Le Temple Septria

Par Ciel

Falaises de 'l'Oubli, Terres Vides, Europe du Nord, Terre 33, XIXème siècle

 

Enveloppé dans les courants d’air froids des plaines arides, Lake continuait son périple vers un Temple dont il ne connaissait pas l’existence la veille. 

Il ne pouvait d’ailleurs plus parler de plaine car le paysage se teintait maintenant de reliefs accidentés. L’océan ne pouvait pas être bien loin. Il sentait les embruns iodés emplir ses poumons. L’air salé, mangeur de roche, grignotait les environs comme une souris dans du gruyère. Devant lui, Charlotte avançait impitoyablement vers leur destination. 

L’aigle qu’ils avaient rencontré la veille les suivait dans les airs. Leur étrange cortège n’avait croisé âme qui vive à des kilomètres et Lake se demandait parfois s’ils étaient vraiment poursuivis ou si ce n’était qu’une ruse de Charlotte Kingsley pour achever sa fortune. Il n’avait pas oublié les paroles prononcées la veille, ni cette voix étrange qui lui rappelait son grand-père. Pourquoi ne serait-elle pas Charlotte Kingsley ? Madame Suzanne la reconnaissait comme telle et il n’avait pas de raison de ne pas lui faire confiance. Elle lui avait sauvé la vie. 

Alors qu’il ruminait ses doutes qui atteignaient des profondeurs abyssales, Lake ressentit une pointe de soulagement dans le creux de son ventre. Ces sentiments ne lui appartenaient pas. De manière générale, tout ce qu’il ressentait dans son ventre correspondait à des sentiments de l’extérieur. Il releva péniblement la tête face au vent en direction de Charlotte. Celle-ci émettait des ondes résolues et concentrées, en aucun cas du soulagement. Lake scruta les environs, méfiant. Il n’y avait rien, que de l’herbe et des cailloux. Il ajusta sa vue afin que ses sens s’aiguisent encore. 

Ça venait d’en haut. L’aigle voltigeait dans les airs avec alégresse. Lake le regarda, plongé dans une confusion totale. Il pouvait également percevoir les sentiments des animaux ? Il ne manquait plus que ça…Mais il y avait tout de même des avantages. Contrairement à lui, ses sens étaient bien loin d’être aveugle. Ils l’avertissaient de changements susceptibles de lui être utiles en suivant le flot de ses pensées. Lake pensait au voyage et alors que l’oiseau voyait l’arrivée, Lake la percevait également. Voilà pourquoi les dons étaient inhérents aux individus. Lake se sentait façonner son pouvoir à mesure qu’il pensait, qu’il était lui-même. 
 

« C’est très bien petite Flaque, tu en as dans le ciboulot quand tu veux ! »

Lake s’était également arrangé de cette voix omnipotente et omnisciente qui le suivait partout. Le Cristax parlait c’était vrai. Des réminiscences de son enfance ? Cela était possible dans la mesure où cette voix empruntait les intonations de son défunt grand-père pour lui parler. C’était désagréable mais pas franchement inutile. Sa famille lui manquait un peu. Sa terre natale aussi. Tout ce qu’il connaissait de Terre 33 était ces plaines arides et une ville inhospitalière. Pas vraiment la Terre promise de son père le Duc. Le Duc… Celui-ci avait dû être adoubé Grand Rouage du Temps maintenant. Un pouvoir incommensurable. Un gouverneur tout puissant régnant pour et par l’Éminence impériale dans les provinces galactiques colonisées. Des êtres autorisés à manipuler le temps. Non, des êtres humains autorisés à manipuler le temps. C’était une mauvaise idée. Cette être humain en particulier. Enfin il ne savait plus trop. Son père était quelqu’un de bien, non ? 

Alors qu’il montait une pente plus raide que les autres, l’ombre d’une forme crénelée apparu en contre-bas. L’aigle éclaireur ou protecteur peut-être, avait disparu. Le Temple Septria s’offrit à la vue des voyageurs dans toute son étrangeté sculptée. Le jeune prince s’arrêta pour admirer la vue. Charlotte en profita pour reprendre leur souffle. Lake n’eut pas le loisir de s’attarder sur la culpabilité de sous-traiter sa fatigue à la jeune fille. 

