Le retour de Jean-Luc Pigeon

33. Le retour de Jean-Luc Pigeon
(By FdB de nouveau)

J’ai ramené Chibi Clodo chez moi... enfin quand je dis chez moi, ça veut dire chez ma mère en ce moment. J’étais passé dans mon appart récupérer quelques affaires il y a quelques temps, et j’avais retrouvé tout l’intérieur saccagé. Ma télé, mon canapé, mes machines de muscu... tout était pété.  Souvenir de Grenade ou de Litchi, j’imagine. Ça ne m’avait rien fait : je l’avais bien mérité, et en plus ça me faisait une excuse pour rester un peu chez maman. Je sais, je sais, je suis un grand bébé... mais putain j’étais pas en état de rester seul.

J’ai repensé malgré moi à Kiwi en taule. J’espère qu’il arrive à dormir.

- Voilà Chibi Kiwi, on est arrivés... C’est l’appart de ma mère alors salope pas tout steuplé.

- T’habites avec ta mère ?

Je sentais venir le rire de hyène et le “à ton âge, t’as pas honte ?” comme pour le permis de conduire, mais Chibi n’a ajouté qu’un rêveur :

- T’as de la chance.

Il devait pas être en forme.

- Tu veux prendre une douche ?

- Je peux manger d’abord ?

J’ai reniflé. Ma mère allait pas être contente quand elle saurait que j’avais ramené à la maison un clodo qui sentait le chien mouillé.

- Nan prend d’abord ta douche, ça te réchauffera.

Je suis prévenant, n’est-ce pas ? Chibi Kiwi m’a obéi sans discuter, en voilà un clone bien éduqué. Je lui ai montré la salle de bains puis je suis allé dans la cuisine fouiller les placards à la recherche d’un nourricube. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir lui raconter ? Je peux pas lui dire que Kiwi était en taule par ma faute, si ? Ou alors je mettais tout sur le dos de l’infâme Champignon ?

- FdB j’ai besoin de fringues ! Les miens sont trop dégueus je vais les mettre à la poubelle !

Le copier/coller me donne des ordres en plus ? En même temps je voulais pas qu’il s’assoie sur le canapé de maman avec ses loques de SDF. Je suis allé lui dénicher des sapes à moi. Ça me faisait bizarre de me faire appeler “FdB” de nouveau. Ça me rendait triste et ému. Chibi Kiwi est sorti de la salle de bains et ça m’a fait un coup au cœur de le voir dans mon vieux sweat en moumoute. Le vrai Kiwi kiffait me piquer mes fringues, avant, et moi j’adorais le voir englouti dans mes sapes et mon odeur. Et là, à la place j’avais son clone, presque pareil et tellement différent.

Il s’est jeté de tout son long sur le canapé comme s’il était chez lui, et en hôte respectable je lui ai apporté un verre d’eau et un nourricube. Saveur crevette pour la crevette ! Et pour moi une bonne bière. Le truc cool avec Chibi Kiwi c’est qu’il est beaucoup trop inculte pour me dire de ne pas mélanger de l’alcool avec des anxiolytiques.

Tout en déballant son nourricube et en commençant à le grignoter, il m’a raconté où il était passé depuis la chute de Kartrouville Ex :

Il était à la manif aux pieds de la tour Santorga, avec Avocat et deux trois autres de la branche pacifique, quand Litchi a déboulé de nulle part, furax, apparemment blessée et décidée à plomber l’ambiance. Elle avait l’avait chopé par la peau des fesses et elle l’avait éloigné d’Avocat à qui elle avait sifflé :

-  Préviens les autres, on applique le plan d’urgence. Dispersez-vous.

- Qu’est-ce que... avait bredouillé Avocat.

- A TON AVIS ? avait crié Litchi à bout de nerfs.

Puis, plus calme :

- Il faut faire vite, Avocat. Passe l’info à tout le monde. Plan d’urgence, immédiatement. Chibi, avec moi.

Et elle avait entrainé Chibi à travers la foule sans qu’il ait pu dire au revoir. Elle était restée sourde à toutes ses questions. Elle l’a conduit à la voiture, ou attendaient Grenade et Noisette. Ils ont démarré immédiatement.

- Ils sont où Kiwi et FdB ? avait demandé le clone.

Il a fallu qu’il répète deux ou trois fois avant que Noisette ne brise le silence de mort.

