ta bienveillance. Tes hésitations ne pèsent en rien dans la balance de ta morale.
Fil renifla bruyamment. Il reprit son propos :
— Quand j'me suis retourné pour me remettre en marche, l'Gamin était devant moi. Il enlaçait mes jambes de ses petits bras, en une étreinte suppliante. En un battement de cœur, il avait parcouru une trentaine de toises en ma direction. Alors j'ai compris. J'en ignorais la substance mais il possédait un Don, comme moi. Je n’pouvais plus le quitter. On était lié par notre fardeau. L'Gamin était la victime de la justice du Parakoï. Ma vision sur l'morveux a basculé en un instant. Bien qu'issu de ce monde qui me répugnait, je l'ai accueilli dans le mien.
— Vous avez donc pris les routes dans l'anonymat.
— La mort aux trousses. J'te confierai pas ce soir toutes les épreuves que nous avons dû traverser. Les premières semaines ont été rudes. J'n'avais d'autres choix que de le traîner le plus loin possible du pays d'Astirac. J'ai même hésité à rejoindre l'Empire Couchant. Nous aurions pu y mener une vie sédentaire paisible. Les aléas nous ont conduits en pays Randais, où nous n'avons jamais su nous détacher de notre vie nomade.
Bulle de Savon but une gorgée d'un vin liquoreux sucré. Il regarda Krone profondément endormi. Il pinça une extrémité de sa moustache virevoltante et commenta :
— C'est un bon petit qui devient un homme émérite. Tu as fait de ton mieux, et ce mieux, est remarquable.
Fil s'autorisa un premier rire dans cette confidence pesante :
— Si tu savais, Savonnette. À peine quelques semaines après notre exil forcé, j'ai enchainé les foires avec l'Gamin dans les pattes. Grâce à son Don, j'avais monté une p'tite magouille qui nous permettait de payer une couche douillette et de nous remplir régulièrement l'estomac.
— Tu en dis trop peu, Brindille. Je veux des détails...
Fil se gratta le crâne, mi gêné, mi goguenard, il expliqua :
— Tu connais certainement le jeu des pots. Le carambouilleur présente trois verres opaques et cache une pièce en argent sous l'une d'elles puis les mélange. Contre une petite mise, si le gobe-mouche la retrouve, ce qui n'arrive jamais, il la gagne. Avec l'Gamin, on a inversé les rôles avec non pas trois pots, mais dix. J'bandais les yeux du petit et le parieur cachait la pièce d'argent puis mélangeait lui-même. L'morveux retrouvait alors, à chaque fois, la pièce et empochait la mise. Même moi, qui avais connaissance de son monde de marbre, j'en restais bouche-bée. Il va sans dire que je ne compatissais jamais avec le jobard déplumé. Certains criaient évidemment à l'arnaque mais l'appât du gain aveugle le plus crédule des vénaux.
Bulle de Savon rit de bon cœur en imaginant le dupe bafoué.
— J'imagine les altercations musclées... et les fils invisibles valdinguer.
— Et mes premiers yeux pochés !
Les deux complices rirent aux éclats. Fil éclaboussa le parquet en des remous incontrôlés.
Après cette réjouissance partagée, Fil sortit de la bassine et s'essuya avec une grande serviette de coton blanche. Bulle de Savon interrogea :
— N'avez-vous jamais été inquiété de nouveau par le Grand Maréchal de Clarens ?
Fil s'approcha de la corbeille de fruits et croqua dans une pomme verte, légèrement acide. Tout en mastiquant, il répondit, en expulsant au passage quelques morceaux de trognon :
— Les premières semaines, si. J't'épargnerai les détails sordides mais une troupe de cinq cavaliers aux couleurs du Grand Maréchal aurait pu envier le châtiment de la Poigne décimé par le Justicier démoniaque. Pendant plusieurs semaines, j'ai cru apercevoir des ombres. Je n’dormais que sur une oreille car le moindre bruissement me glaçait le sang. Au fil des mois, ce sentiment pesant d'être épié s’est amoindri. La crainte, elle, ne faiblissait pas. Encore aujourd'hui, elle m'accompagne tous les jours. Comme une invitée non désirée qui reste longtemps après que les festivités et le bal soient clôturés.
Bulle de Savon ne manqua pas de souligner l'ironie du destin :
— Pourtant, nous sommes prêts à faire un retour pompeux et plein de grâce dans le domaine de ces Grands, en compagnie de votre invitée de si longue date, et d'un petit devenu homme.
