Scarlett et Ulysse ont quitté le royaume de Montrouge. Ils sont sur le bateau qui vogue vers la destination suivante. D’après la liste que le roi de Malakoff leur a remise, ils doivent maintenant se rendre au royaume de Bagnolet.
Le Fluctuat avance bien. Il fend l’eau avec ardeur. Ulysse se tient à la proue, tout à l’avant du navire. Il est debout, il ouvre les bras et crie : « je suis le maître du monde. »
C’est sans doute le beau chapeau qu’il porte qui lui donne cette assurance. Ce chapeau, c’est un magnifique tricorne de corsaire. C’est une gentille modiste qui lui a offert au moment où il montait sur le bateau au port de Montrouge. Ulysse est très fier de son splendide couvre-chef.
*
Après un certain temps de navigation, les enfants se rendent compte qu’il y a de plus en plus de bateaux autour d’eux. Il y en a tellement que leur bateau est forcé de ralentir, puis, à un moment donné, il ne parvient plus à progresser. Tout le monde est bloqué.
– Que se passe-t-il ? demande Scarlett à une personne qui se trouve sur le bateau d’à côté.
– Tu reviens de Pontoise ? demande la personne sur le bateau d’à côté.
– Non, de Montrouge, répond Scarlett.
– Ben alors, dit la personne sur le bateau d’à côté, tu devrais savoir, petite, que c’est comme ça tous les jours après le travail. Tous les Exitos se ruent en même temps sur le Périf et voilà le résultat.
– On ne peut pas les pousser ? demande Scarlett.
– Non, ça ne se fait pas, répond la personne sur le bateau d’à côté. Il faut prendre son mal en patience.
– Ça veut dire quoi ? demande Scarlett.
– Ça veut dire qu’il faut attendre, répond la personne sur le bateau d’à côté.
Les enfants comprennent qu’ils n’arriveront pas au royaume de Bagnolet à l’heure prévue. Il commence à se faire tard. Le soleil est en train de se coucher. Ils ont faim. Ils décident de descendre dans leur cabine pour prendre leur dîner.
Quand ils ont fini de manger et qu’ils remontent sur le pont, les enfants constatent que leur bateau est tout seul. Tous les autres sont partis. Le Fluctuat peut donc redémarrer.
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Il fait nuit noire quand les enfants arrivent au port de Bagnolet. En scrutant attentivement le quai qui n’est pas bien éclairé, ils voient qu’il y a plein de monde dessus, mais que tous ces gens se sont endormis parce qu’il est très tard.
Ulysse, qui est un petit malin, se saisit de la corne de brume du bateau et souffle un grand coup dedans. Il sort alors de l’instrument un énorme pouët qui réveille tout le monde en sursaut.
– Ils sont là ! crie une personne.
– Oui, on est là, répond Scarlett, mais vous, que faites-vous ici ?
– On vous attendait, répond une autre personne. C’est la reine qui nous a envoyés pour vous conduire au palais.
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Dans l’immense salle de réception du palais remplie de hautes colonnes et de belles statues, Ulysse et Scarlett attendent. On est parti réveiller la reine qui dort, car il est vraiment très tard.
La reine de Bagnolet, elle s’appelle Circé. Elle est un peu magicienne sur les bords et elle ne se sépare jamais de sa baguette magique.
À côté des enfants, se tient, bien droit, le chambellan du palais royal. C’est un grand monsieur très digne. Il se courbe pour parler tout bas aux enfants, et il leur dit ceci :
– La reine Circé est une personne très gentille, mais elle est aussi très maladroite. Un jour, elle a fait tomber sa baguette magique devant moi et l’éclair en est sorti et il est venu me frapper. Du coup, j’ai été transformé en réverbère.
– C’est quoi un réverbère ? demande Ulysse.
– C’est une grande tige avec une lampe au-dessus, répond le chambellan. On en met dans les rues pour éclairer les passants la nuit. Ça me faisait bizarre parce que d’habitude les gens disent que je ne suis pas une lumière.
– Ah oui, je vois, dit Scarlett. Et vous êtes resté longtemps comme ça ?
– Non, répond le chambellan. L’effet de ces sortilèges ne dure que quelques jours. Mais c’était quand même embêtant parce que tous les chiens du quartier venaient faire pipi sur mes chaussures.
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La reine Circé arrive enfin. Elle se dirige vers les enfants et, à sa démarche, on voit qu’elle n’est pas très bien réveillée. Soudain, elle se trébuche et laisse tomber sa baguette qui, en touchant le sol, émet un éclair en direction d’Ulysse.