- Chibi... ça ne s’est pas passé comme prévu.

- Ça veut dire quoi ? On va où ? Ils sont... ils sont morts ?

- Mais non ils sont pas morts, a sifflé Litchi sèchement.

Elle était à l’arrière avec Grenade qui essayait de lui remettre son épaule en place.

- Alors ou ils sont ? Ils se sont fait attraper ?

Silence.

- On va pas partir sans eux quand même ! On peut aller les chercher ! On a des armes, on est des terroristes ! On fait tout sauter et on les récupère ! Qu’est-ce qu’on attend ?

Il a eu beau protester, Noisette n’a pas ralenti l’allure.

- On peut pas les abandonner ! Kiwi est le leader ! On va devenir quoi sans lui ?

Rien n’y a fait.

- Laissez-moi descendre ! Je vais le chercher si vous avez pas le courage !

Noisette a activé le verrouillage auto de la portière avant. Chibi a continué d’insister jusqu’à ce que Grenade se mette à lui crier dessus, et là il n’a plus osé moufter. Ils ont roulé dans un silence hostile jusqu’à Roissy, aéroport.

Ils sont sortis de la voiture, et alors qu’ils s’apprêtaient à cavaler jusqu’à l’ascenseur du parking, Grenade est resté immobile.

- Foncez, a-t-il dit. Moi je reste.

Chibi Kiwi a pleurniché comme quoi il voulait rester aussi, mais tout le monde l’a ignoré.

- Je comprends, a fait sombrement Licthi. Sois prudent.

- Vous aussi. Chibi, sois sage d’accord ? On va tout arranger.

Ils ont tous fait leur câlin à Grenade bien que Chibi lui fasse un peu la gueule. Puis direction la salle d’embarquement d’un prochain vol pour la Hongrie. Les billets avaient été réservés à l’avance au cas où les choses tourneraient mal. Il y en avait pour Litchi, Noisette, Grenade, Kiwi et moi. Les faux papiers d’identité de Kiwi ont permis à son clone de passer tous les contrôles.

- On s’est retrouvés à Budapest, continuait de me raconter Chibi. D’abord on s’est installés à l’hôtel, Litchi et Noisette ne voulaient pas me dire ce qui s’était passé. Je pensais que Kiwi, Grenade et toi alliez bientôt nous rejoindre, mais je trouvais ça bizarre qu’on me dise rien. Puis quand Litchi et Noisette ont commencé à chercher un vrai logement et un permis de travail j’ai compris que je saurais jamais rien si je restais là. Alors j’ai piqué leur voiture, je l’ai dépucée comme Noisette m’a appris et je suis revenu ici.

- T’as conduit de la Hongrie jusqu’ici ? Mais tu sais à peine conduire !

- Nan nan nan, c’est toi qui sait pas conduire ! Prends pas ton cas pour une généralité !

J’allais m’offusquer et le virer de chez ma mère, mais il s’était mis à rire, avec son air crevé, et il riait comme le vrai Kiwi. J’ai laissé couler.

- Il y a au moins cinq frontières !

- Trois.

J’aurais pas dû laisser couler finalement. Maintenant il se prend pour plus malin que moi.

- C’était le pire ça, les frontières, ça durait des heures à chaque fois, pour entrer en Allemagne j'ai passé la nuit dans la voiture. Avec les faux papiers de Kiwi j’ai quand même pu traverser, mais ouaaah, c’était trop galère.

Avant on avait ce truc qui s’appelait Schengen, ça nous donnait le droit de nous balader n’importe où en Europe avec seulement une carte d’identité. Mais l’Europe a éclaté pendant les années FN et on a perdu cet avantage, pile quand j’avais l’âge d’en profiter.

Chibi Kiwi avait mis six jours pour rentrer à Paris. Il avait été coincé aux frontières, s’était paumé un millier de fois, était tombé en panne d’essence et aussi en panne de téléphone et donc de GPS, il avait enchainé toutes les emmerdes, il mériterait son propre spin off. J’en revenais pas qu’il ait réussi à faire tout ce chemin tout seul du haut de ses 26-mais-11 ans.

- 27, à grogné Chibi. L’anniversaire de Kiwi était lundi dernier, donc j’ai 27-mais-11 maintenant.

