Le souffle

Par Elf

Les mots sont des larmes qui gouttent sur les papiers parsemés

Les mots sont des gouttes d’émotions qui s’alignent

Les mots sont des lettres adressées à qui veut bien les lire

Les mots sont plumes et sont poids

Ils sont lois, ils sont foi, ils sont faux, ils sont beaux, ils sont si près si loin si moi si a contrario si puissants si ternes si légers si fractures si blessés si vibrants

si absents

 

Le mot juste s’échappe ! Avec toutes ses lettres !

Il galope entre les carreaux, il bondit de ligne en paragraphe, il cavalcade de page en page, il délaisse les chapitres, il se dissimule dans la marge, il corne les feuilles, il sifflote sur la page blanche, il sursaute hors du clavier, il arrache mes idées, il m’entend gémir, il court trop vite, il me repousse, frénésie me prend, j’ouvre les cahiers, les pensées, les sensations, les émotions, il est tout proche, il me nargue, il m’évite, il s’en va, il part, il s’enfuie, il m’abandonne. Il m’abandonne !

 

Il est au bout de ma langue. Je risque de l’avaler, de le perdre, qu’il fonde, qu’il m’oublie.

 

Je me retrouve nue sans drap sans émotion sans accroche sans vie

Le mot me manque. Le mot juste peut disparaître à jamais. Rien ne presse ; un rien me presse. Je dois faire vite. Les mots doivent se presser entre mes doigts sinon le rien sera moi. Ce rien qui me serre déjà.

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AGL
Posté le 26/01/2022
Le contraste entre le pouvoir indescriptible des mots et leur impuissance. Je connais. Il y a des choses que j'aimerais tant que les autres comprennent, expérimentent, vivent. Hélas ! je crois qu'il faut les vivre, justement, et que le mot manquant n'y peut rien. En même temps, combien les mots peuvent nous émouvoir ! "Ils sont lois, ils sont foi, ils sont faux..." On vit et on meurt par et pour les mots. Je pense que tu le décris très bien dans ce poème.
J'espère que tu feras vite comme tu le dis, et que j'aurai l'occasion de te lire à nouveau bientôt !

AGL
Elf
Posté le 26/01/2022
Les autres ne comprennent pas exactement ce qu'on veut dire, mais ils le prennent d'une autre manière, celle dont ils ont besoin parfois. Et même s'ils ne vivent pas ces choses, ils vivent autre chose grâce aux mots qui les décrivent (hum... est-ce que je suis claire ?)
Ne t'inquiète pas, même quand je sais pas quoi écrire, j'écris sur la page blanche ^-^ (en vrai, ça n'arrive pas longtemps quand j'ai des pannes... ouf) Et pour ce recueil, j'ai encore une flopée de poèmes :)
Merci beaucoup de ton soutien !

E.
noirdencre
Posté le 26/01/2022
Beau texte tout en urgence, un parallèle touchant entre exister et écrire, et donc entre exister et exprimer.
Celui qui ne dit rien meurt un peu?
As tu déjà perdu une idée qui éclairait ton âme le temps d'un instant mais que tu n'as pas su capturer dans un texte?
Elf
Posté le 26/01/2022
J'ai l'impression parfois que c'est l'écriture qui fait ressentir, comme si c'était un autre sens qui regroupait tous les autres. Mais d'autres fois, rien ne sort alors je range les mots et j'abandonne...
"Celui qui ne dit rien meurt un peu ?" Oui, mais comme tout le monde parle, tout le monde vit un peu :)
Moi j'ai besoin des mots, de peinture, de musique et de théâtre, mais qui sait ? On peut peut-être vivre sans art (mais ça ne marche pas pour moi)

E.
noirdencre
Posté le 26/01/2022
Pour moi l'écriture c'est comme un autre monde qui n'existe que par les mots. Alors forcément, si ce n'est pas le bon mot, si on ne l'alimente pas de phrases... il se meurt. Ecrire est comme une transe dans laquelle, tant que les mots surgissent, on a accès à une autre réalité. D'où la gourmandise d'écrire encore et encore, comme si le flot de paroles pouvait faire durer le rêve.

Je suis d'accord avec toi, tout le monde a besoin d'art, certains créent (les insatisfaits) et les autres consomment (sans être péjoratif, je suis aussi consommateur d'art!).
Elf
Posté le 29/01/2022
Exactement, je préfère vivre dans l'univers de mes mots (et ceux des autres) que de voir la réalité brut... Les illusions sont si douces même lorsqu'étrangement elles parlent d'horreur...

E.
noirdencre
Posté le 29/01/2022
Tu n'y vas pas par quatre mains mortes!
Je pense que la réalité est de toute façon subjective et forgée à partir de l'idée qu'on s'en fait.
Alors, tant qu'à choisir une illusion, autant se bercer. Le "beau" n'est pas le plus mauvais choix. Qu'en penses-tu?
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