— Vraiment, Savonnette, j'crois m'entendre dans ta petite bouche de simplet. Es-tu sûr que ton Don n'absorbe pas ce qui est bon autour de toi et me dépouille alors de mon éloquence et de mon raffinement ?
Fil émit alors un rot vibrant dans la chambre habituée à la délicatesse et aux bonnes manières. Bulle de Savon, avec son visage de cire et son sourire gravé dedans, fit résonner un rire aigu. Il répondit :
— Puisque je n’ai plus rien à ôter de tes bourses, autant dépouiller toute ton âme.
— Mon éloquence est inépuisable, Savonnette. Abreuve-t-en à volonté, jamais la source n'en sera tarie.
Fil enroula la serviette autour de ses hanches et, le torse dégoulinant, se saisit du verre de Bulle. Il en engloutit le contenu sans la permission de l'intéressé. Dans un soupir trop exagéré pour qu'il fût naturel, Fil s'adressa au petit bonhomme :
— Tant que nous en sommes aux confidences, qu'ont fait tes géniteurs de ta petite frimousse sympathique ? Où as-tu erré avant d'atterrir dans les bras généreux de la Dame ? T'es pas bien vieux, mais pas tout jeune non plus. Ne me dis pas que ta bulle te protège des marques du temps ! Tu n'embrouilleras pas le roi des embrouilleurs !
Bulle de Savon gloussa timidement :
— Non, non je ne suis pas un immortel qui traverse les âges en gardant une apparence de jeunot. Ma peau se ride et mes cheveux blanchissent. Les marques du temps ne sont pas considérées comme néfastes par mon Don. J'ai l'âge de mon apparence, treente ans tout juste. J'ai débarqué en catimini sur les côtes du pays Randais à ma majorité.
Fil enfila une chemise en lin qui, malgré sa largeur, le serrait légèrement au niveau du ventre.
— Débarqué ? N'es-tu pas natif des Trois pays ?
— De l'Empire Couchant. Le Don, là-bas, n'est pas mieux vu que dans ces beaux pays dominés par le Parakoï.
Fil s'assit sur le rebord d'un lit et en testa le confort en des petits sauts rebondis. Il alimenta la conversation après un bâillement sonore :
— Comment un bateau de l'Empire a pu accoster en pays Randais ? Voilà plus de trente ans que les relations marchandes ont été coupées. Que faisais-tu dessus ?
— Navire diplomatique. L'Émissaire devait s'entretenir avec l'un des représentants de votre Parakoï. Je veillais au bon entretien des cales. Je ne voyais jamais la lumière du jour, que ce soit sur mer comme sur terre. J'étais la bête étrange qu'il fallait cacher et de laquelle tout le monde se détournait. J'ai vécu isolé de mes semblables. J'arrivais à me procurer quelques livres dans lesquels je me plongeais et où j'ai appris seul, à lire et à écrire. Aussi loin que je me souvienne, on m'avait abandonné sur les quais d'un port. La Marine de l'Empereur a recruté, ou plutôt exploité, cet enfant étrange que personne ne réclamait. De petites mains bien pratiques qui ne coûtaient pas un sou, juste un peu de pain durci et un recoin sombre du navire pour couche. Ce traitement indigne a duré les longues années de ma jeunesse perdue. Quand nous sommes arrivés en pays Randais, j'ai cru y voir ma chance d'une nouvelle vie. J’ai pris la fuite. Comme personne ne court après un monstre, j’ai pu m’éloigner sans crainte. C’est le résumé succinct et sans viole, indigne de l'enseignement de Fil l'Orateur, de la vie de Bulle de Savon.
Fil s'allongea. La couche s'affaissa sous son poids. Il ajusta l'édredon de plumes et commenta le court récit de Bulle de Savon :
— Ceci explique cela.
Devant le silence en réponse, Fil se sentit obligé de préciser ses propos :
— Ta taille de lutin imaginaire et ta frêle carrure à rendre jalouses toutes les tiges de pâquerettes des champs fleuris. Scorbut, rachitisme et autres joyeusetés, un véritable collectionneur de carences et toutes les infirmités qui vont avec. Un cocktail de disette en un si petit personnage. Ton Don t'a protégé des maux de la privation mais ton corps n'a pas pu s'épanouir comme il se devait. Il est même étonnant que tu aies survécu à un tel traitement que l'on ne réserve même pas aux animaux indésirables. Serait-ce la cause de la légère débilité que je décèle en toi ? En tout cas, puisque c'est la nuit des déclarations, j'te le répète mais, considère-nous comme ta famille.
