L'amour d'un père, à la fois force vitale et encens de faiblesse, emprisonnait les âmes inquiètes ou libérait l’espoir des cœurs.
Pour un père, c’était naître une deuxième fois au premier vagissement de son enfant. Cette indispensable bouffée d'air qui mettait en branle les systèmes vitaux de ce petit être, si désiré et aimé depuis longtemps, gonflait simultanément l'esprit du père en un sentiment de plénitude et d'accomplissement réel.
L'amour passionné de sa défunte épouse fut arraché à Monsieur de Pastelbour par la venue au monde ensanglantée du fruit de leur passion folle. Pourtant, de cette rencontre, parrainée par la Mort en personne, accoucha un amour immodéré et instantané pour sa fille Ombelyne, trésor unique et richesse inestimable.
Depuis un mois, le père inquiet avait perdu trente livres de gras à mesure que ses tourments pesaient de tout leur poids sur son âme anxieuse et dévouée. Monsieur de Pastelbour investissait quotidiennement la chambre de sa fille à la recherche d'une odeur évaporée et d'une présence évanouie.
La disparition inexpliquée d'Ombelyne invita dans sa vie placide, désormais insipide, un désarroi sans contour.
Le balancier de l'horloge en acacia rouge rythmait un temps étiré dans cette chambre, écrin de son trésor. Les journées s'éternisaient en ce lieu où la source de son temps n'était plus. Il voguait en eaux troubles et sombrait dans les affres de l'inquiétude.
Monsieur de Pastelbour s'approcha de la table qui servait d'écritoire pour sa fille. Il saisit les deux feuillets qui s'y trouvaient. Il les relut chacun pour la énième fois. Qui était donc ce Marquis de Fleurys que sa cousine Constance mentionnait ? Ombelyne se serait-elle entichée de cet inconnu et l'aurait rejoint sans prévenir quiconque ? Monsieur de Pastelbour connaissait les folies que les béguins de la prime jeunesse provoquaient. Avec sa tendre épouse, qui ne l'était pas encore à l'époque, nombre d'excursions et d'aventures cachées les avaient éloignés des yeux réprobateurs de parents peu conciliants. Cependant, ces aventures duraient-elles tout au plus quelques heures. Jamais ils n'auraient fugué ou éveillés les soupçons en laissant leurs couches vides. Monsieur de Pastelbour voulait croire que sa fille ne se serait pas cachée de lui car, lui accordant presque tout, ou plutôt cédant au moindre de ces caprices, Ombelyne n'aurait eu aucun intérêt à maintenir cet amour dans le secret. Le jeune homme aurait fait une déclaration en bonne et due forme qu'il aurait pu la courtiser publiquement sans aucun frein paternel.
Ce patronyme, de Fleurys, ne lui rappelait rien. Pourtant, étant solidement implanté dans le réseau des mondanités, Monsieur de Pastelbour connaissait tous les gentilshommes des environs en âge de se marier et qui pouvaient constituer un bon parti pour sa douce et tendre. Il avait mis à contribution ses amis, les plus fidèles et les plus intéressés, mais personne ne le renseigna sur ce mystérieux inconnu.
Monsieur s'assit sur le fauteuil, face au guéridon, offrant une vue plongeante sur ses jardins si bien entretenus. Malgré l'activité permanente de sa propriété, seul l'ouvrier qui repeignait le portail ce jour-là avait remarqué le départ précipité de la maîtresse de la maison. Elle ne portait qu'un châle pour vêtement chaud et semblait être, selon le témoignage, d'une humeur joyeuse. Monsieur de Pastelbour s'était d’abord étonné de cette jovialité soudaine mais après réflexion, elle corroborait son espoir de fuite amoureuse car, seul un amour léger renouvelait un cœur si longtemps malmené.
Sa fille s'était enfermée de longues semaines, recluse dans sa chambre, prisonnière d'une honte qu'elle ne surmontait pas. Il avait frappé tous les jours à sa porte mais n’était parvenu à adoucir l'inconsolable. Les peines d’Ombelyne l’avaient meurtri, autant que son impuissance.
Il n'avait osé troubler sa fille, de peur qu'elle ne déversât sa frustration sur lui. Églantine, la chambrière d'abord, Honoré, le majordome ensuite, lui avait donné de brèves nouvelles sur les humeurs de sa fille. Tous les soirs, dans son salon privé, il avait espéré recevoir une courte visite de sa part pour échanger un mot, un regard. Inlassablement, la porte était restée close.
