Le Sable et la Glace

Une lumière blanche agressa les paupières d’Amray. Il battit plusieurs fois des paupières pour en chasser le sable. Au-dessus de lui, un ciel azuré s’étendait à perte de vue. 

Là, étendu sur le sol, une seule question lui traversa l’esprit.

Était-il mort ?

Amray se redressa péniblement, reprenant peu à peu contacte avec son corps engourdi. Autour de lui, tout était recouvert d’un drap blanc. Plus de dunes qui dessinaient de hauts reliefs dans une vallée dorée. À la place, de hautes montagnes couvertes d’arbres d’un vert profond traçaient les limites d’immenses plaines argentées. 

Il sentait une matière molle s’effriter entre ses doigts, et il découvrit avec stupeur que, pour la première fois de toute sa vie, il était en train de mourir de froid. Amray crut pendant un instant qu’il était bel et bien passé dans l’autre monde.

Un grognement bestial le tira de sa contemplation. Il tourna la tête, et la course de son sang se figea dans ses veines. À quelques mètres de lui, une bête absolument gigantesque se tenait debout sur ses pattes arrière. Elle agitait ses énormes griffes vers une petite boule de poils grise qui gisait à terre, toute tremblotante, tandis que le monstre au pelage blanc la menaçait avec son immense mâchoire. 

La terreur lui coupa le souffle. Amray n’avait jamais vu une telle créature dans le désert. Il balaya rapidement la scène du regard et vit la pointe d’une lance brisée luire dans l’éclat glacial du soleil. Il reporta ensuite de nouveau son attention sur la silhouette grise. 

Une longue chevelure noire, emmêlée comme des racines, dépassait de son pelage. Il avait fait fausse route. Ce n’était pas un animal.

C’était une Melanouk du Royaume des Glaces. 

Amray resta un instant pétrifié.  Il se retourna d’un geste brusque et vit une partie du désert au travers de l’immense mur magique. Comment avait-il pu se retrouver de l’autre côté de la frontière ? 

Les grognements de la bête redoublèrent, et il n’eut pas le temps d’y réfléchir. Amray fit de nouveau face à l’horrible scène. Il se leva d’un bond, prêt à détaler, mais une petite voix brisée par les larmes murmura dans son dos.

–  Pitié… Je ne veux pas mourir…

Ces quelques mots lui brisèrent le cœur. 

Elle est toujours en vie, songea-t-il avec un pincement. 

Amray observa l’ours lever son immense patte au-dessus de la tête de la jeune fille. Une lutte interne ébranla tout son être. Les Melanouk étaient les pires ennemis de son père et de son peuple. Il trahirait les siens s’il essayait de la sauver. 

Mais cette voix… 

Cette terreur si humaine face à la mort. Dans les contes de son pays, les Melanouk inspiraient crainte et effroi : ils chevauchaient des créatures monstrueuses et dévoraient les nouveau-nées à la pleine lune. Ces monstres n’étaient pas censés ressentir quoique ce soit ; ni peur, ni amour, ni tristesse. C’était des animaux, des bêtes brutales et assoiffés de sang.

Pourtant, cette Melanouk parlait la même langue que lui. Elle était là, dans le froid, effrayée, seule et blessée. Elle était loin de l’image du monstre sanguinaire qu’on lui avait tant décrit.

La jeune fille releva son visage trempé de sang et de larme vers Amray. 

– Pitié…  

Le cœur d’Amray fit un bond dans sa poitrine. Il se mit à courir vers les restes de lance et s’empara de la pointe avec une agilité féline. En un rien de temps, il se retrouva entre la Melanouk et le monstre blanc. Si son père avait été présent, on l’aurait certainement abandonné aux hyènes mangeuses d’Homme.   

Amray poussa un cri retentissant, aussi puissant et sauvage que le cœur du désert,  celui que son clan invoquait pour se défendre contre les lions. La jeune fille en resta stupéfaite d’admiration. Le monstre lui-même parut dérouté. Profitant de ce minuscule instant, il sauta sur la bête et lui planta profondément la lance dans l’œil. Elle hurla à l’agonie et envoya le jeune garçon à terre d’un violent coup de patte. 

Amray percuta douloureusement le sol et ne bougea plus. Le corps de l’animal s’écroula dans la neige. 

Le silence recouvrit la plaine. 

***

Au bout de quelques minutes, Amray s’éveilla doucement. Il songea qu’il n’avait jamais autant perdu connaissance en une journée de toute sa vie.  

–  Tu es en vie ! s'exclama la Melanouk penchée au-dessus de lui. Que la Mère du Givre soit louée !

Amray se redressa lentement. Une brûlure cuisante sur son côté droit le fit grimacer. 

–  Attends, ne bouge pas.

La jeune fille ramassa une poignée de poudre blanche sur le sol et la colla contre sa blessure. Amray poussa un râle au contact du froid.

–  La neige devrait empêcher l’hémorragie, expliqua-t-elle. 

La neige... 

C’était donc ça qui recouvrait le Royaume des Glaces. 

–  Tes vêtements sont étranges, fit remarquer la Melanouk. D’où est-ce que tu viens ?

Amray baissa les yeux. Devait-il lui mentir ? Même s’il venait de la sauver, cette fille pouvait peut-être le livrer à son roi en découvrant d’où il venait. 

Il restait son ennemi après tout.

– Je m’appelle Aquene, poursuivit la jeune fille en voyant qu’il gardait le silence. Je viens d’un petit village de chasseurs à quelques heures d’ici. 

Aquene… 

Quel drôle de nom.

–  Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-il d’une petite voix. 

Aquene lui adressa un magnifique sourire qui fit remonter ses pommettes brunes et allongea ses yeux noisette. Le cœur d’Amray bondit, et il eut honte de la trouver aussi jolie.

–  Ça veut dire la paix, répondit-elle avec un regard entendu.

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Arod29
Posté le 07/09/2021
Excellent chapitre!
On sent bien le désarroi d'Amray tiraillé par les principes de son clan et sa conscience. C'est vraiment bien écrit. Tu rends la scène vivante. A mon avis ton meilleur chapitre depuis le début.
A bientôt! :-)

Au niveau des coquilles j'ai noté:

"reprenant peu à peu contacte" Contact
et
"son visage trempé de sang et de larme" j'aurais mis "larme" au pluriel
Edouard PArle
Posté le 07/09/2021
Hey !
Très joli chapitre, ça va un peu vite (mais bon c'est normal vu que c'est une nouvelle).
La conclusion est sympa et bien amenée.
Pas vu de fautes.
Bien à toi !
MarionVigier
Posté le 07/09/2021
Hey !
Merci beaucoup pour ton commentaire ^^ Comme précisé un peu avant, ce n'est pas encore la fin (et oui, je suis un petit boulet de l'informatique !) mais merci quand même pour ce retour positif ^^
Edouard PArle
Posté le 07/09/2021
J'avais un doute^^
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