Bulle de Savon regarda à travers la fenêtre la grande lune qui semblait lui sourire. Son éclat, comme un écho de son cœur, caressait la campagne plongée dans les noirceurs les plus sombres. Bulle de Savon se sentait bien, naturellement, sans que son Don n'intervînt. Il murmura en direction de Fil qui s'endormait lentement.
— Krone comme un frère et Fil comme le bon pépé sénile et gâteux.
En un dernier soupir qui ouvrait les portes du sommeil, Fil conclut tendrement cette nuit particulière :
— Va te coucher, ingrat garnement.
C'est sympa de prendre le temps de mieux découvrir les personnages :) j'ai vraiment apprécié !
Je trouve par contre que le bref moment où Krone voit Ombelyne et son père et pense à sa propre famille pourrait être un peu mieux exploité. J'ai eu un petit ascenseur émotionnel parce que je m'attendais à un chou a la crème et j'ai eu une chouquette lol. Pas mal, mais je m'attendais à un peu plus.
Après le reste est super, et on sent que c'est le calme avant la tempête xd
Mais les chouquettes, c'est bon aussi ! :) Je voyais pas trop quoi dire de plus sur Krone et sa famille. On a recouvert ce qui en résultait au chapitre 8, rien de nouveau là dessus :)
J'espère que la suite te plaira, elle sera en effet mouvementée :)
"Krone resta muet. Il observait l'étreinte sincèrement chaleureuse du père et de la fille. Ces retrouvailles, émouvantes au demeurant, lui rappelèrent que quelque part, en pays d'Astirac, une mère l'attendait peut-être lui aussi et espérait son retour. Après ces nombreuses années, les remords d'un fils perdu ne surclasseraient-ils pas cette chasse irréelle d'un possesseur de Don ? Sa sœur, Vel, qu'était-elle devenue ? Elle l'accueillerait certainement avec la plus grande des joies. Ils reprendraient alors ce lien fraternel que le temps n'aurait pu effilocher. Vérifier ces hypothèses, ces désirs inavoués, bien que tentants, n'en était pas moins irraisonnable."
> Il introspecte bien, mais ce qui m'a manqué, c'est ce qu'il ressent, pas en mots, mais en images. Que fait-il ? Se frotte-t-il lentement la tête en mode pensif ? Soupire-t-il ? Se ronge-t-il un ongle ? Secoue-t-il la tête pour lui même à la fin ? Je pense que ça pourrait approfondir la scène et nous laisser apercevoir son ressenti
Très joli chapitre à lire, terriblement bien décrit. Tu as enfin trouvé le moment parfait pour mettre en valeur un personnage laissé en retrait : Bulle. Ce que je veux dire par-là, c'est que tu insistais jusqu'à présent sur l'image qu'il renvoyait au sein des Démons avec une très grande clarté sur son Don, ses utilisations et ses conséquences. Là, il s'ouvre davantage et ce fut plaisant de lire quelques confessions à son sujet pour rendre le personnage plus profond.
Quelque chose m'a beaucoup gêné concernant Fil. Tous ses avis et ses déductions sur Ombelyne découlent directement des précédentes narrations. Ce n'est pas un devin ni un génie alors il ne peut pas avoir les mêmes informations qu'un lecteur assidu aurait. Je veux bien qu'il se mette, encore, en avant et qu'il sache tout sur tout mais là, ce n'est plus crédible du tout. Du coup, je continue de m'éloigner de ce personnage qui ne sert plus que de faire-valoir pour porter l'histoire. J'ai beaucoup de mal à le supporter mais puisque les deux autres Démons le font et que l'histoire me plait, je vais continuer de le suivre, par défaut.
L'humour en tout cas est très bien distillé. Tu annonces les prochains coups foireux avec une certaine subtilité qui me plait. On se doute que rien ne se passera comme prévu mais le lecteur est prévenu.
Et merci d'avoir étoffé un peu le background de Krone, le vrai Marquis de l'histoire. J'ai hâte de le voir retrouver sa soeur, entre ses attentes et la réalité qu'elle lui imposera.
Au grand plaisir de te lire !
