Il émerge lentement de sa torpeur. Le réveil sonne, une nouvelle journée commence. Malgré son départ à la retraite récent, Eustache a conservé cette habitude. Il faut dire qu'après plus de quarante années à se lever tous les jours à 6h30, il devient difficile de se débarrasser de cette habitude.
Il s'assoit sur le bord du lit, se frotte les yeux. Il enfile ses charentaises, avec un motif écossais rouge. C'est sa couleur préférée à Eustache. Il en a eu d'autres, des paires de charentaises, mais jamais aussi belles que les écossaises rouges. Quand il les porte il se sent en sécurité. Rien ne pourrait changer cela, pas même leur odeur. C'est d'ailleurs comme ça qu'il les retrouve quand il ne sait plus où il les a rangées.
Enfilant sa robe de chambre, d'un blanc crémeux - il ne faut pas faire d'ombre aux charentaises -, il se dirige vers la cuisine. Eustache prépare la cafetière puis la met en route. Pendant que le café commence à couler, il se dirige vers l'entrée. Il aime avoir sa petite routine matinale. Cependant, ce matin là, quelque chose ne va pas. Eustache le ressent au plus profond de son âme. Alors qu'il se rapproche de l’entrée, sa crainte s'intensifie. Rien. Il n'y a rien.
Il regarde le sol. Rien. Peut-être de l'autre côté de la porte ? Il regarde par le fente de la boîte aux lettres pour s'assurer qu'il n'y a aucun danger puis ouvre. Rien non plus. La panique monte, son pouls s'accélère. Impossible se dit-il, ça ne peut pas être vrai. Il se dirige de nouveau vers la cuisine, espérant avoir raté un détail. Peut-être l'a-t-il croisé ? Non il s'en serait souvenu. Il est comme ça Eustache, c'est quelqu'un qui sait observer, qui voit les choses.
Rien dans le couloir, ni la cuisine. Fébrile, il s'assoit sur le bord des escaliers. Plus rien n'a de sens. Comment cela a-t-il pu se produire ? Peut-être s'agit-il d'une mauvaise farce ? Ou bien quelqu'un cherche à lui faire du mal ? Eustache tente désespérément de rester factuel. A-t-il entendu du bruit ce matin ? Ce bruit si caractéristique qu'il fait habituellement en arrivant ? Non, maintenant qu'il y pense c'est vrai qu'il n'y a rien eu. Juste un silence pesant, maintenant ponctué par les gargouillis de la cafetière qui peine à sortir les dernières gouttes de son précieux nectar.
Ça ne va pas se passer comme ça. Eustache est déterminé à le retrouver. Il se lève, plus déterminé que jamais. Il se dirige vers le salon, prêt à appeler la police pour que la lumière soit faite. Ce crime ne doit pas rester impuni. Il décroche le combiné, quand soudain la sonnette de la porte d'entrée retentit. Eustache laisse échapper un juron. Mais qui diable vient sonner chez lui à cette heure-ci, et surtout maintenant ?
Son pouls s'accélère encore plus, ça ne peut pas être une coïncidence. Et si c'était lui ? Il se dirige lentement vers la porte, ses charentaises amortissant le moindre de ses pas. Eustache regarde par le judas. L'incompréhension s'empare de lui. Il ouvre la porte et se retrouve nez à nez avec Muriel, sa voisine. Après l'avoir salué chaleureusement (oui elle est comme ça Muriel, pour elle une bonne journée démarre avec le sourire), elle lui tend un petit tas froissé, blanc et noir. Les mots « erreur », « facteur », « désolée », sortent de sa bouche, mais Eustache est trop ému pour leur accorder de l'importance. Il la remercie dans un souffle, les larmes lui montent aux yeux. Avec les mains tremblantes, il saisit son exemplaire du Monde, qui finalement ne s'était pas perdu. C’est maintenant l’heure d’un bon café.
Et c'était très bien ! On se demande tout le long qu'est-ce qui peut rendre Eustache dans cet état. Ses émotions sont très bien dépeinte et la chute est surprenante.
Tu maîtrises parfaitement l'exercice de la nouvelle. Continue comme ça !
C'est génial. Une tranche de vie atrocement banale qui se transforme en un moment de pur régal. Bravo ;)