Au deuxième jour, Monsieur de Pastelbour s'était rendu à la Poigne locale signaler la disparition. Étonnement, en dépit de son rang, il n’avait trouvé aucune oreille attentive ou compréhensible.
La lune, dans le ciel nocturne, veillait sur la maisonnée endormie. Sa clarté fantomale transperçait la brume dense agrippée aux parterres. Ce voile diaphane réverbérait la lumière blanche en un halo fantasmagorique. S'il ne croyait pas fermement aux bienfaits du Parakoï et à sa capacité à tenir loin des Trois pays toutes les divinités ou les êtres d'hypothétiques autres mondes, Monsieur de Pastelbour aurait espéré distinguer une apparition spectrale dans ces jardins. Il avait beau guetter et aspirer à un retour de sa fille, il ne la voyait pas.
Après de longues minutes à fixer le portail du bout de l'allée, il se leva et quitta la chambre d'Ombelyne. Ses pas, amortis par les épais tapis du couloir, le trainèrent las, jusqu'à la porte de son salon privé. Malgré l'heure avancée de la nuit, le sommeil se refusait à lui. Il avait déserté sa chambre. Les rares assoupissements agités se faisaient au coin du feu crépitant, dans son fauteuil rembourré.
Il entra dans son salon où il fut accueilli par l'odeur entêtante du serpolet grillé. Muni d'une pipe, confortablement installé sur une banquette face au foyer, un homme fumait la plante apaisante. Comme si une visite impromptue à cette heure où les ombres régnaient outrageusement était naturelle, le fumeur de pipe salua le maître des lieux :
— Toujours aucune nouvelle ?
Il inspira une profonde bouffée. L'herbe échauffée rougit et crépita tendrement. Puis, de ses lèvres pincées, il expulsa un fin filet de fumée qui se mua en un nuage envoûtant.
Monsieur de Pastelbour vint s'assoir à ses côtés. Hypnotisé par la flamme dansante du foyer, il répondit :
— Non. Je perds espoir Jonah. Cette épreuve est pire que toutes les tortures infligées dans les geôles de la Justice. Qu'ai-je fait pour mériter un tel supplice ?
La question se perdit dans la volupté ambiante. Jonah, bien portant, un foulard en soie noué autour du cou, souffla sa réponse en même temps qu'une nouvelle expiration enfumée :
— Parfois les épreuves nous accablent sans raison mon ami. Ne désespère pas. Rien n'indique qu'il lui soit arrivé malheur. Sans optimisme, nulle espérance.
— L'optimisme ne se décrète pas. S'il était si simple de garder espoir, le mouron ne serait plus qu'un vague ennemi imaginaire.
Jonah ne put répondre à cette évidence si implacable. Il laissa couler un long silence compatissant et tira à nouveau sur sa pipe sculptée. Voulant distraire l'esprit maussade de son ami, Jonah aborda le sujet de prédilection de Monsieur de Pastelbour :
— Es-tu au courant de la visite de l'Émissaire de l'Empire Couchant ?
— Ydone de Legane de Antunes ? Non. Qui le reçoit ?
— Le Premier Sujet du pays d'Astirac. À Bassus même.
— Pourquoi le Premier Sujet Silas recevrait-il l’émissaire de l'ennemi de notre Parakoï Adoré ? Dans le courrier d'Ombelyne, j'ai lu la lettre d'un certain Roland qui indique des mouvements suspects de l'autre côté du Bouclier Serein. Je n'y vois aucune marque de courtoisie de la part de ces scélérats. Cette visite ne me dit rien qui vaille. Leurs sourires déférents dissimulent des poignards affûtés qu'ils nous planteront dans le dos sans aucune vergogne.
Un nouveau nuage introduisit la réponse de Jonah :
— La voie diplomatique, fut-elle enrobée de faux-semblants, évite des conflits inutiles et coûteux. C'est un moindre mal.
— En admettant qu'une guerre puisse être un tant soit peu utile.
Jonah replaça le nœud de son foulard. Il saisit un verre rempli d'une liqueur ambrée qu'il avait posé sur une desserte. Laconiquement, il théorisa les intérêts d'une guerre sanglante :
— Si elles enrichissent, elles le sont.