Décidément je n'arriverai jamais à te réconcilier avec Fil ! J'espère qu'un jour vous vous rabibocherez ! Il a plein de qualités! Autant que de défauts Mais il n'est pas rancunier, Parole d'auteur, il ne t'en veut pas ;)
Fil a des préconçues sur Ombelyne, qu'il connait de réputation. Si ils s'en sont pris à elle et qu'il lui a fait boire son élixir d'urine, c'est pas pour rien. Il la sait ambitieuse. Il ne se fera pas leurre par ses longs cils.. pas comme d'autres ;)
Je trouve ce chapitre extrêmement touchant ! Je préviens, je l'ai lu en deux fois, donc le début c'est un peu vieux/vague pour moi, je l'avais trouvé un poil long/redondant avec les chapitres précédents, mais pas pour autant gênant. Ca permet de bien caler les choses, de comprendre qu'ils vont encore faire nawak (dans le sens positif, c'est attendu et tu nous le teases donc c'est bien) et du coup, on est dans l'attente de voir qu'est-ce qu'ils vont encore inventer pour la suite =D
Dans la deuxième partie, j'ai vraiment été très touchée par Fil. C'est un personnage avec lequel j'ai parfois du mal, mais là, je l'ai trouvé très juste, très bien. Le fait qu'il reste humain, qu'il se soit vraiment posé la question de "Est-ce que je garde Krone ou pas", qu'au début il se soit servi du pouvoir pour faire des trucs pas légaux, mais pas cash du vol direct ou meurtre, qu'il y ait eu le stress de la poursuite et tout... franchement, j'ai trouvé tout ça très cool ! Bravo pour ça =D
Bien sûr, Bulle n'a pas non plus eu une vie facile ^^" J'aime bien le fait qu'il vienne d'un autre pays et que ça soit aussi la merde dans un autre pays, ça montre bien que bon, la fuite ailleurs est pas vraiment envisageable quand on a un don.
Bref, j'ai vraiment beaucoup aimé ce chapitre =D Bon courage avec la suite !
Je suis content que ce chapitre tout en douceur t'ait plu. En effet, les plans de notre trio virent toujours en eau de boudin... mais bon, ça serait pas marrant sinon !
J'espère que la suite te plaira, tu as lu la moitié des Peregrinations !
Comme ça fait un moment qu'on suit le trio, j'ai beaucoup aimé ces révélations au coin du feu. Les dialogues sont vivants. Même les diatribes de Fil sont sympas. Et je trouve ça normal que la tension retombe après leur action foudroyante et qu'ils s'accordent ce petit moment à trois. On les sent liés ensemble comme une famille. D'ailleurs Ombelyn a-t-elle le Don ? Ça serait chouette qu'elle devienne une petite soeur elle-aussi. J'ai bien aimé Ombelyn qui est active depuis le début et je demande quel rôle tu lui réserves.
Attention au coût du Don (cf mes remarques ci-dessous)
Mes notes
"Ce n'est pas du vol, Savonnette ! Quand les poches sont pleines, rien ne sert de posséder davantage. Les piécettes débordent tant qu'elles tombent malencontreusement au sol. Je n’fais que me baisser, ramasser ce qui ne peut être préservé."
> Haha je retrouve les filous que j'aime 😀
"Krone expira un nuage condensé"
> Point météo : ils sont en hiver ? Quand j'étais jeune (ado), on allait boire des coups dans les vignes le soir en été, "à la chapelle" c'est comme ça qu'on disait. On chapardait parfois du raisin même si la plupart du temps, il n'était pas mur. Une fois, le viticulteur nous a poursuivi avec le fusil haha ! Bref tout ça pour dire que si c'est l'été y a pas de nuage blanc devant la bouche. S'il gele en été, c'est la cata pour les vignes qui crevent. Si c'est l'hiver, les vignes sont en mode hiver quoi donc la description est bizarre.
"sur son crâne blanc"
> Il s'est rerasé la tête ? Il devrait y avoir des repousses depuis, non ?
"imaginer la Minaudière à mon bras gracieux, comme deux tourtereaux épris l'un de l'autre, me refile de l'urticaire."
> Elle a l'air mignonne la petite Ombelyn non ?
D'ailleurs pourquoi ils ne font pas l'inverse, que Krone se fasse passer pour le marquis ? Il a pas plus le physique pour ça ?
"quelque part, en pays d'Astirac, une mère l'attendait peut-être lui aussi et espérait son retour."
> J'aime bien ce passage qui permet en finesse de définir une profondeur chez Krone.
"Elle l'accueillerait certainement avec la plus grande des joies."
> Et là je me dis, oups pas vraiment. Pauvre Krone.