Une flamme blanche s’alluma au sommet de ce qui semblait être une tour de guet en pierre. En fait, le bâtiment tout entier semblait avoir été taillé dans la pierre. La falaise surplombant l’océan abritait le sanctuaire qui se scindait en deux parties. La première ressemblait à une muraille taillée dans la roche le long d’une falaise abrupte de plusieurs centaines de mètres. 
Celle-ci contenait un escalier vertigineux qui conduisait sur la plage de galets noirs menant à une forteresse pierreuse au milieu de l’océan. Un pont étroit comme un fil se tendait entre les deux constructions. Il aurait été difficile à Lake de dire si cet ouvrage était de la main de l’Homme ou de la nature mais le tout formait une symbiose dont il pouvait apprécier chaque entaille. 

Charlotte se râcla la gorge et cracha nonchalamment dans l’herbe haute. Lake ne put réprimer une grimace de dégoût ce qui provoqua chez la jeune fille un rictus hilare. Il se dit qu’elle avait quelque chose du Duc Lycoris parfois.

- Je te présente le Temple Septria ! 

- C’est… vertigineux ! Ton peuple a fait ça ? 

Charlotte se redressa imperceptiblement et lui sourit. 

- Absolument ! Nous ne savons ni quand ni pourquoi mais oui, ce sont mes ancêtres qui ont construit cette merveille. 

- Comment allons-nous faire pour descendre ? 

- Nous allons prendre les escaliers pardi ! 

- Tu rigoles ? Il y a au moins plusieurs milliers de marches ! Un seul faux pas et on se fracasse la tête dans le vide ! 

Charlotte appuya ses poings sur les hanches faisant mine de le réprimander.

- Ce n’est quand-même pas une volée de marches qui va effrayer notre Petit Duc ? Je viens de te faire traverser les terres vides en marchant sans relâche pendant deux semaines et tu te débines quand nous touchons presque au but ? 

Lake déglutit péniblement. Il avait du mal à l’assumer mais avec toutes les merveilles que semblait renfermer Terre 33, il avait espéré qu’un mécanisme magique leur permettrait de ne pas emprunter l’escalier léthal qui s’étendait devant eux. Absolument chaque atome de son corps lui interdisait de descendre par là. Encore moins sa Lame. Si Charlotte assumait les troubles physiques, la maintenir en vie était de son ressort, le Cristax le lui rappelait sournoisement à chaque fois que la jeune fille disparaissait ou prenait un risque. C’était très désagréable. Lake vivait maintenant dans un état d’angoisse permanent qu’il apprenait péniblement à maitriser. 

- Qu’elle est cette lumière blanche là-bas ? 

- Les Septres nous ont aperçus, ils donnent l’alarme au grand prêtre. 

- C’est très rassurant toute cette sécurité…

- Si les prêtres nous souhaitaient morts, nous le serions déjà. 

- Encore plus rassurant…

Charlotte ricana et remit son sac à dos en place sur ses épaules. 

- Bon alors, on y va ? 

Des lambeaux de chevelure sale coulaient sur son visage lunaire. Lake détailla son allure avachie avec remords. Ils devaient prendre ce fichu escalier, qu’il le veuille ou non. 

- Ouais, allons-y. 

Charlotte leva les yeux aux cieux avec exaspération puis l’entraina vers l’entrée de la cavité rocheuse. Lake s’accrocha à ses maigres connaissances géologiques. Une falaise n’est rien d’autre qu’un escarpement en pente forte et de hauteur variable, non couvert de végétation, créé par l’érosion marine le long d’une côte. Bien, la théorie était là, la pratique était une autre histoire. Gravée sur l’entrée, on pouvait lire « Scientia sit potentia ». Les lettres étaient veinées de quartz couleur de miel. Charlotte l’observa tranquillement : 

- Tu comprends ce que ça dit ? 

