Le spectateur amoureux

Par El

Un courant pur, immatériel, d’esprit. Mon regard embrasse le monde dans son ensemble et mon cœur s’embrase. Je ne connais pas cet endroit. La terre est nue, les forêts sont vierges, aucune tour ne se dresse sur les pics des montagnes.

Les océans ont une fin, ils se courbent aux bords. Au centre du monde, une île immense, plus grande que celle où il est né, plus grande que celle où il a vécu. La mer se brise, un gouffre la sépare du reste des terres. Les mots lui viennent sans qu’il ne les ait jamais entendus. Ocaliria est seule.

            Les îles et les océans disparaissent. Il ne reste plus que les ténèbres, tant de ténèbres qu’il s’y perd. Ni l’espace ni le temps n’ont encore de prise dans cet endroit indéfini, ce nulle part. Pourtant, il y a quelque chose, tapi. Azraël le sent, comme une lourdeur sur ses épaules, un regard qui n’ose pas se dévoiler. Le temps se délite : l’éternité tient en un instant. Du coin de l’œil, il aperçoit un mouvement ; le premier depuis qu’il lui semble être ici.

Une étincelle brille dans toute cette obscurité. Elle crépite de joie, premier semblant de vie dans ce néant.  Azraël sait qu’il n’est pas vraiment là, à cet instant unique, à l’origine. Ses yeux voient quelque chose d’avant la vue, une vague figuration de ce qui fut vraiment, une pâle représentation. Les ténèbres deviennent encore plus denses, plus lourdes. L’air reste bloqué dans ses poumons, dans l’attente d’un évènement.

L’étincelle devient si brillante qu’il peut à peine garder ses yeux ouverts. La lumière l’enveloppe d’une douce chaleur, passe entre ses doigts comme le vent. Une douce brise caresse son visage, apporte une odeur de terre chauffée par le soleil. Ses pieds touche une herbe toute nouvelle ; ses brins chatouillent ses chevilles. L’étincelle devenue l’étoile portant la vie se transforme, prend peu à peu corps. Un être pluriel, avec sa propre conscience. Iel est tout. Les fleurs pleuvent sur son passage, tachées du sang noir qui perle de ses doigts. D’un mouvement du bras, iel fait trembler les fondations de la Terre, la déchire, et en fait émerger un pic, une montagne colossale, solitaire.

Alors même qu’Azraël n’est pas vraiment là, simple spectateur, il a l’impression que cet être, cette divinité, le voit et le regarde. Sa présence l’écrase. Iel pourrait l’anéantir en un seul instant, lui, minuscule insecte, pitoyable être vivant, d’un vague geste de la main. Malgré tout ce pouvoir, toute cette puissance qu’Azraël sent en iel, iel ne fait rien que marcher, semblant savourer ce monde tout jeune. Son sourire est doux et déjà triste. Plonger dans ses yeux est une tentation folle, au risque de ne plus vouloir s’en détacher, d’en tomber follement amoureux.

Leur regard se rencontrent. Azraël ne saisit qu’un éclat violet, profond, avant de se réveiller sur une inspiration violente. L’air frais de la nuit s’insinue dans son corps, les étoiles se reflètent dans ses yeux.

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