"Krone leva le bras pour interrompre le flot de paroles qu'il imaginait se répandre rapidement"
> 😄
"tira à sa suite le gros personnage qui se servit de ce contrepoids bienvenu pour escalader les quelques toises du muret."
> Je te conseille d'ajuster le prix du coût dans les premiers chapitres. Car ça fait un moment qu'ils utilisent et réutilisent leurs pouvoirs sans subir de paralysie comme au début. C'est un peu incohérent par rapport au début ou la moindre utilisation les faisait tomber dans les pommes. J'ajusterais ce point si j'étais toi pour virer ces incohérences. C'est un détail mais ça rendrait ton monde mieux ficelé.
"— L'efficacité avant le panache.
> 😄
"Fil le raisonné, ne fléchira"
> Pas de virgule
"Longtemps, il avait voulu repousser cette responsabilité"
> C'est intéressant qu'il pense ça. Après tout, c'est un bandit et j'imagine qu'il devait pas être chaud d'avoir un gosse sur les bras. C'est réaliste et en même temps, tu amènes de la profondeur pour Fil.
"Encore aujourd'hui, elle m'accompagne tous les jours. Comme une invitée non désirée qui reste longtemps après que les festivités et le bal soient clôturés."
> C'est bien ce passage
"Ce traitement indigne a duré les longues années de ma jeunesse perdue. "
> J'aime bien ce passage aussi et en apprendre plus sur Bulle. Néanmoins, comme tout glisse sur lui, ne devrait-il pas parler d'un ton neutre. Là on sent du jugement dans sa voix. Indigne, jeunesse perdue et ça : "De petites mains bien pratiques qui ne coûtaient pas un sou, juste un peu de pain durci et un recoin sombre du navire pour couche". C'est clairement une critique. Il ne devrait pas avoir le moindre jugement si j'ai bien suivi jusque là. Il devrait en parler comme un fait divers. Et c'est Fil qui devrait se dire "le pauvre" et penser ou dire ces jugements.
"Serait-ce la cause de la légère débilité que je décèle en toi ? "
> Nan mais Fil quoi. Heureusement qu'il s'adresse à Bulle, c'est super insultant 😄
"mais, considère-nous comme ta famille."
> Il se rachète 🙂
Un vrai chapitre plaisir 🙂
(+) Un récit avec de l'humour qui fonctionne
(+) Un bon style qui fait un peu XIXe siècle
(+) Un récit de vengeance (ce point ne plaira sans doute pas à tout le monde, mais moi j'aime bien 🙂)
(+) Des héros originaux (un vieux gros bien bavard, un petit laid neutre et blasé de la vie, un ancien aristocrate déchu, mais (-) attention à garder Bulle toujours en mode neutre (cf ce chapitre et celui du cheval qui va pas selon moi car Bulle over-réagit. Au vu de tes choix narratifs, Bulle ne devrait pas avoir beaucoup d'émotions sur des trucs qui de base nous choquerait nous ni porter aucun jugement sur le monde car ces jugements"glissent" sur lui)
(+) De bonnes descriptions et (-) attention aux descriptions qui contredisent ton idée : si tu veux montrer que le bourgmestre détourne l'argent des impôts pour vivre dans le luxe, ne montre pas des rues bien pavées, des façades nickel, des égouts, une bonne éducation des enfants, car ces descriptions (bien écrites pourtant) vont à l'encontre de ton idée initiale.
(+) De bons dialogues et (-) parfois les diatribes de Fil sont insupportables (à ajuster pour trouver le juste milieu à mon avis, car il faut les garder à tout prix bien sûr, mais là tu risques qu'on les lise en diagonal, ce qui est à éviter)
(+) Des pouvoirs intéressants et (-) attention aux incohérences notamment celles relatives au coût (as-tu vraiment besoin de cette histoire de coût d'ailleurs ? Ça ne me semble pas essentiel. Une fatigue intense suffirait, plutôt qu'ils s'évanouissent à la moindre utilisation, d'autant que parfois ils s'évanouissent pour un rien et desfois ils résistent des heures avec de multiples utilisations sans coût. Si tu ajustes, Bulle pourrait avoir une fonction de bulle de soin par exemple)
(-) Le fait que les sorciers/sorcières soient poursuivis par le pouvoir en place, c'est pas original
(-) un worldbuilding pas toujours cohérent, je pense notamment à l'attaque de la prison (prison pas assez gardée, description à l'intérieur confuse, garde enfermé dans les geôles sans raison) et aussi à la noirceur de l'empire. Tu ne montres pas assez si les propos du trio sont exagérés ou si l'empire est réellement pourri. Là je me dis qu'ils se montent le bourichon et que c'est eux les méchants, mais tu m'as dit que non, que l'empire est bien pourri, donc ce point est à ajuster selon moi. Ils pourraient assister à l'exécution de personne avec un Don par exemple.
