Tac.
Tac tac tac.
Ils résonnaient dans la pièce. Son familier. Tac tac. Comme la musique. Elle les avait découverts dans la petite boutique au bout de la rue. Il pleuvait, ce jour-là. Ploc, ploc. Et puis après, ploc ploc ploc. Elle avait franchi la petite porte, murmuré bonjour au petit monsieur bedonnant derrière le comptoir.
Elle avait sillonné entre les rayonnages. Feuilleté quelques grimoires, trituré quelques étoffes. Elle avait essayé des manteaux trop grands sur son corps trop petit, s’était regardée dans le miroir. S’était perdue entre les tasses et les décorations. Et puis elle était retournée près des grimoires, avait déniché une liasse de lettres gribouillées. L’écriture était maladroite, certains mots s’effaçaient à moitié.
Et puis, alors que la pluie martelait la vitre, que les ploc s’étaient noyés dans d’autres ploc pour n’être plus que tintamarre, le petit monsieur bedonnant s’approcha.
– Sale temps, hein.
– Oui, Monsieur.
Voix bourrue contre voix fluette. Grand-père et fillette.
– Vous aimez les livres, hein. Z’avez raison. V’nez, ma p’tite, hein, j’vais vous montrer quequ’chose.
Il déplaça quelques piles de bouquins, dépoussiéra une vieille boîte. Ouvrit ladite boîte sous les yeux curieux de la femme. Il y avait des touches. Sur chacune, une lettre. Touche blanche, lettre noire. Touche noire, lettre blanche. Il y avait une barre, aussi. Et sur la barre, une feuille. Avec des lettres imprimées dessus.
Des lettres, qui formaient des mots.
Des mots, qui formaient des phrases.
Des phrases, qui formaient… Elle ne savait pas. La feuille n’était pas remplie, le dernier mot n’était même pas achevé. « Arim… » quelque chose.
– Voilà, ma p’tite. Piano littéraire, qu’ils appellent ça. Enfin, qu’une machine de plus, hein. Celle-là, elle vous aide à écrire. Haha ! J’vous en fais cadeau, si vous achetez quequ’chose d’autre. D’toute façon, personne n’en veut, hein. Alors moi, j’vous en fait cadeau.
Elle approcha délicatement un doigt. Tac. C’était le premier.
La pluie s’est tarie, ploc, ploc. Elle a pris la liasse de lettres gribouillées. Écriture maladroite, mots s’effaçant à moitié. Et elle a pris le piano littéraire. Le monsieur lui a expliqué comment changer la feuille et l’encre, à grand renfort de « hein » et de « ma p’tite ».
Elle était rentrée chez elle. Avait vidé une pièce, un peu au hasard. Il n’y resta qu’une table. Et sur la table, une pile de feuilles, des cartouches d’encre. Et le piano littéraire.
Elle avait commencé par changer la feuille. Après, elle avait écrit. D’abord, une lettre. Tac. Puis un mot. Tac tac tac tac. Et des phrases. Tac tac tac vingt-sept fois. Elle comprenait pourquoi ils appelaient ça piano littéraire. C’était comme de la musique.
Elle s’est vite habituée aux tac. Elle les enchaîne de plus en plus vite, maintenant. Tac tac tac tac tac tac. La pile de papier s’amenuise, les cartouches d’encre disparaissent. Et le piano littéraire crache, crache des feuilles.
Tac.
Tac, tac, tac.