Monsieur de Pastelbour fit un geste explicite en direction de son invité qui lui passa son verre. Le maître de maison vida en une lampée son contenu. Après un frisson revigorant, il poursuivit la discussion :
— Un conflit ouvert avec l'Empire Couchant serait le pire qu'il puisse nous arriver. Aucun bénéfice, ni pécuniaire ni politique. Leur velléité ne me surprend guère. Ils harcèlent nos côtes depuis des décennies. Ils n'abandonneront pas de si peu. Le Parakoï, béni soit-il, nous protège d'eux avec son Bouclier Serein et son Pouvoir souverain.
Jonah hocha la tête d'approbation. Il bourra la tête de sa pipe avec une herbe fraîche, l'embrasa et partagea ses craintes avec son ami :
— En effet, l'Empereur n'arrêtera jamais. Loué soit notre Parakoï, Protecteur des Trois pays. Je suis tout de même inquiet.
Jonah mâchouilla la lentille du tuyau de bois et poursuivit :
— Notre réseau de renseignements parle d'une nouvelle technologie qui lui permettrait d'ouvrir une brèche dans le Bouclier Serein et de déverser son armée immense dans les Trois pays. Si le Bouclier lâche, le sang inondera et abreuvera notre terre paisible.
Monsieur de Pastelbour tendit son verre pour que Jonah le remplît à nouveau. La carafe tinta légèrement contre le cristal et le liquide enivrant afflua généreusement. Il compléta l'analyse militaire de son invité nocturne :
— Le Parakoï serait alors contraint de clairsemer ses côtes pour renforcer l'intérieur des pays et contenir l'invasion terrestre. Espérons que notre flotte soit assez solide face à l'armada impériale.
Jonah mordilla plus intensément sa pipe et raisonna à voix haute :
— Sinon le Parakoï serait aussi attaqué par les mers. S'ils poussaient plus à l'ouest, ils débarqueraient ici, en pays Randais. Avec tous ces renforts envoyés vers le Bouclier, nous ne pourrions plus repousser un débarquement. Une tenaille aussi impitoyable que sanguinolente menacerait alors sérieusement les Trois Pays.
Un silence méditant accompagna les deux débatteurs. Monsieur de Pastelbour, dont les légèretés de l'alcool mirent temporairement sa peine en arrière-plan, questionna son ami :
— As-tu des précisions sur cette fameuse avancée technologique ?
— Aucune. Si nos sources ne se trompent pas, nous courons au-devant d'un grave péril. Le Parakoï, Puissant parmi les Puissants, devra nous en préserver, sa Bonté et son Génie n'ayant d'égal.
Monsieur de Pastelbour observa le foyer au travers des reflets jaunis du spiritueux. Il porta délicatement le verre à ses lèvres et avala une courte gorgée de sa boisson réconfortante.
— Et Ydone ? Que vient-il faire dans cet imbroglio ?
Jonah haussa les épaules.
— Parlementer, menacer, négocier, repérer nos faiblesses... Que sais-je... En tout cas, il débarquera sous pavillon blanc en pays d'Astirac. Il sera escorté jusqu'à Bassus où il sera reçu en grandes pompes. Bonjour l'ambiance.
Monsieur de Pastelbour conclut alors cette discussion tout en vidant à nouveau son verre :
— Toujours recevoir avec les honneurs ses ennemis...
— ...car notre civilisation est grande et distinguée...
— ...et surclassera toujours les barbaries.
Monsieur de Pastelbour se leva. Sous le charme des effluves enchanteurs, il chancela. Trop instable pour marcher, il se rassit aussi prestement qu'il ne s'était levé.
— La tête me tourne. Ce divan est condamné à subir l'empreinte de mon derrière moelleux pour les heures à venir.
Dans un effort remarquable pour se redresser, Jonah soupira et annonça son départ :
— Qu'il ne soit pas forcé à subir le mien plus longtemps alors, il n'y résisterait pas. Au revoir mon ami. Essaie de dormir, même si des songes troubles te visitent, tu auras au réveil meilleure mine. Tu fais peur à voir.
Jonah se leva et sortit du salon. Il laissa derrière lui son ami et un dernier nuage de fumée.