(-) Parfois un manque d'investissement de la part du lecteur dans l'action.
Exemple : C'est ce qui m'est arrivé pour la scène de la prison car on s'en fout total de l'aubergiste qu'on ne connait pas et donc on se moque de sa libération. Si à la fin du chapitre où Fil se débarasse des gardes à ses trousses, les deux se rendaient compte que Bulle a disparu, capturé par les gardes. Là oui, la panique ! Toute leur colère, peur et raisons de vouloir le délivrer son justifier. Et le fait qu'ils s'y lancent en mode désespoir sans plan serait aussi justifié.
Exemple 2 : La gamine qui se fait executée pourrait avoir le Don et faire partie des sorciers executés. Attention aussi ici, car ça fait aussi deux fois qu'ils partent libérer quelqu'un, ça peut faire répétition. Perso, je n'aime pas ce chapitre d'attentat. C'est trop, je ne les vois pas agir comme ça quand même, tuer tout le monde, des innocents et s'en foutre. Et je ne comprends pas pourquoi ils risquent leur vie pour récuperer le cadavre de cette fille inconnue.
(+) Je comprends ton idée d'humour burlesque dans l'action et je plussois ce choix mais (-) tu dois quand même pas ôter toutes conséquences à leurs actes et construire des difficultés dans l'action, ou bien on perd tout investissement émotionnel dans ce qui est raconté.
(+) Ces trois-là sont des parias devenus bandits. Ils sont désabusés et reportent toute la faute sur le pouvoir en place et le Parakoï à qui ils vouent une véritable haine, mais (-) ils vont trop loin dans leurs actes, trop de meurtres sanglants, sans pitié et deraisonnés, ce qui va à l'encontre de l'humour développé dans ton style et de la sympathie que tu veux qu'on éprouve a leur égards. Ce point est important selon moi et à ajuster.
Je crois que j'ai relevé l'essentiel. Je te ferais signe si je pense à un autre truc. À mon avis, tu es parti dans une bonne direction mais il y a tout de même des trucs à ajuster pour que ça se lise de manière total fluide (surtout dans le fond)
""Krone expira un nuage condensé"
> Point météo : ils sont en hiver ? " > Merci pour cet info ! J'enlève cette phrase car ils sont effectivement en été. Mdr pour ton anecdote dans les vignes, j'espère que le coup de fusil n'est jamais parti quand même :D
"D'ailleurs pourquoi ils ne font pas l'inverse, que Krone se fasse passer pour le marquis ? Il a pas plus le physique pour ça " > Ombelyne en parlera dans le chapitre suivant. Je te laisse découvrir ce passage, tu me diras ce que tu en penses. (Mais sinon, dans le fond, Fil ayant plus de gouaille, ça passerait mieux qu'avec Krone)
Pour ce qui est des Coûts. En fait, je décris moins dans ce genre de scène, car ça ferait rereredite par rapport aux chapitres précédents. Ici, il n'y a que Fil qui utilise son Don (comme dans le chapitre de la plume bleue). Il n'a qu'une paralysie de quelques secondes à chaque fois, quelque soit l'utilisation de son Don. Je ne décris pas systématiquement cette période d'attente mais elle est bien là. "Après qu'il ait payé son Coût, blablabla" tant que ça n'a pas d'incidence sur l'action. Le coût de Fil n'est pas si contraignant que ça (il n'est pas fatigué lui, juste paralysé le temps de trois battements de coeur), la fatigue, ce n'est que pour Krone. C'est pour ça que son Don à lui, est utilisé beaucoup moins souvent.
Quant à l'insensibilité de Bulle, je ne trouvais pas qu'il s'impliquait émotionnellement lorsqu'il raconte son passé. Il dit justement à la fin : "voici le résumé succinct et sans viole" de sa vie. Mais je vais revoir ça, effectivement, il ne doit retranscrire aucune émotion personnelle là-dedans, juste rapporté froidement son passé.
Merci pour toutes tes remarques au long de ta lecture (notamment pour le loooooong second commentaire). Je prends tout ça en note.
A bientôt, en espérant que la suite te plaise !