Ah bon c’était l’anniversaire de Kiwi ? J'ai pas su quoi dire. J'aurais pu lui faire un chouette cadeau, je sais pas ce que je lui aurais pris. Peut-être une peluche à la con comme son Chien-Patate. Ou un tapis de course pour qu’il apprenne à courir une fois pour toutes... c’était fini maintenant.

- Je t’ai tout raconté, a conclu Chibi. Je suis enfin arrivé ici mais tout le monde avait disparu.  J’ai vu à la télé là où j’attendais pour ma pizza que Kiwi avait été arrêté. J’ai pas retrouvé Grenade et je savais pas ce que t’étais devenu. Je savais pas quoi faire alors je suis allé à Santorga Cergy, je me suis dit que j’allais kidnapper leur leader et le rendre qu’en échange de Kiwi. Je faisais du repérage pour trouver un plan, quand je t’ai vu sortir de l’immeuble. Alors je me suis rappelé que ton mec travaillait là-bas.

De quoi ? Ah oui, ce cher Plan-Cul qui récurait les chiottes. Pas de panique.

- … Donc je me suis dit que toi aussi tu cherchais un plan pour kidnapper le leader, et t’essayais de t’infiltrer chez Santorga comme un genre d’espion, et que peut être on pourrait rallier ton mec à notre cause, vu qu’il bosse dans la tour il sera utile.

Kartrouville Ex all over again. Je ne veux plus jamais entendre le mot espion de ma vie. Je ne veux plus jamais faire ça. On a bien vu ce que ça a donné, je suis nul à ce genre de jeu. Je suis le pire.

- Désolé Chibi mais je suis plus avec lui. Et j’ai aucun plan.

Il a eu l’air un peu interloqué, puis à ma grande surprise, il m’a souri. Il m’a dit d’une voix tellement adulte que ça m’a tout déstabilisé.

- T’inquiètes pas. A nous deux on en trouvera un.

C’était le vrai Kiwi tout craché. Encore un coup de couteau dans le cœur, heureusement mon nouveau meilleur ami le Tranxène m’avait désensibilisé. Chibi s’est penché en avant avec sérieux.

- Raconte-moi-tout maintenant. Sois pas comme Litchi et Noisette, je suis pas un gosse, je n’ai pas 11 ans, j’en ai 27. Est-ce que Kiwi s’est fait arrêter ? Comment tu t’en es sorti ? Où sont tout le monde ? Et les 12000 clones ?

Je lui ai tout raconté. Enfin, bien sûr, la réaction en chaine des mensonges ne s’arrêtant jamais vraiment, je lui en ai bidouillé un petit dernier pour rester sur les rails : Champignon nous avait tous trahi en activant un brouilleur IEM. Litchiasse avait fui comme une connasse à la première occasion (pardon Litchi). J’étais resté pour aider Kiwi jusqu’à la dernière seconde mais je n’ai rien pu faire. Alors que notre leader était encerclé par les CRS, Plan-Cul était arrivé avec sa brosse à chiottes et m’avait aidé à disparaitre en me cachant sous son chariot a ménage. On avait rompu parce que je lui en voulais de ne pas avoir sauvé Kiwi plutôt que moi.

C’était le mensonge le plus bancal que j’ai jamais inventé, heureusement que mon interlocuteur était Chibi Kiwi, j’avais pas affaire au roi de la perspicacité.

Après ça, je ne lui ai dit que la vérité : Kiwi en prison, Grenade évaporé dans la nature, papy et mamie en taule, 35 de nos 40 clones retrouvés et réendormis de force. Un déces. Il m’a écouté, le visage grave.

- Faut qu’on fasse quelque chose FdB.

- Je sais.

- Faut qu’on les sorte tous de là, Kiwi le premier.

- Ouais.

En vrai j’y crois pas. Il est sous haute surveillance, qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Ce serait plus facile de kidnapper mon patron comme le voudrait Chibi, mais hors de question que je fasse ça ! Quoique... pour me racheter...

Ma mère est rentrée à ce moment-là :

- Coucou mon Totorou... Oh tu as un invité ?

Ça devait être la première fois que je ramenais quelqu’un chez ma mère depuis genre 10 ans.

- Ouais, c’est un pote a moi, il s’appelle... euh...

- Jean-Luc, a fait Chibi en se levant timidement. Bonjour Madame.