Seul face à sa solitude, Monsieur de Pastelbour plongea son regard dans la danse ensorcelante des flammes. Si les semaines passées étaient un avant-goût des années qui lui restaient à vivre, ses turpitudes l'entraineraient dans un puits sans fond. L'Empire Couchant pourrait frapper à sa porte, réquisitionner sa demeure, passer sous le fil de l'épée toute sa maisonnée qu'il n'en éprouverait pas un chagrin plus intense qu'à ce moment précis. Espérerait-il être embroché par la même occasion, ses tourments le quitteraient pour que son âme, enfin apaisé, s'envolât vers des cieux plus généreux.
On frappa délicatement à la porte. Monsieur de Pastelbour bougonna son affliction :
— Qu'as-tu oublié Jonah ?
Le battant s'entrouvrit et le spectre apparut. Amaigrie, dans un habit indigne de son rang, Ombelyne pénétra dans le salon.
— C'est moi Père.
— Ma... ma Colombe ? Est-ce un rêve ?
— C'est bien moi. J'ai attendu que vous soyez seul.
Elle posa sa main fraîche sur celle de son père, pétrifié par cette apparition.
Les sanglots emportèrent en un torrent tumultueux la tristesse et les perspectives noires du père soulagé. Comme un bébé, il engouffra sa tête contre le ventre de sa fille retrouvée. Il laissa s'échapper, dans des soubresauts touchants, toute sa peine et son angoisse mortifiante.
— Ma Colombe, j'ai cru t'avoir perdue. Où étais-tu ? Si tu savais la torture que j'ai subie.
Ombelyne fut sincèrement touchée par le désarroi de son père. Elle l'enlaça tendrement :
— Pardonnez-moi, Père.
Monsieur de Pastelbour avait retrouvé sa particule de vitalité, il était à nouveau entier. S'il rêvait, alors il préférait cette illusion à une réalité sculptée de douleurs térébrantes.
Au commencement d'un renouveau euphorique, le père releva la tête et sourit à sa fille. Ombelyne lui rendit sa marque d'affection et essuya une larme qui grossissait sur ses cils fins. Monsieur se redressa. Il garda les mains de sa fille dans les siennes, ne voulant plus lâcher ce trésor qu'il avait cru perdre à jamais.
— Où étais-tu ? Regarde dans quel état tu te trouves. As-tu été maltraitée ?
— La Justice m'a enfermée, Père. Je me suis échappée.
Monsieur de Pastelbour resta sans voix. Il laissa les deux coups du pendule sonner pour dissiper ce brouillard de confusion.
— Enfermée par la Justice ? Pour quelle raison ma Colombe ? Est-ce à voir avec la soirée du Seigneur de Pierrelevée ?
Ombelyne sentit la moiteur des mains de son père. Malgré sa gêne, elle ne retira pas les siennes, heureuse de ce contact chaleureux. Elle ne répondit pas à sa question et obscurcit davantage le trouble dans lequel était plongé son paternel.
— J'ai besoin de ton aide Père. Je ne peux pas rester ici. Je suis portée pour morte. Si la Justice me retrouve ici, tu risques des désagréments sans mesure.
Monsieur de Pastelbour ne sut quelle curiosité satisfaire. Ces confessions, aussi improbables que le retour fortuit de sa fille, calmèrent prestement son allégresse. Il trouva ainsi une première explication à l'indifférence qu'il avait rencontrée lorsqu'il s'était rendu à la Poigne. S'ils lui avaient caché la détention d'Ombelyne, une affaire renversante pesait sur ses épaules.
— Que me racontes-tu ? Tout ceci est ubuesque. Éclaire-moi, je t'en prie.
— Vous mettre dans la confidence serait vous menacer, Père. Je peux juste vous dire que j'ai eu vent d'un complot contre notre Parakoï. J'ai voulu en avertir la Justice qui m'a tyranniquement mise en détention. J'ai été secourue par des bienfaiteurs qui veulent m'aider à déjouer cette vile manigance. Ils ont réussi à faire croire à ma mort pour que la Justice cesse de me poursuivre.
Ombelyne se doutait bien que son père ferait le lien entre sa version, quelque peu édulcorée, et les événements extraordinaires de Tesquieu qui, un jour ou l'autre, immanquablement, finiraient par s'ébruiter. Seulement, elle souhaitait être loin de ce dévoué serviteur du Parakoï lorsqu'il apprendrait que sa fille s'était liée aux démons ennemis et, pis que tout, deviendrait, dans les bouches des populeux, l'épouse du roi diabolique.
