Maintenant, Ulysse et Scarlett sont sur leur bateau, le Fluctuat. Scarlett, qui portait Ulysse dans ses bras, le dépose sur le plancher du pont. Et là, il se passe quelque chose d’extraordinaire : Ulysse se met debout et il commence à marcher. Il fait quelques pas, puis il se retourne en regardant sa sœur.
– Ah ! dit-il, ça fait du bien de marcher.
– Mais, dit Scarlett, qu’est-ce que c’est que ça ? Tu marches ? Et aussi tu parles ?
– Oui, lui répond son frère, c’est grâce au Fluctuat : il a des pouvoirs.
– Eh bien ! c’est une bonne chose, dit Scarlett. Je ne me sentais pas de te porter pendant tout le voyage.
*
Le bateau navigue vers le premier royaume que les enfants doivent atteindre. Il s’agit du royaume de Montrouge. Ce royaume n’est pas très éloigné de celui de Malakoff. Normalement, Ulysse et Scarlett devraient y arriver en peu de temps.
Mais tout à coup, le bateau s’arrête. Les enfants regardent par-dessus bord et ils voient que l’eau ne bouge plus. La rivière a cessé de couler. Et comme il n’y a pas de vent pour gonfler la voile, le bateau n’avance plus. Et puis, le bateau se remet à bouger, mais dans le mauvais sens : il recule. La rivière qui tournait en rond autour de l’île des Exitos dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, elle se met à tourner dans l’autre sens. Donc le bateau repart vers le royaume de Malakoff. Et quelques minutes plus tard, il s’arrête de nouveau.
– Que se passe-t-il ? demande Ulysse à sa sœur.
– Je ne sais pas, lui répond Scarlett. Je n’y comprends rien.
À ce moment-là, on entend au loin les voix de deux grandes personnes qui se crient l’une sur l’autre. Ce sont Anni-Dingo et Rachi-Tatati qui se disputent à propos de la rivière. Il y en a une qui veut qu’elle coule plus lentement et l’autre qui veut qu’elle aille plus vite. Et à force d’utiliser leurs pouvoirs n’importe comment, elles ont détraqué le Périf.
C’est alors que Scarlett se souvient d’une histoire que lui a lue sa maman. Un marin appelé Jason était lui aussi tombé en panne comme ça au milieu de l’eau et il avait appelé quelqu’un qui habite dans le ciel. Cette créature avait aussitôt envoyé plein de vent pour faire avancer le bateau. Le problème, c’est que Scarlett ne se rappelle pas le nom de la créature.
– Eh ! Oh ! se met à crier Ulysse. Il faut trouver une solution.
– Hourra ! crie Scarlett. Je me souviens : c’est Éole !
Et la petite fille implore Éole qui souffle un gros coup et propulse ainsi le bateau jusqu’au port de Montrouge.
*
Ulysse et Scarlett sont conduits au château de la reine. Ce château s'élève au sommet d’une haute colline.
La reine de Montrouge s’appelle Hélène et elle est très belle.
Elle a été prévenue de l’arrivée prochaine des enfants par un message du roi de Malakoff. Ce message a été apporté par un pigeon voyageur. Les pigeons vont beaucoup plus vite que les bateaux à voile.
La reine sait donc qu’elle doit proposer un défi aux enfants.
– Bonjour les enfants, dit la reine. Voici le défi auquel j’ai pensé et que vous devez relever.
Mais la reine ne peut pas continuer ce qu’elle voulait dire. Elle est interrompue par le bruit des pas d’une personne qui entre dans la salle du trône.
Cet homme un peu enveloppé s’avance près des enfants, en dandinant comme un poussah. Il leur caresse la tête et dit :
– Je suis l’époux de la reine.
Et là, Ulysse se met à chanter tout en imitant la démarche du roi :
– Je suis l'époux de la reine, poux de la reine, poux de la reine.
Scarlett le cogne du coude et lui dit :
– Mais enfin Ulysse, tais-toi, ça ne se fait pas.
Ulysse arrête de chanter, mais c’est l’homme qui chante à son tour :
– Le roi Ménélas.
