Le Planeur

À l’âge de 23 ans, étant descendue par anorexie à 36 kg, j’ai eu un déclic, j’ai voulu guérir. J’ai alors décidé de voir un médecin ouvert d’esprit, prenant en compte l’âme autant que le corps physique.

Nous nous sommes installés sur son canapé, dans son cabinet situé dans sa maison et avons énormément discuté de ce qui ne va pas dans ma vie, de mon âme trop grande pour vivre pleinement dans ce corps si petit, ce fardeau qui m’emprisonne. Nous avons parlé de ma famille, de mon quotidien solitaire dans ma maison coupée du monde. 

Il m’a parlé du bouddhisme et du film Matrix, m’a incité à le visionner afin de découvrir ses messages cachés, notamment spirituels. À la fin, ce thérapeute a voulu m’hospitaliser, du à mon faible poids, j’ai refusé. Il m’a dit que selon les résultats de la prise de sang qu’il m’avait prescrite, il ne me laisserait pas le choix ; puis il m’a demandé de lui donner des nouvelles quant à mon projet anarchiste à venir la semaine qui suivait.

Le Plan A, ce projet anarchiste dans les montagnes du Sud de la France, dans lequel était prévue la création d’habitats alternatifs, un projet en accord avec nos principes libertaires, un lieu autonome en énergie, eau et nourriture. Nous étions trois : Bastien, mon ancien compagnon et moi, ainsi qu’Édouard, un ami de Bastien du double de mon âge et très jaloux de mon ex copain avec qui j’étais encore à l’époque. 

Auteur de plusieurs livres publiés en maison d’édition, Édouard était un grand fan de bouddhisme et du film Matrix, tout comme mon médecin. Rien à voir, mais il était au courant des dernières avancées quant à la soumission d’esclaves sexuelles : il m’a d’ailleurs raconté un détail, à ce sujet, qui m’a fait froid dans le dos.

Projet terminé plus tôt que prévu, je crois ainsi que la vie a choisi de me préserver. Cependant, juste avant que cela se termine, Édouard m’a lancé dans l’écriture ; devenant ainsi, en quelque sorte, mon professeur de littérature.

Puis, j’ai créé un petit réseau social avec l’aide de Bastien qui était calé en informatique. Et là, tout commença.

Des centaines de comptes se sont inscrits à l’ouverture du site, m’envoyant des liens et des images de jeunes femmes provenant de la mythologie, de séries, de films, de livres ou autre, de jeunes femmes qui se faisaient enlever, séquestrer, violer, tuer… Le plus souvent dans les montagnes du Sud de la France. 

Ces centaines de comptes m’ont également envoyé le plan d’une maison en construction, malheureusement, je ne me souviens plus où elle était située. Des comptes anonymes, avec une IP toujours différente, mais toujours une signature : la lettre « A », le surnom « Le Planeur », ou encore « Le Plan B » en référence au Plan A, mon projet anarchiste !

Malgré la perversité des menaces, A m’envoyait également, virtuellement, des fleurs symbolisant un amour caché et extrêmement fort. Il aimait m’envoyer des déclarations d’amour d’une intensité aussi forte que ses menaces.

A aimait m’appeler par le prénom Alice, il aimait m’envoyer des photos de la série Pretty Little Liars et tout particulièrement des photos d’Aria. Aria, ce personnage créé en référence à Alice Liddell, la jeune fille qui a inspiré le conte Alice au Pays des Merveilles. Alice comme Aria, avaient toutes les deux un professeur de français du double de leur âge, avec lequel elles ont entretenu un rapport étrange. 

A se voyait tel que Lewis Carroll, l’écrivain d’Alice au Pays des Merveilles qui, à l’écriture du conte, a entretenu un rapport ambigu avec la très jeune Alice Liddell. A, de la série, se voyait tel que le professeur de français d’Aria, personnages créés en rapport avec l’écrivain Lewis Carroll. A utilisait ainsi ma relation avec Édouard pour m’atteindre. Il se servait de notre différence d’âge, de notre lien élève à fleur de peau et spirituelle / écrivain et professeur de français entretenant un rapport assez spécial avec sa jeune élève.

Il ne me faut pas oublier qu’en plus d’écrire, A est franc-maçon, tout comme Lewis. Son but, écrit noir sur blanc, après des centaines de menaces à déchiffrer et décoder, est de me faire devenir son esclave sexuelle qu’il aurait enlevée et séquestrée. Esclave qu’il prêterait avec plaisir à ses amis FM.