Plusieurs jours après son évasion burlesque, Ombelyne n’avait toujours pas compris comment le Bourgmestre et les Poignes avaient pu se laisser duper si aisément. Elle ne croyait pas qu'un tel fiasco pouvait rester cantonné à l'intérieur des murs du bourg. Un secret ou une confidence submergeaient les digues les plus robustes.
Le plus grand pouvoir de ces démons résidait dans les croyances erronées de leurs adversaires. Leurs menaces dissuadaient et pétrifiaient les soi-disant valeureux. Pourtant, elle l'avait bien compris, ils n'étaient pas capables de tant de prouesses, si horrifiques fussent-ils.
— Ombelyne ! Tu ne peux pas me laisser dans ce flou incompréhensible. Un complot contre notre Parakoï ? Je dois en connaitre les tenants même si ma vie est en péril ! Devrais-je te laisser affronter ces dangers toute seule ? Quelle indignité de père serais-je alors ! Comment pourrais-je vivre te sachant dans un perpétuel tourment ? Permets-moi d'être le père que je pense être, ou à défaut, que j'aspire à devenir. Ma vie seule ne vaut rien, la tienne l'outrepasse. Ma Colombe, je t'en prie. Ma souffrance se délecterait de mon apathie tandis que ma délivrance s'enchaine à ton destin. Je ne peux être vivant que si nos chemins se superposent. Je sais ne pas toujours avoir été le père que tu espérais. Laisse-moi être celui que j’ai promis d'être à ta mère. Ta vie, avant la mienne.
Ombelyne savait son père dévoué mais non assujetti à un tel ressenti. Cette déclaration inattendue la bouleversa. Il lui avait tout donné, tout cédé. Désormais, il se dévoilait totalement à elle. Bien évidemment, elle l'aimait, sans jamais le lui avoir montré. Au contraire, elle entretenait une distance avec lui pour des raisons qu'elle ne pouvait expliquer. Elle le reprit dans ses bras et savoura cette étreinte dont elle n'avait pas le souvenir d'un précédent.
Contre le seul être qui ne l’eût jamais aimée, Ombelyne douta de ses projets ambitieux. Livrer ces démons au Parakoï l'introduirait-elle vraiment au sommet du Beau monde ? Sa Justice l'avait jetée au cachot une première fois, le Parakoï pourrait la condamner une deuxième fois. La disgrâce d'Ombelyne de Pastelbour ne pouvait échapper au plus Puissant parmi les Puissants. Cet Être supérieur n'aurait aucune raison d'accorder son oreille attentionnée à une provinciale déchue et humiliée. Elle n'aurait pas l'occasion de révéler ses informations qu'elle croupirait déjà dans les geôles sordides de la Justice. Si cet entretien improbable se réalisait, que valait la parole de la Baveuse contre l'autorité du Premier Sujet Loren ? Elle n'avait aucune preuve tangible et ne détenait plus la missive compromettante. Cette voie sans issue, la gloire qu'elle s'imaginait n'était que chimère insaisissable.
Dans ces conditions, vivre cachée auprès de son père n'était-il pas envisageable ? Il aurait les moyens et se démènerait pour lui offrir une vie confortable, loin des regards indiscrets. Une vie paisible, loin de tout. Seule.
Cette flamme vivace, au plus profond d'elle, inaltérable et fougueuse, chassa ces perspectives spéculatives. L'ambitieuse écrasa la pessimiste. Elle était une Dame. Par tous les moyens, elle retrouverait le rang qui lui était dû ! Elle n'avait plus de preuves contre le Premier Sujet Loren ? Grand bien lui en fît, elle en trouverait ! Le Parakoï n'écouterait pas la disgraciée honteuse ? Il écouterait alors, de ses plus belles oreilles, la femme du roi des démons, la reine de l'Autre monde. De cette merveilleuse créature, Il ne pourrait détourner son regard admirable et son attention remarquable. Les trois magouilleurs lui avaient mis la couronne des Enfers sur la tête sans son accord, et bien, elle s'en saisirait et la brandirait fièrement aux yeux de l'ensemble des Trois pays ! Si le chemin du sommet du monde devait être réservé à une reine, alors ce titre, elle s'en draperait, dusse-t-elle brûler avec.
Ombelyne desserra l'étreinte et plongea son regard supérieur dans les yeux chamboulés, de son père.