La reine applaudit et reprend la parole :
– Bien, bien, bien. Après cet intermède musical, je vous invite à m’accompagner sur le balcon.
Une fois sur le balcon, Ulysse et Scarlett constatent qu’en face de la colline du château où ils se trouvent s’élève une autre colline tout aussi haute et recouverte par une épaisse forêt.
– Là-haut sur la montagne, dit la reine, dans cette forêt vit un énorme lion que personne n’a jamais osé approcher.
– Il est plein de puces, dit le roi.
– Ne l’écoutez pas, reprend la reine. Mon époux raconte toujours des carabistouilles.
– Oui, c’est un comique, réplique Ulysse.
Scarlett le toque de nouveau du coude.
– Arrête un peu de dire n’importe quoi, Ulysse. Nous sommes devant un roi et une reine. Un peu de respect, saperlipopette !
– Bien, bien bien, dit la reine. Voici donc le défi : vous devez me rapporter une vibrisse de ce lion.
– Quoi ? s’écrie Scarlett, mais c’est dangereux. Il va nous mordre.
– Pire que ça, répond la reine. Il risque de vous manger.
À ces mots, Ulysse est rempli de terreur et il lâche un gros prout mouillé.
– Excusez-moi, dit Scarlett à la reine, je dois aller lui changer sa couche.
Quand ils sont de retour devant la reine, Scarlett se tourne vers son petit frère et lui tient à peu près ce langage :
– Mon pauvre petit Ulysse, je crois qu’il faut renoncer. C’est trop dangereux. Nous allons rentrer chez nous et tu t’appelleras Cornichon pour toute la vie.
Ulysse s’assied par terre et se met à pleurer à chaudes larmes. La reine est attendrie par ce triste spectacle.
La reine Hélène est une bonne personne et elle est très gentille. Elle ne souhaite pas que les enfants risquent d’être mangés par le lion, mais elle ne veut pas non plus que le bébé porte le nom de cornichon parce que c’est quand même moche.
– Les enfants, dit la reine, je vais vous aider un peu. Voici des feuilles d’un arbre spécial. Vous les ferez brûler devant l’entrée de la grotte du lion. La fumée entrera dans la grotte et endormira l’animal. Ainsi, vous pourrez sans danger lui arracher une vibrisse.
Les enfants remercient la reine et partent à la recherche du lion.
*
Après des heures de marche, ils arrivent au pied de la colline au sommet de laquelle vit le lion. Là, Ulysse et Scarlett se rendent compte que cette colline est très haute. Ils se disent qu’il va leur falloir des jours pour monter jusqu’en haut.
Tout à coup, deux immenses oiseaux descendent du ciel sur les enfants, les saisissent dans leurs pattes et les emportent jusqu’au sommet de la colline. C’étaient les deux aigles envoyés par Zeus pour trouver le centre du monde. Ils l’avaient trouvé il y a longtemps et depuis lors ils s’ennuyaient ferme. Alors de temps en temps, pour s’occuper, ils s’amusaient à transporter les promeneurs jusqu’au sommet de la colline et ils se marraient en les regardant dévaler par peur du lion.
Une fois devant la grotte du lion, Scarlett rassemble des brindilles pour faire un feu, mais à ce moment elle entend le lion qui pleure au fond de sa grotte. Alors, tout doucement, elle entre dans la vaste caverne et elle s’approche de l’animal, mais pas trop près parce qu’on ne sait jamais.
– Qu’est-ce qu’il t’arrive ? demande Scarlett au lion.
– J’ai une épine enfoncée entre les coussinets de ma patte. Je ne parviens pas à l’enlever. Ça me fait mal et je ne peux plus marcher.
– Je peux, moi, t’enlever cette épine, lui dit Scarlett. Mais à deux conditions : un, tu ne me manges pas et, deux, tu me donneras une de tes vibrisses.
– D’accord, répond le lion.
Et c’est ainsi que Scarlett et Ulysse rapportent fièrement la vibrisse à la reine.
Au moment où ils prennent congé de la souveraine, celle-ci leur fait remettre une belle corbeille de fruits et c’est le roi qui apporte cette corbeille en disant :
– Voici les poires, belle Hélène.