Lucien pénétra dans une chambre baignée par la lueur de dizaines de bougies. Spacieuse et luxueuse. C'était comme si la ruine de la famille s'arrêtait aux portes de cette pièce. Allongée sous un amoncellement de couvertures aux broderies somptueuses une jeune adolescente dormait. Son teint resplendissait avec éclat au milieu des beautés qui l'entouraient. Lovée entre ses bras un petit chat noir dormait tout aussi profondément qu'elle :
« C'est ma fille, Marie. murmura dame Il'térime.
- Depuis combien de temps...
- Un an et deux mois »
Lucien ne put dissimuler sa surprise. L'argent ne pouvait pas être le motif d'une si longue attente. La splendeur du lieu n'était que le témoignage de l'amour de ses parents. Marie était leur seul enfant. Les Ill'térime ne pouvaient pas la laisser mourir :
« Marie est maudite depuis sa naissance. »
Lucien regarda avec plus d'attention les poignets de la jeune fille. Une tâche noirâtre était sur l'un d'eux. Il posa sa main dessus :
« Une malédiction puissante. Contre ça je ne peux rien.
- Je le sais bien... C'est pour cela que ce Néfette est resté si longtemps auprès d'elle. »
Elle désigna le chat noir qui s'étira avec élégance. Il s'assit et fixa les deux nouveaux arrivants de ses yeux verts. Il possédait deux queues qui battaient l'air à un rythme lent et régulier :
« Tu es venu m'éliminer ? »
Lucien hocha la tête :
« T'a-t-elle seulement dit pourquoi je suis auprès de sa fille ? T'a-t-elle seulement raconté la malédiction qui pèse sur cette pauvre enfant ? »
Dame Ill'térime détourna la tête, confuse. Le chat reprit :
« Toi, mère, espères-tu la rendre heureuse ainsi ? Es-tu prête à la condamner à cette vie-là. Juges-tu cela « bien » ?
- Cesse »
Dame Il'térime le regarda, suppliante, les larmes aux yeux. Elle n'avait pourtant pas hausser le ton. Sa voix était presque inaudible. Elle était douloureuse à entendre :
« Cesse... C'est ma fille... »
Lucien observait cet échange, réalisant par là-même que Dame Ill'térime était loin de lui avoir tout dit. Pendant ce dialogue, le souffle de Marie s'était accéléré. Lucien concentra son pouvoir et put voir le lien qui unissait la jeune fille au Néfette. L'énergie vitale de Marie s'écoulait avec une rapidité inquiétante vers la créature :
« Tu es en train de la vider de toute son énergie. Tu ne devrais même plus te matérialiser si tu tiens ne serait-ce qu'un tant soit peu à sa vie, Néfette. »
Le chat se tourna vers Lucien. Son attitude fière fit place à une attitude coupable. Il disparut sans plus un mot. Le souffle de Marie devint plus paisible. Le lien n'avait pour autant pas cessé et le Néfette commença à s'exprimer directement dans l'esprit de Lucien :
« Tu ne sais rien d'elle...
- Je sais juste que tu es en train de la tuer. Elle n'a plus assez d'énergie pour supporter ta présence.
- Je le sais... Mais je ne peux pas la quitter avant qu'elle ne meurt.
- C'est pour cela que je suis ici...
- Tu vas m'assassiner pour qu'elle vive.
- Je vais couper le lien.
- Tu sais que je n'y survivrai pas.
- Ce n'est qu'une enfant.
- Une enfant maudite que je veux protéger.
- Alors laisse-moi rompre le lien.
- Tu ne comprends pas... Regarde. »
Un flot d'images envahit alors l'esprit de Lucien.
Il était dans une chambre dont les couleurs et le luxe lui rappelait celle de Marie. Un lit à baldaquins y trônait. Un rayon de soleil pénétrait pas la fenêtre ouverte. Au loin, le chant d'un oiseau se faisait entendre. La pièce sentait l'ambre. Une odeur chargée et pourtant agréable. Des pas précipités résonnèrent alors. La porte s'ouvrit avec fracas. Lucien reconnut Dame Ill'térime dans les bras d'un jeune homme. Elle était sur le point d'accoucher.
Lucien se tourna vers le Néfette sans plus attendre. Il était prés à protester : un homme n'assiste jamais à un accouchement.
Assis sur une commode, le chat le toisait du regard. Il se mit à lécher paisiblement ses pattes puis à nettoyer consciencieusement avec celles-ci ses oreilles. C'était un défi.
On allongea Dame Ill'térime sur le lit. Trois femmes pénétrèrent dans la chambre avec bassine d'eau et linges. L'une d'entre elles, plus âgée, fit signe au mari de Dame Ill'térime de quitter la pièce. Le jeune homme n'arrivait pas à lâcher la main de son épouse. Il écartait tendrement ses cheveux blonds et baiser son front :
« Vas-tu détourner le regard, Néfits ? »
Le chat s'étira souplement et vint se frotter aux jambes de Lucien dans une attitude narquoise :
« Un stratagème bien peu digne de ton espèce, Néfette.
- Tu trouves ?
- Désires-tu vraiment protéger cette enfant ?»
Le félin fixa Lucien. Un regard qui n'admettait aucun compromis :
« Tout ce que je fais, c'est pour elle et seulement pour elle. C'est à sa naissance que tout a commencé, Néfits. Une malédiction telle que même moi, je n'ai pu que l'atténuer temporairement. »
La voix du Néfette avait changé : il ne jouait plus. Ce n'était pas un stratagème. Ce n'était pas juste pour gêner Lucien, ni même pour le faire fuir. Alors, le Néfits n'hésita plus. Il se dirigea vers l'un des fauteuils de la pièce et s'assit. Le chat grimpa sur ses genoux et s'allongea de tout son long :
« Rappelle toi, tout ce que tu verras s'est déjà déroulé. Il est inutile de vouloir agir. »