— Ressaisissez-vous, Père ! Ce n'est pas en vous lamentant que nous arriverons à aider notre Parakoï. Je me porte à merveille et, glorifiez votre âme, car votre fille se démène corps et âme pour la Paix des Trois pays. Je vous donnerai régulièrement de mes nouvelles. Quand mon honneur sera restauré, je vous reviendrai auréolée d'une gloire nouvelle. Ma vie ici, dans ces conditions, est indigne. Permettez-moi de lui donner un sens. Respectez le serment que vous avez formulé à ma défunte mère. Ma vie avant la vôtre.
Monsieur de Pastelbour resta éberlué devant l'outrecuidance de sa fille. Alors qu'il lui partageait son angoisse et lui délivrait son amour, elle lui renvoyait sans une once d'hésitation la promesse faite à son épouse qu'il venait de lui confier. Pis, elle s'en servait contre lui. Il avait l'habitude de ses excès mais, dans l'intimité de ce salon, en un moment si particulier, cet affront le blessa.
Il connaissait ce regard déterminé. Sa fille lui cachait des maillons essentiels de cette chaîne de demi-vérités. Ses rêves camouflés rayonnaient d'évidence dans la pupille de ce père clairvoyant. Il savait sa fille butée et ambitieuse. Son inconscience des menaces qu'elle s'apprêtait à affronter l'effraya. Ce monde de manigances et de complots politiques la dévorerait goulûment. Dans son cocon familial, Ombelyne n'avait jamais été confrontée à la bassesse des Grands, détenteurs du pouvoir. Sa fille s'y brûlerait. Assurément. Elle y laisserait sa vie. Probablement.
Conscient de l'impasse dans laquelle il se trouvait, Monsieur de Pastelbour ne put se dresser contre cette détermination exacerbée. L'affronter serait la perdre. L'aider serait entretenir ce lien si fragile, mais indispensable, qui les unissait. Il sortit vaincu de ce combat intérieur, imperceptible depuis l'âme fringante de sa fille. Il rendit les armes et soupira :
— Que puis-je faire pour toi, ma Colombe ?
Ombelyne sourit, satisfaite d'avoir gagné la première des batailles qu'elle mènerait jusqu'à la consécration et le prestige. Elle posa sa fine main sur la joue chaude de son père et chuchota :
— Pas grand-chose, des broutilles.
Je n'ai pas pu résister à lire un autre chapitre aujourd'hui ^^
Et je ne suis pas déçue, je trouve ce chapitre très équilibré et bien écrit.
L'interaction pere fille est super, c'est très touchant.
Je me demande qui est le Jonas ^^
A bientôt !
Merci pour ta lecture régulière, ça me fait plaisir :) j'espère que la suite te plaira. Je suis malade en ce moment, je n'arrive pas trop à lire sur les écrans, je continuerai à lire Diane et Meobius dès que je me sentirai mieux !
A tres vite
Je m'arrache un peu les cheveux sur ma réécriture ahaha.
PS: j'ai vu des hypothèses Ombelyne / Krone dans les autres commentaire, j'avoue que j'y ai pensé aussi (pour quand elle découvrira qui il est vraiment bien sûr)
Joli chapitre centré sur le beau-père de Krone. Cela me convient parfaitement que tu le laisses anonyme, relégué à un simple père bienveillant et figurant de la bourgeoisie. Par contre, j'ai été noyé dans toutes ces informations. J'ai bien saisi les enjeux géopolitiques du moment avec les coulisses des 3 Pays mais je suis complètement perdu sur les noms à rallonge.
De manière générale, j'ai déjà du mal à garder en mémoire les différents Premiers Sujets et là on en savoure une nouvelle couche avec l'Empire Couchant. Mais cela n'enlève la très grande qualité de tes dialogues. Beau-papa et Jonah s'expriment très clairement, noblement, et ne provoquent rien d'aussi inssuportable que les répliques du Fil. Quel plaisir d'échapper à ses monologues !
Ombelyne après. Parfaite. Tu l'as dépeinte en plein dilemme moral entre ses ambitions et ce qui dicte sa conscience. C'est l'intermédiaire entre deux univers : elle doit jouer le jeu des Démons tout en intervenant pour la sauvegarde du Parakoï. J'aime de plus en plus la reine de l'Autre Monde.