Puis, environ six mois après le commencement des menaces, A s’est également connecté sur les différents réseaux où j’étais inscrite, des réseaux de littérature, des galeries d’art où j’exposais mes quelques peintures sur toile… Sous des centaines de comptes encore, mais cette fois avec, le plus souvent, une approche bien plus douce, emplie d’amour le plus fou pour ma personne. 

Combien de déclarations ai-je reçu, avec la même intensité que les menaces de mort envoyées pour Bastien ou moi-même. Mais toujours, lorsque je ne répondais pas aux messages, A ne tardait pas à me faire parvenir des menaces de mort et d’enlèvement !

Il était l’amour et la haine mélangés ; comme il aimait l’écrire lui-même, cette haine qu’il ressentait lorsque je l’ignorais. La perversité de cet homme qui se faisait appeler le Planeur me terrifiait, mais, avec le temps, a également fini par me fasciner. J’ai alors cédé, et j’ai commencé à entretenir une relation épistolaire avec lui. 

Nous nous parlions alors régulièrement, sur le site de littérature. Il dégageait par ses mots une emprise sur moi, des mots emplis également de fascination envers moi. Ce n’était pas réciproque. Il me parlait également du bouddhisme, du film Matrix ; il était un fan absolu, tout comme mon ancien médecin. Il faisait aussi beaucoup allusion à Charles Baudelaire, un des écrivains favoris d’Édouard.

Cette relation épistolaire a dû durer deux ans. Son emprise perverse nous liait. Puis, n’arrivant à obtenir aucune foutue information personnelle sur cet homme, j’ai cessé tout contact avec lui : je l’ai rejeté violemment. Également, car il avait fini par me refaire extrêmement peur, quand j’ai pris conscience de l’intensité de cette relation malsaine. 

Il l’a bien évidemment très mal vécu et, comme toutes les fois où je l’ai ignoré, il s’est alors remis à me menacer. Quelques menaces où il me comparait à une proie, sur le site de littérature, puis il est passé sur un autre site, un réseau social que tout le monde connaît très bien où il a créé, encore, des tas de comptes, pour m’atteindre.

Puis je me suis mise en couple avec Édouard, mais je ne l’aimais pas. Le Planeur nous a séparés, Bastien et moi, car il était extrêmement jaloux de celui qui partageait ma vie. Je voyais alors Édouard tel un sauveur, il m’apportait une sensation de liberté de par son côté anarchiste, bien qu’en réalité, j’étais enchaînée et complètement aimantée par lui. Je me suis détruite durant ces quelques mois de relation, à perdre conscience tous les soirs, dû à une consommation plus qu’excessive d’alcool. 

Je me suis alors mise à écrire sérieusement. J’ai commencé un récit, Ma vie d’esclave sexuelle, en secret, un texte inspiré des envies du Planeur. J’avais besoin d’extérioriser, de me libérer de cette peur qu’il m’imposait chaque jour où il était mal luné. J’extériorisais par l’écrit, j’avais besoin d’un exutoire, n’arrivant à en parler à personne d’autre qu’à Bastien, témoin de cette histoire et lui-même victime car ayant également reçu des menaces de mort. 

Durant ce temps, le Planeur me harcelait toujours, mais passait maintenant par tous les autres réseaux, puisque j’avais fermé le site que j’avais eu plaisir à créer, afin que ce harcèlement s’arrête. Il passait alors par les sites où je publiais mes peintures, par ce fameux réseau social très connu, parfois par le site de littérature… Il en était arrivé à m’espionner totalement. 

Je ne pouvais plus sortir de chez moi sans que, en rentrant, il ne me laisse un message me faisant comprendre qu’il savait où je m’étais rendue ! Pourtant, je n’écrivais pas ma vie sur les réseaux, j’étais bien trop réservée et prudente quant à ce qui se passait. Je pense que, d’une manière ou d’une, A a su installer un logiciel espion sur mon ordinateur, voire mon téléphone.

Puis un jour, bien après avoir bouclé l’écriture de Ma vie d’esclave sexuelle, je l’ai envoyé à une maison d’édition qui l’a accepté ! Ce livre a donc été publié à compte d’éditeur, en papier, ainsi qu’en version ebook, et là les envies du Planeur se sont démultipliées. Il voulait faire de moi, à tout prix, son esclave sexuelle bien docile, qu’il prêterait à ses amis franc-maçons devant ses yeux, une esclave dressée à obéir sans son consentement. Bien sûr, une esclave qu’il aurait enlevée et séquestrée.

