Il y avait des chiffres partout. Ils avaient débordé de ma feuille pour s’étaler sur la table, sous le tapis, au plafond. Dans ma tête. J’avais accepté leur arrivée, je leur avais même ouvert la porte. Mais les nombres avaient envahi le moindre atome de ma vie.
Ils n’étaient pourtant pas arrivés là par hasard…
Au début, je les trouvais utiles. Je les assemblais, je les séparais, ils étaient à ma merci. Je jouais avec eux comme d’autres jouaient à la poupée. Ils étaient mes amis, toujours fidèles. Toujours là, toujours eux-mêmes. Eux ne changent jamais, dans ce monde qui tourbillonne trop vite.
J’ai délaissé les humains pour ne rester plus qu’avec mes chiffres. C’était mon quotidien, je ne me posais pas de question. Voir mes congénères me paraissait trop futile, trop risqué. Trop dangereux. Et puis un jour, j’ai oublié qui j’étais, j’ai oublié jusqu’à mon nom. Ça n’avait pas d’importance, puisque j’avais mes nombres.
Ils étaient mon univers.
Plus je jouais, plus les règles du jeu devenaient complexes. Mais j’aimais tellement vivre avec eux, que je n’y ai pas pris garde.
Et un jour, j’ai perdu le contrôle.
Ils ont débordé de ma feuille pour s’étaler sur la table, sous le tapis, au plafond. Les huits se moquaient des zéros devenus trop gros, les uns se serraient dans la boîte de spaghettis, les six faisaient le poirier sous les regards admiratifs des neufs.
C’est le désordre.
Je ne maîtrise plus rien. Et c’est là, dans ce chaos immense, que j’ai compris. Je n’avais jamais vraiment contrôlé ma vie.
Depuis le début, la partie est déjà perdue.
J'ai l'honneur de poster le premier commentaire sur ce très joli texte !
Déjà félicitations car tu nous mènes tout du long dans une réflexion simple mais bien structurée (malgré une originalité indéniable). J'aime bien comment tu utilises les nombres comme une valeur représentant l'ordre, la notion de contrôle. C'est très juste et la fin n'en est que plus percutante.
Petite piste d'amélioration : à la place d'utiliser systématiquement l'imparfait, envisage de parsemer quelques présents de narration dans ton texte. Ça te permet de donner un tout autre sens à ta phrase, lui donner une valeur de généralité notamment.
Exemple 1 :
« Au début, je les trouvais utiles. Je les assemblais, je les séparais, ils étaient à ma merci. Je jouais avec eux comme d’autres jouaient à la poupée. Ils étaient mes amis, toujours fidèles. Toujours là, toujours eux-mêmes. Eux ne [changent] jamais, dans ce monde qui [tourbillonne] trop vite. »
=> Comprends-tu la différence/nuance de signification ? Tu gardes ta narration à l'imparfait et tu ajoutes quelques présents de narration pour changer radicalement le sens de ton paragraphe.
Exemple 2 :
« Depuis le début, la partie était déjà perdue. » => « Depuis le début, la partie est déjà perdue. »
À toi de voir ce que tu préfères mais je trouve qu'ajouter ce présent de narration ajoute un impact d'autant plus fort à la lecture.
Just for you (une explication de ce temps) : « https://www.kartable.fr/ressources/francais/cours/les-valeurs-du-present-de-lindicatif/15837 »
Voilà voilà, c'est toujours un plaisir de te lire et j'espère que ça t'aidera !
À une prochaine,
Philippe :)
Déjà, désolée pour ma réponse un peu tardive ':D La vie va bien trop vite, parfois !
Un immense merci pour ton retour super constructif !
Tu as entièrement raison, pour ces présents de narration. On les a vus à l'école, encore, et encore... Mais je devrais plus les utiliser dans mes textes, de manière générale, je pense =)
J'ai changé, ainsi qu'à un ou deux autres endroits.
À la prochaine, j'espère <3
A.
Ça passe vraiment pas mal comme tu as fait. Tu as raison on nous en parle à l'école et au final on ne l'utilise que très peu... peut-être aussi parce que c'est moins naturel à utiliser ? Il m'a fallu un peu de temps pour y venir personnellement mais c'est pour ça que j'aime d'autant plus le suggérer aux autres écrivains en herbe.
À la prochaine,
Phil :)