Hâte de voir quelles seront les broutilles demandées par notre amie :)
Ombelyne est à la fois pénible et attachante, je te réserve pour un futur chapitre, un jeu de comédienne au petits oignons...
Beau-père de Krone ? Il y a encore beaucoup de chemin pour ça ;) après tout, Ombelyne ne va pas imaginer son futur avec un bouseux quand même !
J'espère que la suite te plaira !
"Ydone de Legane de Antunes" sera oublié dans ... euh je ne sais déjà plus qui c'est. Un gars de l'Empire Couchant. Ou une demoiselle.
Krone est le Seigneur de son Monde de ténèbres et de lumière. Il est de sang noble qui plus est !
Sinon, le chapitre est fluide et bien écrit. Un bémol peut-être sur les dialogues : je trouve que le père et Jonah s'expriment d'une manière similaire, un peu pompeuse, et qui ressemble aussi à la manière de parler de Fil. Tu peux essayer de leur caser des tics de langage ou plus marquer la différence. Mais ça ne nuit pas à la compréhension.
Aussi, à un moment, tu basardes pas mal de nom. Pour l'instant, je ne sais pas s'ils sont utiles à la suite. Si c'est le cas, faudra faire des rappels à mon avis ou on sera paumé.
Mes notes :
"coin du feu crépitant du salon, dans son fauteuil rembourré.
Il entra dans son salon"
> Répétition de salon
"souffla sa réponse [...]
— Parfois les épreuves nous accablent sans raison mon ami. Ne désespère pas. Rien n'indique qu'il lui soit arrivé malheur. Sans optimisme, nulle espérance."
> C'est pas vraiment une réponse soufflée je trouve
Ce chapitre me paraît plus crédible et réaliste que les deux précèdents. Et j'ai l'impression que les choses sérieuses commencent 🙂
Les noms que j'introduis ici seront effectivement revus tranquillement dans les chapitres suivants. Normalement, la compréhension sera fluide, du moins je l' espère !
Merci pour ta lecture suivie, j'espère que cette seconde partie des Peregrinations te plaira !
Le père d'Ombelyne est très touchant, dans son amour très extrême et grandiloquent pour sa fille. Après, ça va avec tout le reste du récit où tout et très extrême, donc pas de souci sur ça ^^ Comme Ombelyne et ses défauts, je l'aime bien lui, même s'il risque de souffrir beaucoup des idées un peu idiotes de sa fille, pauvre père ^^" D'ailleurs, c'est fait exprès qu'il n'ai pas de nom à lui dans tout le chapitre ? Pour un personnage qui a "son" chapitre, ça m'a vraiment sauté aux yeux.
Sinon, Ombelyne a toujours la dualité entre faire une action pertinente et ses rêves de grandeurs, et comme d'habitude, elle s'enfonce dans les bêtises. J'aime vraiment beaucoup cette dualité, et le fait qu'elle ait maintenant la couronne des enfers, c'est bon maintenant, on l'a totalement perdue ='D Clairement, ça va pas être juste des broutilles qu'elle demande x)
Pour la situation politique, on pourrait résumer en disant que c'est la merde ='D Le parakoï avait pas besoin de déstabilisation interne en plus, et je finis par me demander si, avec la guerre sur les bras, nos amis les démons vont pas provoquer des catastrophes bien pires que tout ce qu'ils avaient prévus. On verra bien.
Juste une remarque au fil de la lecture :
"Les peines d’Ombelyne l’avait meurtri" avaient
Pour le prénom du père d'Ombelyne, je trouvais que le qualifier uniquement de "Monsieur" accentuait le côté bourgeois du personnage, plus en décalage avec le petit peuple, puisque grand défenseur du Parakoi.
J'aime beaucoup Ombelyne (on dirait pas comme ça, vu comment je la traite). Ses ambitions l'aveuglent totalement. La pauvre, elle n'est pas au bout de ses peines avec le trio...
Je te laisse découvrir les broutilles en questions, mais pour le coup, rien d'extrême :p
Pour ce qui est de la guerre extérieure, elle va petit à petit prendre plus d'ampleur. Les déstabilisations internes ne vont pas aider c'est sûr. A voir comment notre trio va "profiter" de tout ça pour réaliser leur projet révolutionnaire...
J'espère que la suite te plaira !
Merci pour la coquille, je corrige ca5