- Oui mon grand-père m’a appris le latin. Ça signifie, savoir c’est pouvoir. 

Kingsley admira pensivement l’arche et lâcha à la dérobée : 

- Le quartz, c’est de l’œil-de-tigre. Une variété très rare sur Terre 33. 

- Les pierres précieuses n’existent plus sur la Terre originelle.

- Je sais, nos informateurs affirment que les Premiers Hommes ont raflés toutes les ressources de leur maison avant de piller celle de l’Univers grâce à la Grande Technique. 

- C’est exact. 

- Et ça ne te fait rien ? 

- Je n’ai pas dit ça.

Ils se mesurèrent un instant du regard puis Charlotte s’engouffra brusquement dans l’ouverture. Son ombre se mêla bientôt à l’obscurité de l’escalier. Lake se dépêcha de la suivre. Il tâtonna un instant sur les parois humides avant de réaliser qu’il savait exactement où il allait. Son corps se mouvait comme un wagon sur des rails, avec une facilité déconcertante. 

Alors qu’ils s’avançaient dans les entrailles de la falaise, Lake cessa de cligner des yeux et prit une profonde inspiration. Montre-moi pensait-il, Cristax montre-moi ce que tu as fait de moi, de ton petit serviteur organique. Moi qui suis au cœur du minéral, montre-moi tes sœurs et frères que l’obscurité rend palpables. 

Lake assimilait le Cristax comme une sève dorée qui coulait dans son corps mais en cet instant il réalisait qu’il s’agissait plutôt de lave en fusion. Celle-ci se dilata d’abord pour contaminer ses cellules puis se solidifia. Il sentit ses iris prendre une teinte dorée puis envahir tout le blanc de son globe oculaire. Telle la main de Midas, le Cristax transformait en or tout ce qu’il touchait. 

Puis un monde nouveau s’ouvrit. Une palette de couleur pulsant au rythme de la roche, bien vivante. Des minerais de toutes sortes et de toutes formes allant de la simple silice au Carbonne formant le plus pur des diamants après 3 millions d’années de maturation dans les entrailles de la Terre. Lake s’inonda des lumières improbables que son corps cristasien semblait maintenant absorber comme un élixir de jouvence. Charlotte reprit instantanément ses forces et sa fatigue disparut. Le prince Lycoris baignait dans une multitude de forces agglomérées dans la matrice terrienne. Il ressentait cette traversée comme un voyage embryonnaire. Une restauration pleine de ses cellules vieillis par les affres du temps. 

Ils émergèrent enfin sur la plage de galets gris. Lake ne se souvenait pas avoir traversé l’escalier, il ne sortit de sa transe que parce que la voix de Charlotte l’appelait : 

- Lake ! Lake ! Est-ce que ça va ? 

Il sentit le pouvoir du Cristax se dissiper pour se réfugier dans la marque au creux de son bras ou Charlotte l’avait touché pour la première fois. Il lui sourit timidement. 

- Oui Charlotte ça va.

- J’ai eu très peur ! Tu es devenu tout doré et rigide comme une statue d’or mystifiée. 

Lake examina la pomme de sa main avec curiosité. Il la tendit vers la jeune fille comme s’il venait de créer le soleil. 

- Je nous ai soigné Charlotte ! 

La jeune fille paraissait interloquée mais n’eut pas le temps de manifester son trouble. Un homme d’une quarantaine d’année au teint hâlé et vêtu d’une toge blanche apparut derrière elle. 

- Tu as fait beaucoup plus que ça mon garçon. Le Cristax vous a choisi, toi et sa majesté pour accomplir la prophétie qui nous a été confiée par la Caster Alia il y a des milliers d’années. 

Lake souleva un sourcil éberlué. Un homme en robe qui le nommait « mon garçon » ne lui plaisait qu’à moitié. Charlotte se tenait aux aguets, la main délicatement posé sur le billet que l’aigle leur avait apporté. Le prêtre l’observa, amusé : 

- Je sais qui vous êtes Lumière de l’Ombre, vous n’auriez pas pu descendre ces escaliers si vous n’étiez pas celle que vous prétendez. 

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