Jusqu’à un soir où, à mes 26 ans, il m’a écrit, noir sur blanc, que nous nous rencontrerions… le lendemain.

J’avais donné rendez-vous, un soir, assez tard par téléphone, ordinateur éteint, à un copain auteur à la cathédrale de Chartres. Le lendemain matin, le Planeur me montrait une photo d’un vitrail de cathédrale, et me faisait parvenir une chanson dans laquelle une bande de tueurs se confronte à un homme qui fréquente une femme, la chanson se terminant lorsqu’ensemble, ils tuent cette femme !

J’ai donc pris mon courage à deux mains et ai été à la gendarmerie. Ils m’ont presque rigolé au nez, m’ont incité à aller voir un docteur afin qu’il me prescrive des calmants. Ils m’ont aussi dit bêtement « mais bloquez-le et ce sera fini », sauf que le bloquer ne servait à rien, car le Planeur, surnom qu’il s’était donné, faisait tout pour ne laisser le moins de trace possible : il utilisait mille pseudos différents, avec des IP toujours différentes, mais toujours : sa signature.

Aujourd’hui, après deux années de tranquillité, il est revenu. Il m’a écrit être devenu « un vrai Maître ». Il est toujours dans son délire d’esclavagisme sexuel non consenti.

Je me suis inscrite sur l’un des plus gros réseaux sociaux du monde spécialisé sur un sujet et, deux heures après, il me contactait, sur un autre réseau social où j’étais inscrite sous un pseudonyme et sans photo, me demandant si j’étais inscrite sur le réseau spécialisé. 

Il m’a contacté trois fois en une semaine, sur mes trois comptes différents, sous mes pseudonymes différents, sur deux sites différents. Il m’a envoyé deux photos de lui, j’imagine qu’il y a inséré un virus pour avoir accès à mon nouvel ordinateur, comme il avait accès à mon ancien. Il m’a d’ailleurs avoué, il y a quelques années, qu’il « était accro à moi, qu’il sniffait toutes mes données » pour le citer.

Quel est le lien entre le thérapeute que je n’ai vu qu’une fois, Édouard et le Planeur ? Ils ont tous des points communs : une passion perverse pour les esclaves sexuelles, un intérêt pour le bouddhisme, pour le film Matrix et ses secrets en lien avec la spiritualité, pour Baudelaire et les plus grands poètes, pour Anibal (je ne vous en ai pas parlé jusqu’à présent, mais Édouard se faisait parfois appeler Anibal : pas le tueur, mais la série soft et il arrivait que A utilise ce surnom comme signature, bien qu’au fond, je n’ai toujours pas compris pourquoi réellement « Anibal »).

Puis leur point commun des montagnes du Sud de la France, des roses rouges en tant que symbole pervers, le fait qu’ils ont plus ou moins le même âge, se sont tous sentis plus ou moins professeur de français avec moi, qu’ils ont tous cette passion commune pour Alice au Pays de Merveilles, sont tous anarchistes et avec tous, je me suis sentie totalement "connectée" à un moment ou à un autre. 

Aussi, le Planeur s’est montré en visio, après m’avoir envoyé une photo de mon thérapeute. Il s’agissait d’un inconnu.

Édouard m’a toujours dit qu’il n’était pas le Planeur. Pourtant, quand j’ai vécu quelques mois avec lui, alors que j’allais dormir un soir, je suis allée dans notre chambre. Puis je me suis rendu compte que j’avais oublié quelque chose au salon. J’y suis donc retournée. 

Édouard était sur son ordinateur, il m’a fait une tête ! Un regard noir ! Glaçant. Il ne voulait apparemment pas que je voie ce qu’il faisait. Je me suis quand même approchée et j’ai regardé l’écran : écran d’accueil. Je suis retournée au lit et, deux minutes plus tard, j’ai reçu un message du Planeur me disant que je lui manque. Le Planeur m’a également réécrit dans les jours qui ont suivi, lorsque Édouard n’avait pas accès à Internet (sur un site où les messages en différé ne sont pas possibles).

Finalement, je pense qu’ils étaient plusieurs à jouer de leur perversité.

Quelques jours avant mes 30 ans, je suis donc retournée à la gendarmerie avec un petit dossier sur le Planeur, quelques captures d’écrans, des photos qu’il m’avait envoyées, des lieux où il avait soit disant habité.

Je doute que cela suffise pour arrêter ce harcèlement, ces menaces, mais s’il m’arrivait quelque chose, les gendarmes sauraient vers qui se tourner…

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