Le riz

Par Kieren
Notes de l’auteur : Je dédie ce chapitre à Lea2002 pour son histoire "Le temps guérit les bleissures...ou pas !"
Désolé d'avoir mis autant de temps Lea, j'espère que tu te portes bien.

Il y a beaucoup de façons de cuisiner le riz. Personnellement je le mange avec un filet d'huile d'olive et une pointe de sel, rien d'autre. Simple certes, mais bon, et je n'en demande pas plus.

Parmi les souvenirs que je garde étant enfant, il y a cette image de sonotone dans un bocal à confiture noyé de riz. Il appartenait à mon grand-père, et celui-ci les égarait souvent dans des endroits improbables : dans les miches de pain, entre le matelas et sa housse, dans son verre d'eau, à la poubelle... Il nous arrivait souvent de devoir les sécher, tout en priant qu'ils aient résisté. Grand-père perdait la boule, mais s'il pouvait au moins nous entendre, ce n'était déjà pas si mal.

Ainsi, ce qui lui restait de contact social reposait sur une poignet de grains de riz blanc, blanc comme la neige.

 

En parlant de neige, c'est tout en haut d'une montagne en Grèce que j'ai sans doute retrouvé l'origine de cette graine. C'était en été, les fleurs et le Soleil réchauffaient mon cœur et mon âme, le vent me rafraîchissait le front et les insectes volaient autour de moi. Arrivé au sommet je profitais du panorama pour admirer la mer qui se dessinait à l'horizon. Il y avait un autel à côté de moi sur lequel reposait quelques offrandes, dont une lettre en papier blanc. Curieux je me mis à la lire. L'auteur avait une plume délicate, aussi majestueuse et profonde que l'encre noire utilisée.
Les larmes d'un spectre sur un lotus de lumière.

 

 

« Père,

 

Je vous porte cette lettre dans l'espoir de vous revoir un jour.

 

La tempête qui fait rage autour de moi m'indique que vous vous trouvez non loin d'ici, j'ai une entière confiance dans la responsabilité que vous portez à vos sujets, à mon grand damne puisque je n'en fais plus partie.

 

En ai-je fait part un jour d'ailleurs ?

 

J'en doute.

 

J'étais votre fille. Le peu de temps que vous m'avez accordé m'aura laissé une chaleur dans mon cœur qui ne s'éteindra jamais, malgré la froide tristesse que m'a apporté votre indifférence à mon égard durant ces nombreuses décennies.

 

Pourtant, je garde ces délicieuses images de vous me tenant la main dans vos nuages, au milieu de votre plage de grêle. Toutes ces perles de glace à perte de vue, dans lesquelles vous m'avez laissé vous ensevelir plus d'une fois, nos rires faisant écho à votre tonnerre. La Terre avait l'air si petite du haut de vos firmaments ; Mère la rendait si belle en faisant pousser cerisiers et oliviers.

 

Et déjà l'heure était écoulée, votre devoir vous appelait, Mère prenait le relais, vous regardant à peine.

 

Vous êtes vous reparler depuis mon mariage ? Vous aviez eu la délicatesse de ne pas venir avec votre maîtresse du moment, ni avec votre femme ; je l'avais apprécié. Mais le plus beau cadeau que vous m'avez fait, c'est de travailler avec Mère pour rendre vivantes vos perles de glaces, les transformer en graine d'une blancheur de velours.

 

Bien sûr, dans le royaume des morts, jamais elles n'auraient poussé, mais elles n'ont pas fondues non plus, même après tout ce temps. Je les cultive et les récolte au printemps et en été avec Mère, et grâce à cela, avec mon cher et tendre, nous nous prélassons sur un plage de grains de riz au bord du Styx de l'automne à l'hiver.

 

Je suis particulièrement contente qu'ils n'aient pas pris la teinte noire de ces eaux.

 

Qu'êtes vous devenu depuis tout ce temps ? La pluie continue de tomber et les orages continuent d'éclater, j'en conclu que vous n'êtes pas encore mort, dans le cas contraire je vous aurais déjà reçu. Je sais que vous ne m'en voulez pas particulièrement puisque vous infligez le même traitement à mes demi-frères et mes demi-sœurs. Certains vous cherchent encore, par amour ou par haine, d'autres vous ont oublié. Je peux le comprendre, mais je peux vous comprendre aussi : être roi d'autant de sujets n'est pas chose aisée. J'avais moi aussi la prétention de vouloir connaître tous les défunts qui passeraient dans ma vie.

 

En effet, il n'est pas possible d'inclure l'ensemble de l'humanité dans son cercle privé, il est difficile de se remémorer tant de visages, j'en oublie tellement, et pourtant je ne suis pas une mortelle. Je suis juste navrée de me dire que la prochaine fois que je vous verrai, ce sera sur le Styx, mais pas en la qualité d'un Dieu.


Il me reste tellement de choses à faire dans le monde du dessus, avec vous.

 

Ce qui reste vrai, c'est que malgré votre absence, je vous accueillerai avec plaisir sur la plage de riz blanc que j'ai installé grâce à vous trois. Je vous accueillerai avec plaisir, mais plus jamais je ne vous attendrai. Mon temps est précieux, lui aussi.

 

Perséphone »

 

 

Il n'est pas poli ni correct de s’immiscer dans la vie des autres, mais parfois nous en tirons des savoirs qui nous font grandir, et qui font grandir les personnes que l'on croise dans nos vies. Qu'elles le veuillent, ou pas.

 

Après tout, nous ne sommes que des humains.

 

 

La Mousse

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