Ma mère lui a serré la main en le dévisageant. Est-ce qu’elle avait reconnu le visage de Liam Raleigh, le leader terroriste dont on parlait à la télé ? En tout cas elle n’a rien dit. Mal à l’aise, Chibi a ajouté :

- Pardon pour le dérangement. Totorou m’a dit que je pouvais dormir ici.

J’allais lui en coller une pour lui apprendre à se moquer du surnom honteux que me donne ma mère, mais j’ai capté son air perdu. C’est vrai que Chibi Kiwi ne connait ni mon vrai nom ni mon supposé vrai nom, Jean-Pierre Soumis. Si ça se trouve cet abruti croyait que je m’appelais vraiment Totorou. Ma mère a fait une drôle de tête, elle a dû penser qu’il se moquait d’elle.

- Il s’est fait larguer, j’ai expliqué. C’est pour ça qu’il dort ici, sa meuf l’a mis à la porte.

- Oh, a fait maman compatissante.

Je me suis dépêché de pousser Chibi dans ma chambre ou je lui ai installé un matelas par terre.

- Tu mens à ta mère ? s'est-il indigné.

- Bah et toi, Jean-Luc ?

- C’est pas vraiment un mensonge c’est le nom qui est sur mes papiers.

- C'est les papiers de Kiwi pas les tiens.

- C’est la même chose ! Je pouvais dire quoi ?

Il a continué à protester de sa bonne foi pendant que je lui sortais un coussin et des couvertures, puis je l’ai laissé. Il était trop crevé pour tenir toute la soirée, et je préférais qu’il reste le moins possible devant les yeux de ma mère.

- Jean-Luc ne mange pas avec nous ? m'a demandé celle-ci alors que je la rejoignais devant la télé avec un nourricube.

- Nan, il a mangé avant que t’arrives, il avait trop sommeil là.

- Il s’est fait mettre dehors par sa copine c’est ça ? Elle ne lui a même pas laissé le temps d’emmener quelques affaires ?

Bien sûr, elle avait remarqué que le clone portait mes fringues.

- Qu'est-ce que j’en sais, moi, j’ai râlé.

- Tu ne trouves pas qu’il ressemble au leader de Kartrouville Ex ?

Ma mère avait bien capté que je piquais des colères dès que Kiwi apparaissait à la télé. J’ai haussé les épaules :

- Ouais. Il a eu des problèmes à cause de ça. Mais on voit bien que c’est pas lui, il a des vrais bras et tout.

- Mmh.

Elle n’a plus rien dit. Elle se doute d’un truc c’est sûr. Il faudrait peut-être que je réinvestisse mon appart, moi. Comme ça je demanderai à Chibi Kiwi de me faire le nettoyage et les réparations en échange de mon hospitalité. Et si Grenade revient pour m’achever, quand il verra le clone il sera perturbé et ça me laissera le temps de réagir. Chibi Clodo sera mon assurance-vie.

Quand je suis allé me coucher, il dormait roulé en boule sur son matelas. Je me suis endormi en écoutant son souffle, c’était apaisant. Pour la première fois depuis ma trahison, j’ai réussi à m’endormir rapidement.

Et le revers de la médaille : au milieu de la nuit, par contre, un bruit m’a réveillé. J’ai écouté : Chibi Kiwi qui pleurait, en étouffant ses sanglots et ses hurlements dans l’oreiller.

J’avais déjà vu Kiwi pleurer, tout en retenue, à essuyer ses larmes avant qu’elles coulent, à rester silencieux en attendant de maitriser sa voix. Chibi pleurait d’une façon complètement différente, bruyamment, en se roulant par terre comme le gosse qu’il avait jamais été. Ils avaient la même manière de rire, pourtant.

Chibi Kiwi était resté impassible quand je lui avais dit que tous ses proches étaient en taule, que les clones avaient été capturés et le reste. J’avais pensé qu’il était vachement courageux. Mais en fait, il avait juste fait le fort, parce qu’il ne voulait pas que je le prenne pour un bébé. Comme si... pff. Comme s'il n’y avait que lui que cette histoire faisait chialer.

Qu’est-ce que je fais ? J’avais envie de le consoler mais... mais merde ! J'étais aussi triste que lui. Je me suis tourné contre le mur et j’ai mis un oreiller sur ma tête pour ne plus l’entendre.