L’espace semblait figé. L’herbe se courbait mollement, résistant au poids des pas. Un frisson parcouru le dos d’Azraël. Cet endroit était empreint d’une présence familière. Si le lieu en lui-même ne lui disait rien, l’ambiance qui y pesait lui était connue. De grandes forces avaient autrefois été à l’œuvre entre ces colonnes et ces arbres. A présent, il ne restait plus que des fantômes, vestiges d’un lointain passé. Nombre d’entre eux s’étaient déjà dispersés dans le flux du monde, mais bien d’autres demeuraient, dans l’attente. Il pouvait presque les voir, toutes ces personnes, comédiennes de leur propre vie, esprit unique, attendre quelqu’un ou quelque chose qui n’arrivait pas. « Peut-être demain » se disaient-elles. Leur ombre vacillait devant ses yeux, reflet de ce qu’elles auraient pu être, part abandonnée d’un tout plus grand.
Puis, il se vit. Une silhouette courbée, pareille à son jumeau, se tenait devant lui - ses cheveux noirs et blancs, ses cicatrices si caractéristiques-, à ceci près que ses yeux étaient lisses, aveugles et en larmes. Elles coulaient, doucement, brûlant pourtant tout sur leur passage, marques d’émotions brutes enfermées depuis trop longtemps. Ces dernières s’échappaient au compte-goutte, silencieusement. Azraël tendit la main vers cet autre lui tremblant et vaporeux. Il avait l’incongrue envie de le toucher, ne serait-ce que l’effleurer ; car il le sentait au plus profond de son corps : ce fantôme n’était autre qu’une part cachée de lui-même qu’il avait étouffé et tenté d’assassiner.
Tous deux tremblants, ils s’approchaient l’un de l’autre. Les doigts d’Azraël fourmillaient à lui en faire mal. Il tendit lentement la main et frôla son double.
De la chaleur, puis un courant glacé le traversa de part en part, comme s’il était soudainement immergé dans les eaux. Ce qu’il avait cherché à enterrer dans son cœur et à oublier ressurgit soudainement : le chagrin, le deuil, la peur, le doute, l’incertitude, parmi d’autres. La bouche du fantôme s’étira en un sourire sincère. Les liens qui la maintenaient close, puis le jumeau se dissolurent comme la brume au soleil.
Azraël se retrouva seul, et entier. Il pleurait enfin.
Et ce chapitre est une belle continuité au premier. L'histoire est en tout cas très poétique, c'est super intéressant :)
Merci beaucoup, je me remets doucement à écrire quelques textes. Ce "livre" n'en est pas vraiment un, c'est plus un recueil de textes se déroulant dans un même univers, mais je suis contente s'ils se répondent bien entre eu. J'espère pouvoir en publier quelques autres (disons au moins un) d'ici octobre, j'en ai deux ou trois qui n'attendent que d'être relu.
J'adore la mythologie grecque, je m'intéresse aussi à la nordique d'ailleurs, alors ce n'est pas étonnant que j'en fasse une partie de mes écrits !
Merci d'être passé par ici <3