Replacer ce livre qui n’est pas très droit, déplacer cette chaise hors du chemin. Mince, elle a oublié d’ouvrir la porte arrière. Voilà le chat qui rentre, la queue levée, les moustaches dressées. Il se frotte contre ses jambes, elle le caresse dans le cou, puis il s’en va, satisfait, s’étaler sur un coussin au bord de la fenêtre. Alors qu’elle s’en va se servir un verre d’eau, un mouvement attire son attention : ce n’est que son reflet dans le miroir, coincé entre deux bibliothèques pleines à craquer.
Son corps maigre lui déplait. Ses cheveux fins et lisses lui déplaisent. Ce débardeur jaune qu’elle porte et cette jupe d’un bleu délavé lui déplaisent. Tout chez elle lui déplaît. Elle se regarde droit dans les yeux. Finalement, elle n’est pas si laide. Ses yeux sont plutôt beaux. Ils brillent d’un éclat jaune au soleil. Et ses cheveux filasse ont de jolis reflets roux. Et quand bien même son corps est fin, il est légèrement sculpté par les quelques heures de sport qu’elle fait de temps en temps. Pourtant, elle n’arrive pas à s’en convaincre. Son regard, si bienveillant sur les autres, devient aussi acéré que la serre d’une buse lorsqu’il se pose sur ce qu’elle a de plus intime : elle-même.
Elle ferme ses yeux, son visage se contracte dans un rictus indescriptible. Est-ce du dégoût ou de la colère ? Sûrement un mélange. Elle se détourne, replace un livre sur une étagère, essaie d’oublier ce regard. Et pourtant, il est toujours là, dardant sur elle ses yeux tantôt curieux, tantôt haineux.