Le coup passa si près que le chapeau tomba.
Le chambellan se précipite pour aider la reine à se relever, mais il marche sans le faire exprès sur la baguette magique qui lance un nouvel éclair. Cette fois, le coup atteint Ulysse qui est transformé en un petit cochon tout rose.
C’est mignon, un bébé cochon, mais c’est un cochon quand même. Et Ulysse va rester comme ça pendant plusieurs jours.
*
La reine Circé parle alors aux enfants et elle leur dit ceci :
– Le roi de Malakoff m’a demandé de vous soumettre à une épreuve. Voici ce que je vous propose. Les gens disent qu’il existe, dans une forêt lointaine, tout au bout de mon royaume, un immense sanglier. Tout le monde a peur de pénétrer dans cette forêt, mais personne n’a jamais vu l’animal en question. Votre mission, si toutefois vous l’acceptez, consiste à capturer ce sanglier et à me le ramener.
– Mais, majesté, dit Scarlett, s’il est si gros, comment allons-nous faire pour le porter ?
– C’est une bonne remarque, répond la reine. Donc, je te prête ma baguette magique, Scarlett. Ainsi, tu pourras transformer le sanglier en un petit cochon. Ce sera plus facile. Mais, poursuit la reine, le chambellan pourrait peut-être vous accompagner.
– Je ne peux pas, j’ai grand frais, dit le chambellan.
– Le chambellan a froid, crie la reine. Qu’on lui apporte une couverture !
*
Ulysse et Scarlett marchent pendant longtemps. Ils traversent de nombreux champs et autant de prés avec plein d’animaux qui broutent et paissent.
À l’approche de la forêt lointaine, les enfants rencontrent des paysans qui viennent vers eux et leur disent :
– N’allez pas par là, n’allez pas dans cette forêt, il y a un énorme sanglier.
– Ah ! dit Scarlett, vous l’avez vu ?
– Non, répondent les paysans, mais il est dangereux.
– C’est quand même étrange, dit Scarlett à Ulysse le petit cochon, tous ces gens qui ont peur de quelque chose que personne n’a jamais vu.
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Ulysse et Scarlett sont tout de même entrés dans la forêt. Ils sont sur leur garde, car ils ne savent pas à quoi s’attendre. Ils avancent avec difficulté, car il y a beaucoup d’arbustes piquants sur leur chemin. À un moment donné, Ulysse le petit cochon dit ceci à sa sœur :
– Dis Scarlett ! Tu ne crois pas qu’il faudrait essayer la baguette pour voir si elle fonctionne bien.
– Tu as raison, Ulysse. Je vais transformer cet arbre en réverbère.
Et Scarlett dirige la baguette vers un grand arbre en prononçant la formule qu’elle avait entendue dans un film qu’elle avait regardé en cachette à la maison : supercalifragilisticexpialidocious.
Mais rien ne se passe.
– Je crois qu’il y a un problème, dit Scarlett à Ulysse. En fait, je n’ai pas de pouvoirs. Donc la baguette ne m’obéit pas. Qu’allons-nous faire ?
Ulysse n’a pas le temps de répondre. Les enfants entendent un bruit terrible venant vers eux à toute vitesse : tagadam, tagadam, tagadam. Et tout à coup, un énorme sanglier surgit devant eux.
Scarlett ne bouge pas une oreille et Ulysse le petit cochon est saisi de peur. Du coup, il lâche un gros prout et tout un chapelet de petites crottes.
Le sanglier sent l’odeur des crottes et dit à Ulysse :
– Mais tu es de la même famille que moi. Que viens-tu faire ici ?
Alors Scarlett toque Ulysse du coude et lui dit :
– Demande-lui de venir avec nous au palais.
Et c’est ainsi que le gros sanglier part au palais avec les enfants.
*
Quand les enfants et l’animal entrent dans la ville, tout le monde a peur, tellement le sanglier est énorme. Tout le monde se cache.
Et quand ils arrivent au palais royal, c’est la même chose. Tous les serviteurs et les soldats se sauvent et le chambellan essaie de se faire passer pour un réverbère.
Même la reine Circé se sauve. Elle va se cacher au fond d’un gigantesque vase enterré.
Comme il n’y a plus personne, les enfants disent au revoir au sanglier et repartent sur leur bateau.
Une fois sur le bateau, Ulysse est retransformé en un petit bébé.